Et si l’impensable se produisait ? Il y a quelques mois, à la simple évocation de cette hypothèse, on nous aurait ri au nez. Aujourd’hui, il n’est plus impossible que Florian Philippot claque définitivement la porte du Front national et rompe avec celle qui l’a fait (vice)-roi. En cette rentrée, bruits de couloir et signaux faibles se multiplient.
Après le naufrage de la présidentielle, l’humiliation du débat d’entre-deux-tours, Marine Le Pen a claquemuré le parti dans l’attente du congrès de janvier 2018. Çà et là, des critiques ont cependant fusé : trop anti-euro et socialisante au goût de Robert Ménard qui rêve d’une « union des droites », trop économiste selon le secrétaire général du FN Nicolas Bay, la plateforme présidentielle de Marine Le Pen est devenue une cible légitime. En tapinois, des homme-liges de Florian Philippot, pourtant en accord avec la ligne générale adoptée durant la campagne présidentielle, celle d’un mélenchonisme teinté de critique marxiste de l’immigration, leur ont répliqué vertement sur Twitter.
Philippot boys
A l’image de leur champion, ces jeunes gens font de la remise en cause de la sortie de l’euro une ligne rouge à ne pas dépasser. Sans quoi ils abandonneraient le parti de Jean-Marie Le Pen, pour lequel ils n’éprouvent aucune tendresse particulière, tant s’en faut. Se surnommant les « nationaux-républicains », les membres du premier cercle de Philippot n’ont jamais intégré la culture de droite du FN, ses références, ses totems, ses codes. Choc des cultures. Ils préfèrent la « nation citoyenne » aux patries charnelles, le Zambèze à la Corrèze, Castro à Salazar, lisent plus volontiers Sapir que Montherlant… Dernier coup de Jarnac, Florian Philippot himself vient de canarder « des résidus, chez certains, d’extrême droite (qui) ont la théorie du complot dans la tête » tandis que certains de ses fans brocardent « l’incapable Marine »…
Ce que révèle l’affaire Montel
Maintenant que le réseau social permet aux partis de laver leur linge sale au vu et au su de tous, telle une fosse d’aisance 2.0, on assiste aux scènes de ménage comme les spectateurs d’un mauvais vaudeville. C’est justement le comédien Franck de La Personne, très proche de Philippot, qui a tiré parmi les premiers : « La reine est devenue folle » twittait-il après l’éviction de Sophie Montel, une autre fidèle du trentenaire chevènementiste. Ce qui n’a pas empêché le saltimbanque de (vainement) solliciter Marine Le Pen pour se trouver un emploi au chaud…
L’affaire Montel a peut-être été la goutte d’eau de trop. Plus qu’une escarmouche, le conflit entre l’élue comtoise et la présidente frontiste a été un test pour les différentes factions du FN. Et la démonstration vivante que Marine Le Pen pouvait publiquement désavouer Philippot. Sophie Montel, conseillère régionale de Bourgogne-Franche Comté, récemment démise de ses fonctions et de son rang d’élu FN par Marine Le Pen, incarne la ligne Philippot pure et parfaite. Ce qui n’a pas toujours été le cas, puisque cette apôtre de la dédiabolisation, critique de l’angle « anxiogène » (sic) de son parti, a jadis émergé à Terre et Peuple, association créée par Pierre Vial pour promouvoir l’identité ethnique des Européens. Mais peu importe : le code a changé. On ignore les tenants et aboutissants exacts de la brouille Montel/Le Pen, mais sans doute l’agacement de la première à l’égard des prestataires de service du Front national a-t-il joué dans la balance. En s’en prenant intuitu personae aux Chatillon et compagnie, Montel a commis un crime de lèse-majesté, qu’elle a payé comptant.
Bis repetita?
Clin d’œil de l’histoire, fin 1998, le « pu-putsch » de Mégret avait été précédé du limogeage de plusieurs cadres locaux devenus ennemis de Jean-Marie Le Pen. L’association « Les Patriotes » sera-t-elle le MNR de Philippot ? Mutatis mutandis, la caste de technocrates mégrétistes qui souhaitait arracher le Front national à la famille Le Pen et lui faire entamer sa mue en parti de gouvernement, a quelque ressemblance avec la fronde philippotiste. Dans une droite nationale jamais vraiment guérie de sa tentation groupusculaire, les scissions sont aussi vieilles que l’histoire du FN.
Florian Philippot provoquerait un coup de tonnerre en démissionnant du FN. Comme me le souffle un cadre frontiste, « Jean Messiha pourrait être le dernier énarque médiatique fidèle à Marine Le Pen. De quoi donner une tendinite à ce « Français de souche par naturalisation » (sic), accro aux réseaux sociaux » qui hait cordialement Philippot et n’a pas conscience du ridicule de ses tweets.
Pour Marine Le Pen, ce serait un crève-cœur. Et un énorme coup politique à encaisser : contestée jusque dans son propre parti, elle perdrait son plus proche allié. A moins que la candidate déçue à la présidentielle ne fasse preuve d’une intelligence toute machiavélienne en chargeant son second de tous les maux, histoire de faire peau neuve. Il est toujours difficile de prévoir les conséquences d’une dispute de famille et de savoir à l’avance qui se blessera lorsque les assiettes voleront.
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