Causeur. Vous avez récemment confié au Monde que, hormis sur l’Europe, vos convictions politiques n’avaient globalement pas changé depuis votre adhésion au RPR au début des années 1980. Il y a pourtant un fossé entre les positions libérales que vous défendiez au côté de Jacques Chirac et le projet social-étatiste de Marine Le Pen !
Philippe Martel. À l’époque, une grande partie de la classe politique était imprégnée de la pensée libérale des « reaganomics ». Mais je n’opposerais pas aussi frontalement l’État stratège, interventionniste et protecteur de Marine Le Pen au libéralisme économique. On peut à la fois vouloir un État fort et être favorable à la libre entreprise. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la France cultive ces deux approches dans son économie mixte. Pendant la crise financière de 2008, grâce à ce modèle, elle a d’ailleurs mieux absorbé le choc que la plupart de ses partenaires européens.
Mais si l’on en croit Marine Le Pen, l’Union européenne nous impose des diktats libéraux qui détricotent le fameux « modèle français »…
C’est ce que j’ai, hélas, mis du temps à comprendre : derrière les traités européens se cachent des politiques économiques et sociales ultralibérales. Rétrospectivement, je crois avoir commis une lourde erreur au RPR, à l’époque, en menant campagne pour le traité de Maastricht aux côtés de Jacques Chirac et d’Alain Juppé. Les analyses de Philippe Séguin correspondent bien davantage à ce que je pense aujourd’hui. Ce gaullisme social et souverainiste que le RPR a abandonné en se dissolvant dans l’UMP, c’est désormais le FN qui l’incarne ![access capability= »lire_inedits »]
Le souverainisme s’incarne aussi chez certains députés UMP comme Henri Guaino ou Jacques Myard. Pourquoi n’avez-vous pas tenté de défendre une ligne gaulliste à leurs côtés ?
Comment défendre une quelconque ligne dans un parti présidé par un Jean-François Copé et qui compte au moins sept prétendus présidentiables ? Depuis sa création, l’UMP rassemble des personnalités aux convictions très différentes, s’agissant de la souveraineté comme de l’économie. Mais si les anciens RPR contrôlent l’appareil, idéologiquement, c’est l’UDF qui a gagné. Cette « udéfisation » laisse au Rassemblement bleu marine un vaste espace politique.
Un espace également convoité par Nicolas Dupont-Aignan, au parcours gaulliste proche du vôtre. Pourquoi ne pas l’avoir rejoint ?
J’inverserais votre question : pourquoi Nicolas Dupont-Aignan n’est-il pas avec nous ? Je ne vois pas bien ce qui le sépare idéologiquement de Marine Le Pen. Debout la République n’a pas atteint la taille critique pour peser de manière indépendante. La logique voudrait qu’il fasse prospérer sa formation au sein du RBM.
De son côté, Dupont-Aignan critique l’aspect dynastique du FN, arguant que votre parti est aux mains d’une famille. Que lui répondez-vous ?
Marine Le Pen n’a pas hérité du parti. Elle a été élue présidente du Front national après une campagne interne très disputée. La bataille a été sérieuse, idéologique, sans bourrages d’urnes ni favoritisme.
Si les militants du FN se reconnaissent majoritairement dans la figure de Marine Le Pen, la base du parti se retrouve-t-elle vraiment dans ses discours ? On a l’impression que vos candidats locaux sont tantôt identitaires, tantôt gaullistes, tantôt libéraux, avec le rejet de l’immigration comme seul dénominateur commun.
Tout le monde adhère à la ligne mariniste. Même s’il y a des nuances et une grande liberté de pensée, les militants du Front national sont derrière leur présidente.
Même Bruno Gollnisch ?
Lorsque Marine Le Pen lui a récemment demandé d’abandonner le groupe de l’Alliance européenne des mouvements nationaux, qui comptait certains partis peu fréquentables, il l’a fait immédiatement.
Une preuve, en effet… Malgré ces gestes de bonne volonté, le FN peine à adopter une image présentable. Nombre d’électeurs reprochent à Marine Le Pen de piétiner le « pacte républicain » en stigmatisant les musulmans…
Je suis un peu juriste et je ne sais pas ce qu’est le « pacte républicain ». La France a une Constitution dont le préambule renvoie notamment à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ça, c’est du concret. Le « pacte républicain » et les « valeurs de la République » sont des notions dont je me méfie. On emploie de plus en plus ces expressions, mais sans jamais préciser ce qu’elles recouvrent. On nous expliquera bientôt que le multiculturalisme, la diversité, le métissage ou le vivre-ensemble sont des valeurs de la République. À ce propos, je suis stupéfait que l’on n’ait pas davantage relevé les propos de Malek Boutih, qui disait récemment à Florian Philippot, en direct à la télévision : « Même si vous arrivez au pouvoir par les urnes, vous ne serez pas légitimes ! » Au motif que le Front national ne respecterait pas ce fameux « pacte républicain », certains sont donc prêts à bafouer la démocratie.
La présidente du FN a tout de même laissé entendre que des millions de Mohamed Merah en puissance allaient déferler sur nos côtes…
Les propos de Marine Le Pen ont été exploités de manière absolument scandaleuse. Elle avait simplement déclaré qu’il y aurait peut-être des futurs Mohamed Merah parmi les nouveaux arrivants. S’il y a un Merah bis, il y a peu de risques que ce soit un Thaïlandais ou un Argentin venu s’installer en France. Je ne vois pas ce qu’il y a de scandaleux à le dire.
