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Déconstruire Mozart, quel boulot!

Des “experts” réécrivent une Flûte enchantée woke, un opéra "sans victimes", nous apprend "Diapason Magazine"


Déconstruire Mozart, quel boulot!
© Unsplash

En Allemagne, voilà qu’on s’attaque à la réécriture de l’opéra La Flute enchantée.


Le collectif allemand Critical Classics a effectué un travail original qui mérite toute notre attention. Ces personnes distinguées ont en effet eu l’idée brillante et l’audace pleine d’abnégation de réécrire intégralement le livret de La Flûte Enchantée de Mozart[1] afin d’en créer une édition « non discriminante ».

Un courage qui force le respect…

Tout le monde sait quel degré d’horreur peuvent atteindre les livrets d’opéra : sexisme, racisme, âgisme et autres y sont légion. Malheureusement, leur relative bonne qualité musicale (nonobstant le fait qu’elles soient majoritairement nées de la plume de mâles blancs), fait que ces œuvres d’un autre temps continuent d’être jouées sur les scènes mondiales.  Heureusement, depuis de nombreuses années, des metteurs en scène ont eu à cœur de rendre ces ouvrages compatibles avec le monde moderne et de les « corriger » autant que possible…

Mais la base fondamentalement mauvaise persistait à transparaître.  

Aussi, avec un courage qui force le respect, ces « gens bien » ont-ils eu enfin la force de s’attaquer au fond, afin de vraiment parvenir à créer des « opéras sans victimes ». Il était d’ailleurs urgent de commencer par l’ouvrage le plus sulfureux de tout le répertoire : La Flûte Enchantée qui, en l’état actuel des choses, offense à peu près tout le monde : les « racisés », les femmes, les vieux… et peut-être d’autres encore, qui sait ?

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« L’objectif principal de Critical Classics est d’attirer l’attention sur le langage discriminatoire employé dans les livrets d’opéra et d’alimenter les discussions sur les différentes façons pratiques d’aborder le problème », explique ce collectif qui apporte des solutions à tous les passages problématiques de cette œuvre… et, nous l’espérons, toutes les autres à venir.

Bien sûr, certains oseront toujours prétendre qu’il pourrait y avoir une dimension symbolique et ésotérique à ce livret de Schikaneder (largement supervisé par Mozart), que sa lecture serait susceptible de s’effectuer à plusieurs niveaux, et que modifier ce texte pourrait en détruire toute la subtile construction symbolique… La symbolique ? Piètre excuse de réactionnaire.

Négrophobie, gérontophobie…

Il a fallu évidemment commencer par régler le cas du malheureux Monostatos « à la peau noire »… (le mouvement anti black-face a pourtant depuis longtemps réglé cette question, comme pour Otello et Aida). Bien sûr, on pourrait trouver des excuses à Mozart, expliquer que le noir n’était pour lui que le reflet de la couleur de l’âme de son personnage ? Ou bien qu’il a été créé à l’image d’un traître réel (peut-être métis), membre renégat des Francs-Maçons que fréquentait Mozart ? Mais non, nos géniaux réécrivains ont été les seuls à saisir le fin mot de l’histoire : il est évident que Monostatos est en fait le fils bâtard de Sarastro. CQFD.

Et la « gérontophobie », on y pense ? C’est important ! Veut-on faire fuir tous les seniors qui ne peuvent que frémir d’horreur en constatant que Papageno a le mauvais goût de repousser Papagena car elle se présente à lui en vieille… Elle sera désormais une « Amazone », qui fait face sans peur à cet horrible représentant du patriarcat. D’ailleurs, on ne demandera plus désormais à l’oiseleur d’être « un homme » (« Mensch ») mais « courageux comme un lion ».

Où sont les femmes ?

