La guerre de tranchées que se mènent Marine Le Pen et son père se poursuit. La semaine dernière, la Cour d’appel de Versailles a confirmé le jugement en référé en première instance vidant de son sens le congrès par correspondance organisé par la présidente du FN, lequel avait notamment pour objet de supprimer le titre de président d’honneur.
Mais comme l’explique le journaliste Laurent de Boissieu sur le site Atlantico, « Marine Le Pen a perdu une bataille mais n’a pas perdu la guerre face à Jean-Marie Le Pen […] Les juges n’ont pas dit qu’un congrès extraordinaire ne pouvait pas réviser les statuts du FN pour en supprimer la présidence d’honneur, mais simplement que le silence des statuts ne permet pas de l’organiser par correspondance. Les juges n’ont pas dit que le bureau exécutif du FN ne pouvait pas sanctionner Jean-Marie Le Pen, mais simplement qu’en l’espèce il ne pouvait pas être suspendu pour une durée liée à la tenue dudit congrès extraordinaire. Bref, bien qu’à court terme Jean-Marie Le Pen peut jubiler et rester président d’honneur du FN, à long terme Marine Le Pen possède les outils juridiques pour l’en déloger. »
Marine Le Pen semble aujourd’hui convaincue que sa crédibilité politique ne pourrait souffrir d’un maintien de son père dans les fonctions de président d’honneur. Pour avoir ironisé dans ces colonnes, allant même jusqu’à la comparer au personnage joué par Michel Galabru dans Le Viager, nous n’en saurions la blâmer. Depuis janvier 2011, le FN n’a cessé de progresser tant en nombre d’adhérents (qui a progressé au quintuple) que par le nombre de ses électeurs (qui a doublé). Mais il se heurtait néanmoins à un plafond de verre lors de confrontations au deuxième tour auxquels il accédait ainsi plus facilement. Le report des voix au second tour répond à d’autres exigences que celui du premier, lequel suppose soit adhésion, soit protestation. Quand on arrive en finale d’une élection, il faut être considéré comme un vote acceptable en second choix. Or, si le FN avait augmenté ses scores dans ce type de confrontation lors d’élections partielles, il butait le plus souvent contre un plafond de verre, car certains électeurs rechignaient à déposer un bulletin mariniste dans l’urne à cause de la présence de l’ancien FN que symbolisait la fonction honorifique de Jean-Marie Le Pen.
Il semble que Florian Philippot ait fait cette analyse depuis longtemps, c’est pourquoi il n’a pas hésité à saisir l’occasion de déclarations du fondateur du FN pour précipiter la disgrâce et convaincre Marine Le Pen que le moment était enfin venu de tuer le père. Ceux qui refont après coup le match judiciaire en pointant l’amateurisme du duo Marine Le Pen-Florian Philippot sont sans doute un peu de mauvaise foi. Devant le silence des statuts sur la possibilité ou non d’un congrès par correspondance, il n’était pas du tout évident a priori que ce dernier serait censuré par la Justice. La présidente du FN souhaitait régler la question le plus rapidement possible et de la manière la moins spectaculaire. Ce ne sera donc pas le cas. Un vote public sera sans doute encore plus violent et humiliant pour Jean-Marie Le Pen, ce que tout le monde, elle et sa nièce Marion compris, souhaitaient éviter. La récente victoire de Jean-Marie Le Pen devant les juges apparaîtrait comme une victoire à la Pyrrhus et pourrait même bénéficier à long terme à sa fille. Plus cette éviction sera spectaculaire, plus les électeurs qui craignaient d’apporter leur suffrage dans un second tour à cause de la présence du père-fondateur seront libérés de leurs réticences.
Est-ce parce qu’elle partage cette analyse que la sphère médiatico-politique se félicitait bruyamment et presque joyeusement des décisions de justice maintenant Jean-Marie Le Pen à la fonction de président d’honneur ? Si tel n’est pas le cas, c’est rudement bien imité. Les réactions sur Twitter à la décision de la Cour d’appel étaient empreintes d’une certaine satisfaction, voire parfois d’une joie, à tel point qu’on se demandait si certains n’étaient pas partis en voiture faire le tour de la mairie en klaxonnant, juste après leur tweet. C’est l’impression que donnait notamment celui de l’ex-ministre Frédéric Cuvillier le 28 juillet : « 3-0 ! Marine Le Pen, Marion, Aliot, Collard, avocats ou diplômés en droit, les « sommités » juridiques du FN encore mises en échec par le patriarche renié ». On souligne l’affectueuse référence au « patriarche ». Jean-Marie Le Pen is a star ! Du moins encore au Parti socialiste. Peu après, un sondage annonçait que Marine Le Pen n’était en rien affectée en termes de popularité par la guerre dans son parti. Gueule de bois pour les klaxonneurs autour de la mairie, qui n’avaient pas envisagé une seconde que l’éviction de l’ami de Rivarol déçoive l’électorat constitué par Marine Le Pen depuis quatre ans. Les klaxonneurs ont d’ailleurs trouvé avec Jean-Marie Le Pen un outil de détestation commun, Florian Philippot. Trop énarque, trop à gauche. Evidemment, ils passent sous silence les relents d’homophobie qui accompagnent la haine suscitée par le numéro deux du FN de la part de leur désormais patriarche favori. Mais certains, à l’instar de l’ancien conseiller du « Reagan français », Lorrain de Saint Affrique, envisagent même que Marine Le Pen se sépare de son stratège préféré, décidément si inefficace depuis quatre ans. On rêve…
Dans cet océan de bêtises, on a même fini par trouver sagesse et pertinence à Roland Cayrol, vendredi soir sur France 5, lequel sait tout de même compter, les voix engrangées par le FN. L’ancien sondeur a déjà fait une croix sur Jean-Marie Le Pen, qui ne compte plus selon lui pour les électeurs FN. Parvenir à me mettre d’accord avec Roland Cayrol, voilà au moins un exploit au crédit de ceux qui klaxonnent sans pudeur leur attachement à leur diable favori.
*Photo: Laurent Cipriani/AP/SIPA. AP21759660_000001.
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