Le tireur parisien, un certain Abdelhakim Dekhar, s’il est d’origine algérienne, n’a a priori aucun lien avec les milieux islamistes. N’exagérez-vous pas la menace intégriste, au risque de montrer du doigt l’ensemble des Français musulmans ?
Soyons pragmatiques. La question de l’islam se pose aujourd’hui en France pour deux raisons : l’afflux d’immigrés de confession musulmane et la montée du fondamentalisme.
Cela fait longtemps que la France accueille des immigrés musulmans. Mais leur nombre a littéralement explosé. En démographie, ce ne sont pas les principes, c’est le nombre qui compte. De surcroît, l’islam s’est radicalisé. Dans les années 1960, 1970 ou 1980, on n’aurait pas songé que l’immigration puisse engendrer un Mohamed Merah. Le processus par lequel ce dernier est devenu français me semble d’ailleurs devoir être complètement revu. Nos lois sur la nationalité sont devenues aberrantes.
Merah est né en France. Reniez-vous le droit du sol au profit du droit du sang ?
Oui. On diabolise le droit du sang en insinuant qu’il serait là pour perpétuer je ne sais quelle pureté raciale. L’un de mes enfants est né à l’étranger où je travaillais. J’aurais trouvé très étrange qu’on lui donne la nationalité d’un pays qui n’était pour moi qu’un lieu de passage et dont je n’avais pas adopté la culture, même si j’en respectais scrupuleusement les modes de vie.
Mais les immigrés et leurs enfants ne sont pas simplement « de passage ». Pensez-vous qu’il existe une identité française immuable que leur présence altère ?
Étant moi-même d’origines très diverses, avec notamment du sang chinois, je serais mal placé pour défendre le principe d’une identité française pure et intangible. Mais, sans vouloir essentialiser les choses, force est de reconnaître qu’il y a bien un type français, italien ou allemand que tout le monde a en tête. Si je vous demande d’imaginer un Italien, vous vous figurerez un homme latin, sans doute catholique, plutôt qu’un Asiatique ou un Africain. Contester une telle évidence, c’est nier le réel.
Que voulez-vous dire ?
Il est beaucoup plus facile pour des immigrés issus de cultures européennes, sédentaires et judéo-chrétiennes de s’intégrer en France que pour des étrangers d’origine musulmane.
Ceci étant, il y a beaucoup d’exceptions à la règle. Je pense à Rachida Dati, modeste fille d’immigrés marocain et algérien, dont l’ascension mérite le respect. Hélas, elle a appelé sa fille Zohra, ce qui contredit son parcours. Il y a là un signal de refus de l’assimilation ou du moins une marque d’incompréhension de ce qu’elle suppose. De la même manière, je regrette que Nicolas Sarkozy, président de la République, ait donné à sa fille un prénom italien.
Pensez-vous qu’on puisse intégrer des millions de personnes en leur donnant des prénoms français ?
Bien sûr que non. Mais si l’on ne fait pas de petits efforts de ce genre, on ne se donne aucune chance d’intégration. Les bobos se moquent des Kevin et des Priscilla issus des classes populaires, mais ne voient rien à redire à l’emploi de prénoms étrangers par les élites. Deux poids, deux mesures.
Polariser le débat public sur les questions d’immigration, d’islam et d’intégration ne crée-t-il pas un climat dangereux ? Sans vouloir nier la réalité, on peut craindre qu’une parole totalement décomplexée attise le racisme et la xénophobie.
Je crois au contraire que ce qui est dangereux c’est de considérer que le peuple n’a pas à aborder ces sujets. S’il y a un climat à déplorer, c’est plutôt l’intoxication médiatique que nous subissons de la part des professionnels de l’antiracisme. Heureusement qu’Abdelhakim Dekhar a été assez vite arrêté car, si l’affaire avait duré, on allait nous seriner, comme au début de l’affaire Merah : « Ça y est, c’est le Breivik français ! »
La garde des Sceaux a néanmoins essuyé de lourdes attaques racistes !
Soyons clairs : ces attaques racialistes sont intolérables et ridiculisent leurs auteurs. En substance, on peut résumer le message à : « Elle est noire, donc elle est moins bien. » C’est d’une bêtise sans bornes. Mais je ne pense pas que cela renvoie à un phénomène plus large dans l’opinion. Christiane Taubira a suscité la rancœur des opposants au « mariage pour tous » ou à sa politique pénale laxiste, mais si son action est critiquée, ce n’est pas parce qu’elle est guyanaise. Elle aurait été d’origine asiatique comme Fleur Pellerin ou viendrait de la Nièvre comme Arnaud Montebourg que cela n’aurait rien changé aux critiques.
Pour réconcilier les Français, vous avez dernièrement appelé à tourner la page de la guerre d’Algérie. Est-elle vraiment restée ouverte depuis 1962 ?
Je crois en effet que cette plaie est toujours vive. La France a traité les pieds-noirs en vaincus, comme si elle avait honte d’eux. Même si, en 1962, j’aurais voté pour l’indépendance de l’Algérie, je comprends la souffrance des rapatriés. On ne parle jamais vraiment d’eux, mais ils gardent en mémoire l’accueil qui leur a été réservé à l’époque à leur arrivée en métropole.
Comment le Front national, traditionnellement attaché à l’Algérie française, pourrait-il panser cette blessure ?
C’est justement parce que le FN est lié à cette histoire qu’il peut réconcilier les mémoires. En accueillant des gaullistes comme Florian Philippot ou moi-même sans renier le passé de son parti, Marine Le Pen montre qu’elle peut réduire cette fracture entre les droites et rassembler bien au-delà.[/access]
*Photo : Hannah.
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