La fonction publique n’acceptera jamais la réduction de ses effectifs. Protégé par la double barrière du corporatisme et du clientélisme, ce mammouth indifférent à l’intérêt général continue de s’empiffrer. Le dégraisser est une chimère, seul son équarrissement pourrait nous sauver.
Croire que l’administration française pourrait mettre en œuvre une quelconque réforme de structure la concernant relève au mieux de la naïveté et plus vraisemblablement d’une lâche hypocrisie. Sept ans après la « révolution » promise par Emmanuel Macron, toujours plus de dettes, de dépenses et un mille-feuille administratif intact. Le corporatisme des fonctionnaires et des professions assimilées interdit en pratique toute économie. Les sinistres « partenaires sociaux » du secteur public ne sont porteurs d’aucune solution : ils sont le problème. Le clientélisme politique enfonce le dernier clou du cercueil.
Chers fonctionnaires…
Voilà quarante ans au moins que nous confions la débureaucratisation de ce pays… aux bureaucrates. De Mitterrand 1983 (mission de simplification administrative) à Macron 2022 (comité d’action publique), toutes les tentatives de réforme ont échoué. Seule la RGPP de Sarkozy avait permis d’obtenir des économies, mais au prix d’une logique stupide. Ne remplacer qu’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, revient à accepter d’amputer des fonctions utiles en laissant perdurer 50 % de gratte-papiers improductifs.
Si la France était un pays « normal », nous compterions 4 millions de fonctionnaires au lieu de 5,6. Les hôpitaux allemands comptent ainsi 54 % de personnel administratif de moins que leurs homologues français. C’est donc bien dans cette catégorie de fonctionnaires, et elle seule, qu’il faudrait tailler, pas chez les soignants. À cause de cette suradministration, nos blouses blanches se voient moins bien rémunérées que leurs homologues allemands. Les syndicats, bien sûr favorables à l’augmentation des infirmières, demeurent vent debout contre toute débureaucratisation des hôpitaux, avec la bienveillance des élus locaux dont l’hôpital est souvent le premier employeur du cru et au conseil d’administration duquel ils siègent – sans doute en raison de leur compétence médicale (!).
En pleine pandémie du Covid, des lits disponibles restaient inaccessibles, car les ARS tardaient à délivrer les indispensables autorisations administratives. La bureaucratie et ses complicités syndicales ne se sont alors pas contentées de nous coûter « un pognon de dingue », mais ont très concrètement tué des malades faute de soins. On s’est ému à l’époque de l’organigramme d’inspiration soviétique du système de santé français, puis on est passé à autre chose. Un rapport parlementaire, loin de suggérer la pulvérisation des ARS, a même conclu à la comique nécessité de « renforcer leur rôle en leur donnant les moyens nécessaires ».
Toujours cette politique de la sébile, cette rhétorique des moyens insuffisants dans le pays champion du monde de la dépense publique. En URSS, ce n’était jamais le communisme qui était en cause, mais une application imparfaite du marxisme-léninisme. Dans la fonction publique française, la bureaucratie manie la même logique : pour que ça aille mieux, il faudrait renforcer ses moyens et son pouvoir.
Toutefois, au prétexte de leur « expertise administrative », nous demandons parfois (timidement) aux fonctionnaires de rogner leurs avantages acquis ou de faire des économies à leurs dépens. Soucieux de faire semblant de défendre l’intérêt général, quelques énarques pondent alors une énième réforme à des fins purement cosmétiques – un regroupement de compétences par exemple. Las ! Toute fusion de communes ou de régions donne lieu à la création d’une nouvelle superstructure qu’on s’empresse de doter en ronds-de-cuir employés à vie, travaillant péniblement 32 heures par semaine – soit un engagement moyen de dépenses de 4 millions d’euros sur la durée de vie de chaque poste créé. Sans qu’il soit bien sûr question de supprimer un seul job dans les échelons inférieurs, ni même une seule compétence.
Chers ronds-de-cuir…
Les doublons sont légion et largement documentés, tant en matière de politique sociale, que d’environnement, d’éducation, ou de culture (ah ! la sacro-sainte culture !). Régions, départements, intercommunalités, agences de ceci, office de cela, administrations centrales, tous sont là pour préserver leur budget, leur coup de tampon misérable, leur incompréhensible formulaire Cerfa x240-gt-b. Ce gâchis donne lieu à une abondante littérature destinée à caler des meubles à la Cour des comptes, sans autre effet qu’un soutien marginal à l’industrie papetière. C’est comme si nous attendions de la mafia un rapport sur la lutte contre le crime organisé ou la corruption. Quand bien même elle s’attellerait sincèrement à la tâche, espérer d’elle la moindre mesure concrète prêterait à rire. C’est pourtant bien ce que nous faisons à intervalle régulier.
Le corporatisme de la fonction publique verrouille un système dont bénéficient des millions de petits privilégiés et leur famille. Il poursuit désormais sa logique propre, indifférent à l’intérêt général, avec comme seul objectif le statu quo sur ses avantages acquis. Des avantages qui pèsent toujours plus lourd, défendus par des corporations inexpugnables qui présentent une addition insoutenable au secteur privé. La question n’est plus de débattre sur les avantages comparés de la décentralisation ou de la recentralisation. Quelle que soit l’option retenue, l’asphyxie des forces vives est au bout de la route – une route qu’on aura truffée de ronds-points paysagers avec barque de pêcheur, jalonnée de médiathèques désertes plutôt que d’investir dans l’intelligence artificielle ou l’industrie.
Tous ceux qui croient encore au « dialogue social » se paient de mots.
Le 4 août 1789, lors de l’abolition des privilèges aristocratiques, personne n’a songé à négocier avec les aristos. On estime le poids de leurs privilèges de l’époque à 1 à 2% du PIB. La fonction publique française a préempté 7,2% du PIB en 2023 et ses sureffectifs pèsent, à l’instar des Ducs et Barons de 1789, 1 à 2% du PIB. La nomenklatura mérite une nouvelle nuit du 4 août, au cours de laquelle on rayerait d’un trait de plume le statut de fonctionnaire – pour le réserver aux administrations régaliennes et à elles seules. À l’image d’un Javier Milei, dont on cherche vainement un équivalent gaulois, c’est bien à coups de tronçonneuse qu’il faut dépecer le mammouth. Les ânes bâtés que nous sommes n’en peuvent mais de supporter ce pachyderme obèse et irresponsable. Afuera !