Un moment de honte est vite oublié. Les 25% du FN sont la divine surprise des partisans de l’Europe telle qu’elle se fait. C’est-à-dire l’UMP, l’UDI et le PS. Bien sûr, il va y avoir quelques dommages collatéraux : il fallait voir dans les yeux de Copé la certitude de sa mort politique prochaine, un peu comme les traîtres de série B ; il fallait entendre le lapsus énorme de Cambadélis souhaitant au nom du PS une Europe plus « bureaucratique, euh pardon, démocratique. », il fallait rire des éléments de langage préparés à l’avance par des communicants décidément de moins en moins habiles, reconnaissables d’une bouche à l’autre. Pour le PS, c’était un scrutin européen sans lendemain, ce qui limitait la portée du score du FN. Pour l’UMP, on assistait en cette soirée à un désaveu du gouvernement Hollande-Valls et seulement à ça. On ne voit pas pourquoi, effectivement, un PS à 14% aurait eu à s’interroger sur la politique qu’il mène ni pourquoi une UMP devancée de cinq points par le Front aurait dû s’interroger sur la tactique Buisson qui a banalisé les idées de Marine Le Pen au point de les rendre acceptables avec l’aide complaisante des médias.
Les seuls à échapper à ce ronronnement furent Fabius et Juppé. C’est normal, ces deux-là sont quand même plus intelligents et cultivés que la moyenne de leurs petits camarades et ils ont une vision de la France qui va légèrement au-delà de leurs partis respectifs. À un moment, on les a vus face à face s’approuver mutuellement en admettant que tout de même, 25% pour le FN, on n’allait pas pouvoir s’en tirer avec des explications toutes faites.
Pour le reste, il fallait écouter l’UDI-Modem. C’est là qu’on entendait de manière subliminale que certains, consciemment ou pas, pouvaient très bien retourner le score du FN contre le FN lui-même, comme au judo. Ainsi Bayrou, à défaut de demander la dissolution comme le faisaient Philippot et Marine Le Pen, parlait d’une réforme nécessaire des institutions et aussi du mode de scrutin. Tiens, tiens, tiens, qu’est-ce que ça venait faire là, cette réflexion ? Changer le mode de scrutin pour des législatives en choisissant la proportionnelle pour rénover la démocratie ? Avec un FN à 25%. Autant dire en faire le premier parti à l’Assemblée nationale…
Eh bien justement, pourquoi pas ? Ce serait enfin la possibilité en France d’avoir ces « grandes coalitions » de la droite, du centre et de la social-démocratie pour gouverner dans le sens souhaité par les marchés. Ces marchés qui veulent que l’Union Européenne soit avant tout le grand souk du libre échange avec des normes sociales et environnementales réduites à néant par le Traité Transatlantique. Et la seule solution, c’est de faire comprendre au bon peuple : « Vous savez, vous avez le choix soit entre un Marine Le Pen présidente et Philippot Premier ministre, soit nous, les gentils gars du cercle de la raison… » Genre un triumvirat de l’intelligence et du réalisme avec mettons, puisqu’on parlait d’eux Juppé/Bayrou/Fabius à la manœuvre, histoire de te faire digérer le recul de civilisation avec amabilité, compétence et citations latines.
Oui, ces 25% du FN permettent aux européistes d’avoir l’ennemi qu’ils souhaitaient et contre lequel il sera tellement facile de faire alliance au nom de la démocratie. C’est ce que nous avons déjà appelé le syndrome Goldstein. Goldstein, dans 1984, c’est l’ennemi fabriqué de toutes pièces par Big Brother pour faire croire aux gens que Big Brother est menacé.
Les 25% du FN, c’est pour l’européiste le moyen d’éviter de faire trop entendre les vraies alternatives, par exemple en France la réflexion de DLR et Dupont-Aignan sur une souveraineté renouvelée ou du Front de gauche sur un Welfare state à l‘échelle européenne en reprenant, par exemple, les commandes de la Banque Centrale Européenne. Non, il faut avoir souffert comme les Grecs pour ne plus tomber dans le piège tendu par ces « partis de gouvernement ». En Grèce, Syriza, le Front de gauche local, est arrivé largement en tête tandis qu’Aube Dorée, qui aurait été tellement plus pratique pour sauver la baraque UE, est largement distancée.
Non décidément, les 25% du FN, ce « séisme » qui s’étale à la une des journaux, n’affolent pas plus que ça, au contraire, ceux qui décident de notre destin. Un exemple : la bourse de Paris, ce lundi matin, a ouvert à la hausse.
Elle est pas belle la vie ?
*Photo : REVELLI-BEAUMONT/SIPA. 00684465_000002.
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