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FN en Haute-Savoie: la prime à la persévérance


FN en Haute-Savoie: la prime à la persévérance

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Quand Dominique Martin donne rendez-vous à un journaliste, il choisit soigneusement l’endroit et l’heure : à 11 heures, à la Trossingen Tavern, au centre de Cluses, ville industrielle de Haute-Savoie (17 000 habitants), dans la rue où il tint longtemps boutique de chaussures avant de se consacrer entièrement à la politique, au début des années 1990. C’est l’heure où retraités et chômeurs arrivent par petits groupes pour prendre l’apéro et échanger les propos habituels à ce genre de lieu, des ragots locaux aux considérations planétaires. Aucun des clients de ce bar, qui porte le nom de la cité allemande jumelée avec Cluses, ne manque de venir le saluer, avec un mélange de familiarité et de déférence. Le journaliste assis en face de lui a droit, également, à une poignée de main, bien qu’il soit parfaitement inconnu dans les parages. Celui qui boit un verre avec « Dominique » ne peut être totalement mauvais…[access capability= »lire_inedits »]

À 53 ans, Dominique Martin a déjà derrière lui trente ans de carte du FN (« À l’époque, on faisait 1,8 % des voix aux élections ! »), et cinq candidatures infructueuses à la mairie de Cluses, malgré des scores en constante progression. Issu d’une famille de commerçants aisés, il fait ses études secondaires au très huppé Institut catholique Florimont de Genève (« Là, j’ai rencontré des jeunes de toutes provenances, cela m’a ouvert les yeux sur le monde. »). Il excipe même (pour plaire à son interlocuteur ?) de lointaines origines juives polonaises, affirmant que sa famille est issue du village des Gets, selon lui déformation patoisante de « ghetto », où se seraient réfugiés, au XVIIe siècle, des familles juives fuyant les pogroms. Un roman familial qu’aucun historien ou linguiste ne se risquerait à accréditer, mais qui donne une indication sur la « méthode Martin » pour séduire les électeurs, d’origines très diverses dans son fief : Italiens, Espagnols, Portugais se sont enracinés au siècle dernier dans la vallée de l’Arve, et il ne manque aucun de leurs rassemblements, arrivant chaque fois avec une petite histoire, réelle ou fictive, destinée à montrer sa proximité avec la communauté concernée. Avec les Arabes, venus nombreux à Cluses et dans les environs à partir des années 1960 pour travailler dans l’industrie du décolletage, ce n’est pas encore tout à fait au point, mais il y travaille.

Grâce à son aptitude à « coller au terrain », Dominique Martin est remarqué par Jean-Marie Le Pen, qui lui fait grimper rapidement les échelons de l’appareil frontiste. Organisateur méthodique et opiniâtre, à la savoyarde, il s’acquitte avec succès de tâches réputées impossibles, comme la collecte des 500 signatures d’élus pour parrainer la campagne présidentielle de Jean-Marie Le Pen en 2007, et le nettoyage de fédérations infiltrées par des personnalités interlopes. Dans la région Rhône-Alpes, il est le pendant populaire et pragmatique de l’intellectuel et idéologue Bruno Gollnisch.

Élu conseiller régional depuis 1992, il choisit son camp lors de la primaire interne au FN de 2011 : Marine Le Pen, qui, habilement, en fera son directeur de campagne, au grand dam de son concurrent Bruno Gollnisch. Pourquoi ? « Il y en avait un qui regardait dans le rétroviseur, et l’autre qui regardait vers l’avant. Avec Marine, on peut gagner… ». En fait, Dominique Martin reste fidèle au père en soutenant la fille : « J’ai une profonde admiration pour Jean- Marie Le Pen, un homme extraordinaire qui a eu raison trop tôt. Il n’est pas l’homme que la presse s’est complu à décrire, tous ceux qui l’ont connu de près en conviennent, même lorsque ce ne sont pas ses amis politiques. Et qui d’autre se serait fait chier pendant tant d’années pour mener un combat politique sans faire de compromis sur ses valeurs ? » Il s’insurge quand on suggère qu’une fois parvenue à la tête du parti, Marine Le Pen aurait opéré une sérieuse révision de la doxa frontiste : « Le socle reste le même : la défense de la nation, de l’État, l’inversion des flux migratoires, le rétablissement de la peine de mort, le refus de la soumission à l’ultra-libéralisme, c’est toujours dans le programme du FN ! »

