Les lecteurs de mes deux romans le savent, je ne manque pas de curiosité pour les personnages féminins franc-comtois, surtout s’ils ont du caractère. Comtoise rends toi ! Nenni ma foi, pour féminiser la devise régionale. Sophie Montel peut-elle entrer dans cette catégorie ?
Rencontre avec une « apparatchik »
C’est la question que je me posais en me rendant à son domicile, samedi, dans une bourgade du Grand Besançon. La veille, alors qu’elle était sous le feu des médias parisiens, elle avait accepté le principe d’une conversation et m’avait donné rendez-vous. Trente ans de Front. Une apparatchik, comme elle en plaisante elle-même. Licenciée en histoire, attachée de groupe au conseil régional de Franche-Comté, puis conseillère régionale, présidente de groupe. Le feu des médias, déjà, lorsqu’elle manque de reprendre la circonscription de Pierre Moscovici, en février 2015, mobilisant la venue de Manuel Valls deux fois. Le feu des médias toujours, lorsqu’elle n’est pas très loin de devenir la seule présidente de région FN, dix mois plus tard. Au Front comme ailleurs, on se fait beaucoup d’ennemis en trente ans de politique. Mais Sophie Montel imaginait-elle subir un jour ce courroux de Marine Le Pen ?
Lalanne désavoue Montel
Vendredi, tous les conseillers régionaux FN de Bourgogne-Franche-Comté ont reçu l’ordre de quitter le groupe qu’elle présidait à Dijon et d’en recréer un nouveau sans elle. Sur vingt-quatre élus, six ne l’ont pas lâchée et siègent aujourd’hui avec elle chez les non-inscrits. Et l’ordre venait d’en haut. Il avait été soigneusement préparé. Jeudi, Marine Le Pen l’a reprise de volée sur Twitter, avec le compte « Anne Lalanne ». « Anne Lalanne », le fameux compte Twitter dont la présidente du FN niait être la titulaire, avant de se prendre les pieds dans le tapis en envoyant un mail à des journalistes avec l’adresse dudit compte. Jeudi, « Anne Lalanne » n’est pas contente et tance Sophie Montel en lui reprochant une provocation.
Le travail de réflexion nécessaire ne fait pas bon ménage avec la provocation grossière… https://t.co/0FLKZqBl1z
— anne lalanne (@enimar68) 29 juin 2017
La provoc’ en est-elle vraiment une ? Sophie-la-malicieuse souhaite participer au débat de la refondation du FN, initiée par Marine-la-patronne. Et elle pose la question suivante sur Twitter : « Pour la refondation du FN, souhaitez-vous parler : A) D’identité et de musulmans B) De tous les sujets ». Anne Lalanne dégaine : « Le travail de réflexion nécessaire ne fait pas bon ménage avec la provocation grossière… ». Pourtant, la présidente du FN sait quelles sont les positions de Sophie Montel. Celle-ci les a exposées clairement au dernier bureau politique. L’approche du FN sur l’immigration peut être vécue comme anxiogène par de nombreux électeurs. Ceux-là ont questionné Sophie Montel sur les marchés. « Ma fille a épousé un homme originaire de tel pays. Seront-ils expulsés si vous arrivez au pouvoir ? ». Et beaucoup d’autres, du même tonneau. « J’voudrais bien voter pour vous, mais j’peux point ! ». Là où beaucoup d’autres expliquent que c’est la sortie de l’euro qui génère de l’anxiété et constitue le plafond de verre, Montel prend le contre-pied.
Bay et Olivier en embuscade
Qu’elle l’expose au bureau politique dans l’indifférence générale passe encore. Mais qu’elle en plaisante sur Twitter, Marine Le Pen met le holà. Or la candidate du FN à la présidentielle sait très bien, au moment où elle recadre Montel sur Twitter, que la décision de la débarquer de sa présidence de groupe à Dijon est déjà prise. Sophie-la-naïve ne peut pas l’imaginer. Au fait, quelle est la raison officielle de cette disgrâce ? Le fait que Montel ne souhaite pas sanctionner deux de ses lieutenants au conseil régional, Julien Acard et Antoine Chudzik, suspendus du parti depuis quelques jours pour avoir critiqué l’organisation logistique des élections législatives. Des bulletins, des tracts qui n’arrivent pas en temps voulu. En trente ans de Front, Montel n’avait jamais vu ça et elle ne s’est pas privée de le dire en haut lieu.
L’élue franc-comtoise n’a donc aucune raison de se priver des services de ses hommes de confiance. Ajoutant que cette critique sur l’organisation a été largement partagée dans le Front de la France entière, toutes tendances confondues. Marine Le Pen considère cet acte d’autonomie comme un refus de se soumettre à son autorité. Et voilà comment on décide de couper la tête de Sophie Montel. Reconnaissons-le, il est difficile de croire que Marine Le Pen ait pris une telle décision sur des motifs aussi futiles. Ce qui est reproché à Montel, c’est de seconder Florian Philippot avec beaucoup de zèle. Elle énerve beaucoup de cadres du FN, et de proches de Marine Le Pen. Parmi eux, Nicolas Bay, le secrétaire général, et Philippe Olivier, beau-frère de la présidente. Montel n’a pas l’air de les apprécier non plus, ces deux-là. Elle a vécu la scission. Bay et Olivier étaient du camp des mégrétistes ; elle était restée fidèle au patriarche. Bay n’apprécie pas, il est vrai, qu’on critique l’organisation de la campagne des législatives dont il avait la responsabilité.
