Dans Le Sursaut. Histoire intime de la Ve République, premier volume d’une trilogie, Franz-Olivier Giesbert nous livre donc une biographie personnelle du Général de Gaulle, tout en y glissant des éléments autobiographiques. Son livre, diablement documenté, se lit comme un roman.
De Gaulle vit sous nos yeux et la statue du Commandeur, figée dans son uniforme de militaire, visage austère d’un proviseur de province, personnage de Mauriac, disparaît pour céder la place à un homme fragile, certes inflexible quand il s’agit de la France et de ses ennemis, amateur de bonne chère, succombant au charme de sa secrétaire à Londres, Elisabeth de Miribel, en proie au doute, et pire encore, au désespoir nervalien.
L’homme qui tutoyait les présidents
D’emblée, le lecteur comprend que l’Histoire n’est pas seulement convoquée mais qu’il va être confronté au présent, au réel qui cogne de plus en plus fort. Les leçons du passé pour éclairer l’avenir en quelque sorte.
Et là, le livre de FOG prend une dimension insoupçonnée. Ce n’est pas seulement l’homme du 18 juin, qui a sauvé l’honneur de la France, condamné à mort par Vichy, honni des Américains qui avaient choisi dans un premier temps Pétain, puis Darlan et enfin Giraud, ce n’est pas non plus celui qui a accordé l’indépendance à l’Algérie, qui est devenu le premier président de la Ve République élu au suffrage universel selon sa volonté, ou encore celui qui vacilla en 1968 face aux soixante-huitards ivres de liberté individuelle, insultant les opposants traités de fascistes (un comble), ce n’est pas seulement tous ces événements fondamentaux que nous rappelle FOG, mais également il analyse, faits à l’appui, les coupables erreurs de ses successeurs. Avec l’érudition de celui qui a côtoyé, et parfois tutoyé, les présidents de la Ve république, il essaie de comprendre comment on a pu arriver « au degré zéro de la politique » d’une part, et comment les Français ont pu se donner corps et âme à Emmanuel Macron, liquidateur de la grandeur de la France, de sa culture, ou du moins ce qu’il en reste, promoteur de la déconstruction « woke », d’autre part. Giesbert : « De tous les présidents, Macron est celui qui, entre deux mea culpa sur la poitrine de la France, aura le plus préféré la position à genoux. » Du sang de pamphlétaire bout dans les veines du journaliste qui signa ses premiers articles à l’âge de 19 ans.
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D’emblée donc, FOG nous apprend qu’il vit désormais à Marseille, « capitale française du cosmopolitisme, ville-monde. » Il s’y sent bien, mais quelque chose le chiffonne, et il ose l’écrire, sachant qu’il s’attirera les foudres du camp tentaculaire du Bien : « Quand je me rends à pied à la gare Saint-Charles en passant par la Canebière, j’ai le cœur serré parce que, pendant le trajet, je n’ai entendu personne ou presque parler français. Que va-t-il arriver à notre langue? » La réponse se trouve dans le remarquable ouvrage de Richard Millet : Français langue morte (Les provinciales, 2020).
Les sujets qui fâchent
FOG égrène les sujets qui fâchent et qui sont développés par Eric Zemmour, habité lui aussi par la France, une France charnelle, menacée une nouvelle fois de disparition. Sa mission quasi christique n’est pas sans rappeler la trajectoire hors du commun du Général. André Malraux, écrivain gaullien inspiré (Lire ses Antimémoires en temps de catastrophes) avait écrit que de Gaulle avait non seulement porté le cadavre de la France en faisant croire qu’elle était vivante, mais qu’il l’avait également ressuscitée.
FOG nous rappelle que jamais de Gaulle n’a voulu conserver l’Algérie française. Il a bluffé tout le monde, faisant preuve d’un machiavélisme digne de François Mitterrand. Dès 1945, il confie à son jeune garde des Sceaux, Pierre-Henri Teitgen : « Il convient de limiter l’afflux des Méditerranéens et des Orientaux qui ont, depuis un demi-siècle, profondément modifié la population française. » Les germes du Grand Remplacement sont perçus par l’homme de la France libre. Il ne croit aucunement au mélange des cultures. Il faut transformer l’Algérie française non pour y rester mais pour la quitter. Au député UNR Alain Peyrefitte, trente-trois ans, il déclare, après avoir fustigé les partisans de l’intégration : « Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? » Le Général s’échauffe et conclut : « Si nous faisons l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées. »
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Intégration impossible, prévisions démographiques inquiétantes, risque à terme d’un président musulman à la tête de la France, servitude volontaire d’un peuple comparé à des veaux par le Général, c’est le roman Soumission de Michel Houellebecq avant l’heure. Mais comme le note FOG, qui colle à l’actualité, la décolonisation, voulue par de Gaulle pour éviter les déferlements migratoires, est un échec, et paradoxalement les prophéties du Général sont en train de se réaliser avec les conséquences, exacerbées par l’islamisme radical galopant, que dénonce aujourd’hui le candidat Zemmour. FOG cite les chiffres de l’Insee, minorées précise-t-il (pages 220/221).
Du « jouir sans entraves » à la bulle hygiéniste
Certains en ont voulu à de Gaulle d’avoir berné sans vergogne les partisans de l’Algérie française, à commencer par l’écrivain Michel Déon. L’auteur des Poneys sauvages n’a jamais digéré la trahison de celui dont la main n’avait pas tremblé quand il avait refusé, sous pression communiste, de signer le recours en grâce de Robert Brasillach, écrivain collaborateur, fusillé le 6 février 1945. Il n’acceptait pas que l’armée française, victorieuse sur le terrain, avait fait cadeau de cette victoire à l’adversaire, ajoutant : « Cela ne s’était pas produit en France depuis la rétrocession gratuite par Louis VII à l’Angleterre de l’Aunis, du Poitou et de la Saintonge. »
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Mais le fil rouge de cette étude iconoclaste reste la France menacée par une intégration impossible pourtant voulue par des dirigeants politiques et des journalistes soumis à l’idéologie progressiste. André Malraux met très vite en garde le Général contre « la poussée islamiste ». L’auteur de La tentation de l’Occident affirme, en 1956 : « Cette montée de l’Islam est analogiquement comparable au début du communisme du temps de Lénine. Les conséquences de ce phénomène sont encore imprévisibles. » Il poursuit : « Les données actuelles du problème portent à croire que des formes variées de dictature musulmane vont s’établir successivement à travers le monde arabe. » Comme l’écrit FOG, on peut être critique à l’égard du bilan de l’action politique du Général et ne pas supporter les spasmes lyriques de Malraux, « mais on ne peut les accuser de naïveté. »
Mai 68 voit la fin de Charles de Gaulle. Il est fatigué, le désespoir le mine. Les jeunes bourgeois veulent jouir sans entraves et prendre la place des ainés. Devenus boomers, ils révèrent Macron qui leur offre une bulle hygiéniste pour finir leur vie comme des sénateurs romains. Le Général meurt le 9 novembre 1970, « rongé par le chagrin », selon la confidence de son épouse Yvonne.
Et, comme Malraux, nous songeons au Gange qui « emportait des reflets bleus et rouges dans la nuit. »
Franz-Olivier Giesbert, Le Sursaut. Histoire intime de la Ve République, Gallimard.
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