Évidemment, le principal problème reste quand même la misogynie de Mozart… N’a-t-il pas volontairement omis de donner un air à Pamina dans le premier acte, par pure haine des femmes, certainement ? Le collectif a donc eu l’idée géniale d’ajouter un morceau pour l’héroïne au premier acte. Dommage quand même qu’ils se soient contentés de reprendre un air de concert de Mozart en en réécrivant le texte. À quand un vrai travail de fond sur la grammaire musicale elle-même ? Quand on songe qu’une blanche vaut encore deux noires au XXIe siècle, n’est-ce pas scandaleux ?

Mais le sexisme ne s’arrête pas là : Pamina ne cesse d’être définie par son aspect physique, étant qualifiée par exemple de « charmante », quelle horreur ! Non, elle sera désormais « rusée », et ses mains ne sont bien sûr plus du tout « petites et délicates »…   

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Bien sûr, certains oseront prétendre que le livret serait moins misogyne qu’il n’y paraît, que la Reine de la Nuit ne serait que le symbole de l’obscurantisme, que Sarastro aspirerait aussi à l’initiation de Pamina et que le final célébrerait l’avènement d’un couple idéal, l’union parfaite du féminin et du masculin, Isis et Osiris. Non, la ficelle est trop grosse !

Au fait, inutile de préciser que l’histoire ne doit plus se passer en Egypte : « cet ancrage géographique pourrait facilement mener à une appropriation culturelle »… Comme utiliser des pyramides comme décors par exemple ? L’ambiance maçonnique de l’œuvre n’a d’évidence rien à voir…

Trigger warnings

Malheureusement le conservatisme ambiant fait que l’on ne peut pas tout changer, aussi le nouveau texte annoté présente-t-il également des passages surlignés en jaune, signalant des « propos jugés problématiques », mais qui ont tout de même été gardés dans la nouvelle version… à charge sans doute à la production de corriger ces ultimes dérives.

Ce travail précis et de longue haleine a exigé la participation de nombreuses personnes éminentes : dramaturges, cheffes, « relecteurs en sensibilité » et notamment une « experte en diversité », « consultante culturelle », spécialisée en « développement de la diversité, processus de changement, inclusion, pratiques culturelles critiques dans les institutions culturelles », (c’est son métier, elle est payée pour cela !).

Après La Flûte enchantée, l’équipe a prévu de s’atteler à Madame Butterfly qui cumule, il faut bien le dire, tous les défauts. (Mission impossible dont nous attendons le résultat avec grande impatience) et Carmen de Bizet. Sur ce sujet, le metteur en scène Leo Muscato en 2018 à Florence avait déjà essayé de corriger l’erreur de Meilhac et Halévy, en ne faisant pas mourir la bohémienne. Mais Don José continuait toujours stupidement de crier « C’est moi qui l’ai tuée, ma Carmen adorée ! ». Nous espérons grandement que le collectif va mettre un terme à cet imbroglio et corriger le tir afin que la gitane vive à jamais… Peut-être pourrait-elle-même tuer cet immonde oppresseur, ou tout du moins le dénoncer à Metoo sur les réseaux en un hashtag vengeur ?

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Autre grand projet de ces grands penseurs : une révision de La Passion selon Saint-Jean de Bach. Oserons-nous suggérer que cette ambition reste assez modeste ? Ne vaudrait-il pas mieux réécrire directement tous les Évangiles (et ne parlons même pas de l’Ancien Testament…) ? Jésus peut-il encore d’ailleurs changer l’eau en vin, surtout pendant le mois de janvier sans alcool ?

Saluons en tous cas le dévouement de ces personnes de bonne volonté, car pour « des opéras sans victime », elles auront à corriger à peu près l’intégralité du répertoire. Au travail les amis ! « Relecteur en sensibilité », voilà un métier d’avenir. On peut rire jaune (ah non, pardon !) pendant longtemps. Ce qui est fascinant avec la déconstruction, c’est qu’elle est sans fin… jusqu’à ce qu’il ne reste plus que des ruines. Et alors nous vivrons enfin dans « Le Meilleur des Mondes »


[1] Des “experts” réécrivent une Flûte enchantée woke, Roxane Borde, Diapason Magazine

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Musicologue et conférencière spécialisée dans l’initiation à l’opéra www.levoyagelyrique.com

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