Ligne contre ligne
Mais, idéologiquement, Bay est de ceux qui critiquent la ligne sociale-souverainiste incarnée par Philippot et partagée par Montel. Même sur les sujets sociétaux, il s’est opposé à elle. Coïncidence distrayante : c’est à l’occasion d’un repas à Montretout où Marine Le Pen a annoncé à ses cadres qu’elle souhaitait réintégrer Nicolas Bay, qu’elle a découvert la présence de deux jeunes hommes inconnus. Il s’agissait de Florian et Damien Philippot. Ces deux-là, et en particulier le premier, elle a appris à les aimer.
A ce propos, on l’interroge sur leur rôle dans la préparation du débat du second tour. On a lu dans Le Canard, qu’ils faisaient partie des mauvais conseilleurs, ceux qui ont préconisé de cogner sur Macron comme une sourde afin de le faire craquer. Elle les innocente. Ils ont simplement préparé les fiches thématiques. Celui qui a pu avoir une influence délétère, c’est Philippe Olivier. Tiens, tiens… Du reste, Sophie trouve des excuses à Marine. « Elle était fatiguée, faisait trois déplacements par jour… » Quoi qu’il en soit, Sophie Montel convient que les conséquences de ce débat se sont vite traduites sur le terrain.
Boules de neige à Strasbourg
De terrain, nous en changeons. On a envie qu’elle nous raconte cette histoire des assistants parlementaires du MoDem, qui a quand même fini par aboutir au départ de trois ministres, dont François Bayrou, ex-Garde des sceaux et de la moralisation de la vie politique. C’est elle, et son lieutenant Antoine Chudzik qui ont déclenché l’affaire judiciaire. Elle raconte. « Nous googlisions tous les assistants parlementaires des députés français au Parlement européen dans notre bureau. Nous cherchions à savoir s’ils apparaissaient dans des organigrammes de partis ou de campagnes électorales. Parce que c’est exactement cela qui nous était reproché. » Et ils trouvent. Ensuite, il fallait faire le signalement au procureur. Au FN, personne ne se bouscule, en pleine campagne électorale, pour jouer les auxiliaires de justice. Alors, Marine Le Pen finit par trancher, appuyé par Florian Philippot, c’est Sophie Montel qui doit finir le (sale) boulot. Le travail continue toujours, d’ailleurs.
Un gros poisson…
Mon hôtesse m’offre une info exclusive : le prochain poisson est un gros. Il fait aussi l’objet d’un signalement de sa part. Il n’est plus député européen et siège aujourd’hui au Palais-Bourbon ; il préside un groupe et a décidé de ne pas porter de cravate ; vous avez deviné ? Cette histoire participe à notre perplexité sur la disgrâce de Montel. Pourquoi Marine Le Pen décide-t-elle de s’en prendre à celle qui a démontré que ce qui était reproché au FN constituait en fait un système généralisé ? Considérer que c’est juste un acte d’autorité, c’est un peu court ! N’est-ce-pas Philippot qu’on vise à travers elle ? Ce dernier est-il encore le stratège préféré de Marine Le Pen ? La malédiction des numéros deux du FN va-t-elle faire une nouvelle victime ? Sophie Montel ne veut pas y croire. « Ce n’est pas logique. Cette stratégie a fait ses preuves. C’est celle de Marine. Je n’ai jamais cru à l’union des droites. Elle non plus. » Elle ne veut pas y croire mais se lance dans un long plaidoyer pour son ami Florian. On lui reproche d’être cassant ? Son image au sein des adhérents du FN n’est-elle pas écornée par une attitude froide, qui passe parfois pour de l’arrogance ? Que nenni ! « En fait, il est réservé.» Et elle finit par lâcher : « Je déteste l’injustice. Lutter contre l’injustice, c’est le fil rouge de ma vie politique. Et ce qui arrive à Florian est injuste.» Sophie Montel a enfin lâché le morceau. Elle sait pertinemment que c’est Philippot qui est visé. Que les critiques d’Acard et Chudzik, ou de ses tweets « provocateurs » ne sont que des prétextes. Qu’il ne s’agit pas seulement d’un coup de sang de Marine Le Pen.
Florian et Sophie ont lancé comme un défi
Sophie Montel et Florian Philippot demandent l’apaisement. Y croient-ils seulement ? Celle qui a perdu son statut de leader du Front en Bourgogne-Franche-Comté, et qui s’amuse des premières bisbilles autour de sa succession à la tête du groupe au Conseil régional, a vécu la violente histoire de son parti. Elle promet d’accompagner Acard et Chudzik devant les instances disciplinaires du parti pour les défendre avant d’ajouter : « Peut-être que je serai suspendue d’ici là et que ce sera aussi pour me défendre. »
Sur le chemin de retour, je repense à ce que je lui ai glissé au milieu de notre longue conversation. Je lui ai dit mes doutes sur les qualités de chef de Marine Le Pen. Que penser de quelqu’un qui laisse pourrir des situations, incapable de convoquer Marion Maréchal Le Pen et Florian Philippot et de leur intimer l’ordre de se parler, enfin ? De quelqu’un qui finit par couper une tête sous la pression de son entourage ?
A-t-elle vraiment l’étoffe d’un chef ? N’est-ce pas rassurant qu’elle ne soit pas devenue présidente de la République ? Sophie Montel a gardé ses réponses pour elle. On la comprend. Qui sait si ses réponses n’auraient pas aggravé son cas…
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