L’art de Gainsbourg ne ressemble à rien d’autre. Celui de Bashung pas davantage. Il n’en va pas autrement de celui d’[aji].
La boîte noire de l’OVNI n’a toujours pas été retrouvée. Pourtant, les autorités martiennes sont formelles : le véhicule aurait été dérobé par un terrien encore non-identifié, dans le sang duquel elles soupçonnent d’ores et déjà la présence de fortes quantités d’alcool et de poésie. (Du coup, les martiens sont verts, forcément.)
Nous ne connaissons de son nom que sa prononciation : [aji]. En marocain, cela signifie « viens ! ». Alors, allez-y ! Vous n’en reviendrez pas.
Il est vain d’envoyer des fleurs à [aji]. Dès le seuil, dès la première des quatorze marches de Fluide, on voit ce qu’il en fait : il les piétine à l’envi pour en faire sa couche. Les artistes, ce gars-là, il les mange.
Avec [aji], plus moyen non plus de néantiser à Paris-Cages. Il y déchaîne sans ambages l’océan en personne, l’océan soi-même, ce machin insensé bouillonnant d’embruns et qui peut faire mal aux bobos, voire même l’inverse.
[aji] estime que nous vivons dans une « époque statique, aux mœurs paralytiques ». Il aimerait que « des astéroïdes réveillent ces humanoïdes ». Avec Fluide, voilà qui est fait.
Je dois cependant vous mettre en garde contre un autre fléau demeuré jusqu’à présent inexpliqué : la plupart de ceux qui ont écouté [aji] se sont fait écraser quelques heures plus tard en traversant un passage-piéton. Mais ce n’est pas phénomène propre à émouvoir l’animal : « Toutes les catastrophes [lui] semblent naturelles ».
Lyriquement et humoristiquement, [aji] rend sensible le néant métaphysique absolu de l’enfer contemporain, où seuls les supermarchés parlent encore aux périphériques. Son écriture ciselée, ses vers de laine, font saigner exactement ce qui nous manque. Ils nous font un mal de chien à l’absolu. Tant mieux.
Les musiques superbes, de styles invariablement variés, qui servent les mots et la voix très belle d’[aji], sont dues à une bande de cinglés improbables : Théo Josso, Laurent Le Corre, Rachid Sefrioui, Benjamin de Roubaix, Evrim Evci, Lionel Lecointe et Jean Barthélémy. Une bande d’[aji]tés, j’avoue.
Fluide s’achève par un poème sans musique, qui déconne pas vraiment rose dans l’espérance, comme dirait Louis.
Pourtant, il vous est permis de chercher une lueur d’espoir : c’est celle du zinc doré du Galactic Bar, sur lequel « un soir un perroquet prédit la fin ».
Le Galactic Bar, où la métropole terminale s’inverse en océan, est d’un accès aussi simple que difficile : il brille, là-bas, tout au fond de nos cœurs sales.
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