On disait le vieux FN suranné de Jean-Marie mort et enterré sous les gravats de la dédiabolisation bleu Marine. Et voilà qu’émerge la jeune pousse des nouvelles générations, incarnation de la relève, qui, telle une edelweiss, s’est lentement frayée un chemin au travers des querelles intestines et familiales qui n’en finissent plus d’attiser la Flamme. Fragile et délicate en surface, avec son teint diaphane et ses manières de fille de bonne famille. Mais enracinée en profondeur dans un discours résolument identitaire et traditionaliste. Marion Maréchal-Le Pen est un fascinant paradoxe. Symbole à la fois de jeunesse et de convictions archaïques ; emblème du renouveau mais s’appuyant sur les méthodes politiciennes les plus éculées, celles des belles formules qui font vibrer les foules au diapason d’un cri de ralliement paraissant confondre résistance et régression ; icône du franc-parler, du naturel, de la spontanéité, qui dissimulent une stratégie de communication parfaitement rodée. La preuve, sa jeunesse et son inexpérience, les mêmes que l’on reprochait au fils Sarkozy quand il briguait l’Epad, ne constituent pas même un obstacle. Car contrairement à lui, elle a savamment su faire oublier qu’elle est une « gosse de bourges » pour séduire les couches populaires.
Marion Maréchal-Le Pen est l’antithèse de Florian Philippot. Là où il s’efforce d’impulser un semblant de modernité, de fibre sociale et de pragmatisme, elle renoue avec des psalmodies de chaisière nourries aux deux mamelles de la frange la plus radicale du FN : le passéisme et le conspirationnisme. La nostalgie n’est pas un vilain défaut. Elle est salutaire quand elle réconcilie un peuple avec son Histoire, sa culture – osons dire son âme. Mais elle devient perverse quand elle tend à lui faire croire que tout était « mieux avant » et que chaque conquête sociétale serait nocive par essence. S’attaquer au planning familial est, à ce titre, très révélateur. Il y a deux ans, un rapport de la Cour des comptes régionale critiquait vivement des pratiques clientélistes dans l’attribution des subventions aux associations en Paca, entre 2006 et 2011 – de nombreuses structures sportives « de proximité » bénéficiant de largesses assez inexplicables. Jetons également un coup d’œil à la liste des subventions accordées en 2014 par la Région, soit 122 pages égrenant quelques milliers d’associations. Certaines sont d’une utilité incontestable : le Pôle service à la personne, qui touche 237 563 euros ; l’observatoire régional des métiers, qui encaisse 1 160 000 euros, et celui de la santé, 379 000 euros. Des établissements d’enseignement privé catholique se voient allouer de coquettes sommes dépassant les centaines de milliers d’euros. Une kyrielle d’associations prétendument artistiques ou culturelles récoltent entre 5000 et 10 000 euros, voire 100 000. Mais c’est le planning familial, gratifié d’à peine 200 000 euros, qui clignote dans le collimateur de Marion Maréchal-Le Pen, car il « banaliserait » l’avortement. Avec les mêmes énormes sabots qu’un Nicolas Sarkozy qui avait déclaré, en avril 2012, vouloir remettre en question l’accès anonyme à la pilule pour les mineures, la candidate frontiste multiplie les œillades à son précieux électorat catho tradi, quitte à asséner des contre-vérités en piétinant dans la foulée les droits individuels.
La vocation première du planning familial, qui accueille 500 000 personnes par an dans ses 76 centres français, est d’informer des femmes (mais aussi des hommes) mal renseignés sur les modes de contraception et les maladies sexuellement transmissibles. De mémoire, on n’a jamais vu des hordes de femmes faire la queue devant un planning familial pour se faire avorter. L’IVG ne motive d’ailleurs que 16% des consultations. Entraver ces associations revient à accroître les risques de grossesses non désirées chez les plus jeunes mais aussi à pénaliser les plus précaires, que le FN prétend pourtant défendre en priorité. Dans un pays qui compte six millions de chômeurs, huit millions de citoyens sous le seuil de pauvreté, où 86 % des nouvelles embauches sont d’éphémères CDD et où le mal-logement s’aggrave, on voudrait nous faire avaler que c’est le planning familial qui encourage les IVG. La députée ignore ce qu’est le quotidien d’un smicard au fin fond d’une banlieue inhospitalière. Souhaite-t-elle seulement s’y intéresser ? De même, elle voudrait ainsi responsabiliser les femmes trop insouciantes adeptes de l’avortement « de confort », comme si la loi avait pour vocation de punir les étourdis, sachant, en outre, que seules 9,5 % des Françaises ont subi deux IVG et 4,% au moins trois, selon l’Ined. « Banalisé », l’avortement ? On dénombrait 246 000 IVG en France en 1976 contre environ 220 000 aujourd’hui, alors que la population a augmenté de quelque quinze millions d’individus. On estime qu’avant la loi Veil, se pratiquaient entre 250 000 et 600 000 avortements clandestins par an. Autant de femmes charcutées par des faiseuses d’anges qui leur abandonnaient parfois leur fertilité future ou, dans le pire des cas, leur vie.
Au-delà des statistiques, se profile un petit arrière-goût de théorie du complot chère à une partie de l’électorat nationaliste. L’avortement contribuerait au remplacement de population, partant du principe très hypothétique que seules les Françaises de souche y auraient recours tandis que les immigrées pondraient une ribambelle de marmots. On leur objectera que les premières n’ont pas à se caler sur le mode de vie des secondes. Le choix de notre identité, de notre culture, réside aussi dans le libre-arbitre que nous entendons insuffler à notre destinée. Et non dans le dessein de substituer un intégrisme à un autre. Freiner l’immigration et l’islamisation de la France, préserver nos coutumes, nos églises, nos crèches de Noël, notre civilisation, est une chose. S’immiscer dans la vie privée des citoyens au mépris des lois républicaines, pour y prescrire une vision unilatérale de ce qui serait « moral » ou pas, inspire autant l’inquiétude que la consternation. Où s’arrêtera l’ingérence ?
Finalement, l’élue frontiste pourrait bien avoir amorcé malgré elle une rediabolisation de son parti, en ravivant sa mouvance la plus obscurantiste et déplaisante, la plus hostile aux libertés (surtout celles des femmes), aux antipodes de la ligne plus fédératrice de sa présidente. Le planning familial est, de longue date, estampillé à gauche. À travers lui, Marion Maréchal-Le Pen conspue, avec une démagogie à l’emporte-pièce, l’esprit « libéral-libertaire » hérité des soixante-huitards et haï des droites extrêmes. Qu’importe la couleur politique d’une association si elle peut permettre d’éviter des drames. Marion Maréchal-Le Pen est trop jeune pour avoir connu les grossesses qu’on « fait passer » à coups d’aiguilles à tricoter. Trop jeune même pour avoir assisté à l’hécatombe du sida dans les années 80. Trop jeune pour gouverner une région ?
*Photo: Sipa. Numéro de reportage : AP21832869_000015.
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