Le congrès du FN a livré son verdict. Ce n’est pas l’élection de Marine Le Pen qui passionnait les foules. Contrairement au congrès de Tours en janvier 2011, personne n’était candidat face à elle. Elle a donc obtenu 100 % des suffrages exprimés, logique mathématique implacable. C’est donc l’élection du comité central qui focalisait l’attention. Les observateurs guettaient l’ordre d’arrivée avec appétit ; il s’agissait de savoir notamment si Marion Maréchal-Le Pen arriverait devant Florian Philippot et quels seraient leurs classements respectifs dans le cœur des militants. Dès samedi, les résultats filtraient : la députée du Vaucluse franchissait la ligne d’arrivée en tête avec 80% des suffrages, suivie de Louis Aliot avec 76%, Steeve Briois avec 70%, Florian Philippot avec 69% et Bruno Gollnisch avec 65%.
De ce classement, la plupart des observateurs a cru pouvoir tirer des conclusions légèrement hâtives. Florian Philippot aurait pris une grosse baffe et la première place de la nièce de Marine Le Pen constituerait un choix politique de la part des militants frontistes qui préféreraient ainsi abandonner la stratégie incarnée par ce maudit squatteur de médias, au profit de celle, plus libérale sur le plan économique et davantage conservatrice sur le plan sociétal, incarnée par Marion Maréchal Le Pen. Les mêmes observateurs s’appuyaient concomitamment sur un sondage publié ce week-end par Marianne, où l’on pouvait lire que les électorats respectifs du FN et de l’UMP seraient plutôt favorables à des accords entre les deux forces de l’opposition en vue des prochaines élections régionales. L’étude concluait aussi que les mêmes électorats partageaient de nombreuses valeurs, ce qui permettait à l’hebdomadaire dirigé par Joseph Macé-Scaron de titrer en « une » : « vers une alliance UMP-FN ? ». Là encore, le fait que Marion Maréchal Le Pen possède un profil davantage « UMP compatible » que son rival Philippot permettait aux observateurs d’en tirer les mêmes conclusions politiques. Philippot humilié à l’élection du comité central et dont la stratégie serait démentie par les sondages, pourrait ainsi se voir affaibli dans l’appareil voire marginalisé au profit d’une étonnante nouvelle petite chérie des médias, éblouis par son score de maréchal (hum…) au comité central du FN.
Le problème, c’est qu’ils vont un peu vite en besogne. D’une part, cette élection au comité central répond davantage à des considérations personnelles que politiques. J’ai bien connu ce type de mode de scrutin interne au RPR et je peux témoigner que l’entregent, la notoriété, et les qualités humaines des candidats comptent davantage que leur profil idéologique. À ce titre, on remarque que si la nièce de la présidente, petite-fille du président-fondateur est arrivée en tête, son patronyme doit y être pour quelque chose. Si on ajoute que la jeune femme en question possède des qualités humaines bien supérieures à Florian Philippot aux yeux des militants (souriante, sympathique et abordable quand l’omniprésent stratège leur paraît arrogant, antipathique et froid), et vous aurez une idée des raisons qui expliquent leurs classements respectifs. Notons que Philippot est aussi devancé par Louis Aliot, ancien secrétaire général et compagnon de Marine Le Pen (la famille, toujours la famille…) et Steeve Briois, secrétaire général jusqu’à dimanche et premier maire élu au premier tour de l’histoire du parti. Dans ces conditions, et compte tenu du comportement distant et des jalousies provoquées par sa soif médiatique, la quatrième place de Philippot est davantage humiliante pour sa personne que pour la stratégie qu’il incarne.
Cette stratégie continuera d’être appliquée parce qu’elle n’est pas seulement celle de Florian Philippot. Elle est surtout celle de Marine Le Pen. Dès 2006, dans son ouvrage Contreflots, on en discernait déjà les contours, basée sur un même rejet de l’UMP et du PS, d’un étatisme sur le plan économique (alors que le FN de papa était bien plus libéral), rejetant les trois libertés de circulation imposées par l’intégration européenne et la mondialisation, celles des marchandises, des capitaux et des hommes. Ce n’est que plus tard qu’elle a rencontré Philippot qui lui a permis de formaliser intellectuellement et stratégiquement le nouveau corpus politique frontiste. Cette stratégie continuera d’être appliquée, ensuite, parce qu’elle a été payante électoralement jusque-là. Alors que le FN était à peine au-dessus de 10% lorsque Marine Le Pen a pris la succession de son père, ses scores ont été multipliés par 2 au moins. Et on annonce des intentions de vote à plus de 30% pour l’élection présidentielle.
Le sondage de Marianne est sans doute instructif mais il comporte deux angles morts. D’abord, il ignore la dichotomie entre l’électorat frontiste du sud, plus traditionnel et droitier, et celui du nord, davantage complexe et intégrant une bonne part de ce que Pascal Perrineau appelait le« gaucho-lepénisme ». Ensuite, il fait l’impasse sur une évidence : le rapport actuel des forces politiques, c’est plutôt : 1er FN, 2e UMP, 3e PS. Dans la mesure où l’affaiblissement magistral du parti au pouvoir laisse les deux premières places aux partis d’opposition, l’alliance entre ces deux-là devient non seulement improbable mais politiquement impensable. Les modes de scrutin, majoritaires à deux tours (présidentielle, législatives, départementales), ou mixtes à deux tours (municipales, régionales), réclament l’apport des voix du troisième, c’est-à-dire, le plus souvent, le PS. Et pour triompher de l’UMP au second tour, il faut que le FN bénéficie de l’abstention de beaucoup d’électeurs socialistes voire de l’apport de certains d’entre eux, comme ce fut le cas dans les élections partielles de l’Oise, de Villeneuve-sur-Lot ou de Brignoles. Dans cette configuration, l’étatisme de Philippot est préférable au libéralisme de Marion Maréchal Le Pen. Paradoxalement, les candidats sudistes et droitiers bénéficient de meilleurs reports socialistes grâce au discours forgé depuis Nanterre par Philippot. En revanche, dans le nord, où le FN est plus souvent opposé au PS qu’à l’UMP, cette stratégie est moins efficace. Finalement, on en est à se demander si Florian Philippot et Marine Le Pen seraient peut-être élus plus facilement dans le Nord et l’Est grâce à la stratégie de Marion qui permettrait de meilleurs reports de l’UMP arrivé en troisième position.
Cette dichotomie géographique de l’électorat FN ajoutée à la mécanique des scrutins à deux tours provoque des résultats paradoxaux. Tant que les victoires du FN demeurent locales, cela ne pose pas trop de problèmes : il suffit à l’équipe dirigeante de l’exécutif de coller à son électorat local. Mais que faire en cas de victoire nationale : décevoir les sudistes ou les nordistes ?
*Photo : LCHAM/SIPA. 00695800_000033.
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