Un programme d’extrême droite ? « Pas du tout ! C’est la droite qui s’est éloignée de ses propres valeurs ! Il faut se souvenir que Jean-Marie a commencé sa vie politique dans un parti de la droite classique, le Centre national des indépendants, comme Giscard ! » Le virage « sociétal » de Marine – acceptation de l’IVG, prudence sur le mariage gay – ne le perturbe en aucune manière : « Les gays ? Ça me fait rigoler. Jean-Marie en a toujours été entouré ! Au Front, on a toujours défendu l’idée que les affaires de cul relèvent de la sphère privée. On n’a pas à aller fourrer son nez derrière les fenêtres fermées ! » La « Manif pour tous » n’est pas sa tasse de thé : « Pour un truc comme ça, Paris, c’est bien trop loin pour moi, et même Annecy ! » Son obsession, c’est le rétablissement de la peine de mort, qu’il juge aujourd’hui d’autant plus nécessaire que la science permet d’éviter les erreurs judiciaires : « Avec l’ADN, un coupable est un coupable. Point barre ! » Quand on lui fait remarquer que, tout de même, le programme économique du FN a bien changé depuis l’époque où Jean-Marie Le Pen se réclamait de l’ultra-libéralisme de Ronald Reagan, il veut bien concéder « une légère évolution, mais le monde a changé depuis quarante ans… ».

Ce virage lui convient d’autant plus que nombre de PME de la vallée de l’Arve ont été rachetées par des fonds d’investissements étrangers, alors que lui s’appuie sur les petits patrons locaux de la sous-traitance pressurés par les multinationales. Ainsi, il n’hésite pas, accompagné d’une dizaine de militants, à aller apporter son soutien aux ouvriers d’une usine d’Anne- masse menacée de fermeture par de lointains actionnaires. Selon la presse locale, cette délégation frontiste a reçu un « accueil mitigé ».
Sur l’immigration, hormis le mantra de « l’inversion des flux », il préconise « une École moins politisée pour assimiler les immigrés des deuxième et troisième générations, où l’on apprend l’Histoire de France et à chanter la Marseillaise ». Il regrette amèrement la fin du service militaire obligatoire, qui était, à son avis, un instrument idéal d’intégration des jeunes immigrés : « Voyez Israël : trois ans d’armée, et ils font une nation avec des gens venus de partout. »

La montée du FN dans les sondages est pour lui une sorte de revanche sur toutes les avanies qu’il déclare avoir subies depuis qu’il est entré en politique : « On m’a traîné dans la boue, mes enfants on été insultés à l’école ! Alors vous pensez bien que cette adhésion populaire me fait plaisir ! Et c’est un peu grisant, aussi, je me sens comme un bon skieur qui a été contraint pendant trop longtemps de rester sur des pentes trop douces, qui se trouve tout d’un coup devant le schuss où il pourra donner toute la mesure de son talent ! » Les raisons de cette percée ? « Les gens se rendent compte que nous faisons de la politique avec du bon sens et du cœur. » Il brandit l’édition du jour du Dauphiné libéré : « Ceux qui écrivent là-dedans et dans d’autres canards installés n’ont toujours rien compris et ne veulent pas comprendre. L’échec de l’Europe, de la mondialisation ? Connais pas ! Ils ne lisent même pas ce que l’on dit de nous à l’étranger. Ma fille, qui vit en Australie, en a honte ! »

Cependant, il reste prudent sur la traduction dans les urnes de cette embellie sondagière, surtout pour les prochaines élections municipales : « Ces élections sont difficiles pour tout le monde, pas seulement pour le Front. Regardez à Cluses, il faut trouver 33 colistiers valables. Et avec la parité en plus, ce n’est pas simple. Souvent, dans les élections précédentes, des gens me disaient : “ Je voterais bien pour vous, mais le numéro 23 sur votre liste, celui-là, je peux pas l’encadrer ! ”. » Pour l’instant, dans cette Haute-Savoie dominée par la droite, le FN en est à 16 « départs de listes » dans les principales villes du département, avec comme objectif de jouer les trouble-fête dans des localités où les rivalités de personnes, à droite, peuvent désorienter l’électorat conservateur

Reste un mystère : pourquoi Dominique Martin n’est-il plus au sommet de l’appareil national frontiste, lui qui fut, en 2009, directeur de campagne de Jean-Marie Le Pen lors des élections européennes ? À l’entendre, cela n’a rien à voir avec la montée des « technos », comme Florian Philippot, dans l’entourage de Marine Le Pen : « Des énarques, il y en avait déjà du temps de Jean-Marie : Jean-Yves Le Gallou, et d’autres moins connus, avant qu’ils ne suivent le traître Bruno Mégret… Mais j’en avais marre d’être quatre jours par semaine loin de chez moi. À Nanterre ! Vous connaissez Nanterre ? Et toujours dans des bureaux où on est les uns sur les autres. Là où il y a des hommes, il y a de l’hommerie…» [1. Citation de saint François de Sales, dans laquelle « hommerie » signifie « querelle », vocable encore utilisé au Québec.] [/access]

*Photo: DR

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Novembre 2013 #7

Article extrait du Magazine Causeur



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