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Philippot 1er, l’homme pressé


Philippot 1er, l’homme pressé
Florian Philippot. Numéro de reportage : AP22048889_000042.
florian philippot en labat
Florian Philippot. Numéro de reportage : AP22048889_000042.

Philippot 1er est présenté comme « une enquête sur Florian Philippot, le nouvel homme de l’extrême droite », afin de tenter de savoir « qui il est vraiment ». Une intention qui a le mérite de l’originalité : voici enfin le premier livre exclusivement consacré à l’énarque propre sur lui débarqué au Front national il y a six ans. On y appréciera le récit de la première rencontre avec Marine Le Pen, faite par l’intermédiaire du souverainiste Paul-Marie Coûteaux, où l’anecdote de la disparition de Marianne des pièces lors du passage à l’euro, ce qui en fera un europhobe convaincu ; et le conduira, bien avant de devenir le bras droit de Marine Le Pen, à militer chez Jean-Pierre Chevènement, mais aussi à croiser un certain Jean-Luc Mélenchon… On sourira des mots pas toujours aimables, c’est le moins qu’on puisse dire, de nombreux cadres ou piliers du parti à son égard, à commencer par ceux du « menhir », Jean-Marie Le Pen.

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Drogué du travail à l’ambition politique dévorante, l’ancien énarque écume les plateaux télés, dort peu, a une relation privilégiée avec Marine Le Pen, mais est isolé au sein du parti. Si l’ouvrage regorge d’anecdotes cocasses, on aurait aimé en savoir un peu plus sur les véritables convictions idéologiques de celui qui est surnommé « Philippot 1er » par de nombreux cadres du parti. D’où viennent ses liens resserrés avec Sophie Montel, cadre historique du Front national qui a milité au sein du très identitaire mouvement « Terre et peuple ». On ne le saura pas. On pourra donc regretter qu’une longue série d’anecdotes se substitue à une enquête plus en profondeur qui aurait permis de comprendre les ressorts, ou virages idéologiques qui ont conduit l’ancien énarque à devenir le meilleur conseiller de Madame Le Pen.

Alexis Brunet. Vous avez enquêté sur Florian Philippot pendant plus d’un an. Êtes-vous surprises par le lancement de son association « Les Patriotes » ?

Astrid de Villaines[1. Astrid de Villaines et Marie Labat sont journalistes politiques. Elles couvrent l’actualité du Front national pour La Chaîne Parlementaire.]. Pas du tout. La création de ce mouvement est sans doute une façon de montrer qu’il n’est pas très bien accueilli au sein du Front national. Ce que nous avons décrit pendant cette année d’enquête, c’est qu’il y avait beaucoup de dissensions en interne qui étaient étouffées, mises à part celles avec Marion Maréchal-Le Pen. Depuis la défaite, les autres cadres se lâchent beaucoup plus dans les médias. Je pense que pour lui c’est une voie de secours au cas où ça se passerait très mal. Cela lui sert aussi pour préparer son congrès, pour évaluer les rapports de force et voir combien il pèse dans le parti.

Marie Labat.  C’est en effet un moyen de faire le point pour savoir qui, parmi les cadres, peut le soutenir, pour éventuellement rassembler ses troupes en cas de départ du parti. Marine Le Pen a expliqué que la sortie de l’euro serait une question discutée après les législatives, puis tranchée au moment du congrès de cet hiver, le 16ème congrès du Front national.  Ça risque d’être compliqué à ce moment-là pour Florian Philippot, qui a donc intérêt à avoir un maximum de cadres et de militants de base solides derrière lui. Ceci pour pouvoir, le moment venu, faire barrage sur la sortie de l’euro en particulier, car il nourrit une obsession sincère et très importante sur ce point.

D’où lui vient cette obsession de la sortie de l’euro ?

Marie Labat.  De sa plus tendre enfance, de ce moment où est voté le traité de Maastricht. Alors qu’il n’a même pas l’âge pour réaliser l’implication politique de ce traité, il se rend compte qu’il n’aura plus sa Marianne sur les pièces pour aller acheter ses bonbons, ce qui le fait littéralement pleurer. Il explique que c’est un traumatisme qui l’a fait pleurer encore plus fort que quand il a pleuré – de joie cette fois-ci – pour le Brexit.

Néanmoins, la sortie de l’euro était déjà au programme de Jean-Marie Le Pen en 2002. N’est-ce pas une vieille idée du Front national ?

Marie Labat. Oui, mais Florian Philippot a voulu en faire l’alpha et l’oméga du programme du Front national. Les autres cadres disent que ce n’est pas une priorité car c’est un dossier compliqué et qui est très peu compris du grand public, ce qui nécessite d’en « vulgariser » l’information.

Astrid de Villaines. Certains envisagent de décaler l’exécution de ce projet, voire de l’abandonner. Marion Maréchal-Le Pen a déclaré que ce n’était pas sa tasse de thé, que ça lui était égal, qu’elle préférait parler d’identité. Un des cadres du Front national nous a dit : « Quand un terroriste rentrera avec une kalachnikov dans une salle de classe, on ne se demandera pas s’il l’a payée en euros ou en francs.» Pour Philippot, la sortie de l’euro, c’est son Graal. C’est pour ça que Marine Le Pen a mis la sortie de l’euro au centre de son programme. Mais beaucoup d’autres cadres du parti considèrent que c’est une idée qui leur fait perdre des voix.

En lisant votre ouvrage, on a l’impression que le Front national est verrouillé par les Le Pen et leur garde rapprochée, anciens pieds noirs, anciens de l’OAS notamment…

Astrid de Villaines. Certes, il y a historiquement énormément de pieds noirs au Front national. C’est d’ailleurs pour cela que jusqu’à l’introduction du gaullisme au Front par Philippot, il ne fallait même pas parler du général De Gaulle dans les couloirs du parti. Mais c’est plutôt Philippot et Marine Le Pen qui l’ont verrouillé ces dernières années, à travers leur stratégie.

Marie Labat. Je vous accorde cependant que c’est un fonctionnement clanique. Le Front national est automatiquement associé au nom de Le Pen. Maintenant, le parti n’est pas pour autant verrouillé, comme vous dites, par la famille Le Pen. Ce n’est pas un fonctionnement sur le mode « Les Le Pen disent oui donc on peut intégrer le FN », ça ne se passe pas vraiment comme ça.

Astrid de Villaines. Ce n’est plus comme ça. Maintenant que le père a été exclu, Marine Le Pen essaye de faire table rase de ce passé, même si c’est son passé familial. Dans les médias en tous cas.

Marion Maréchal Le Pen a annoncé son retrait temporaire de la vie politique. Cela n’offre-t-il pas un boulevard à Florian Philippot ?

Marie Labat. C’est exactement ce qu’on s’est dit. Ceci étant, ce n’est pas très étonnant car ça fait déjà plusieurs mois qu’elle parlait de ce retrait du fait de son jeune âge, de sa vie personnelle, mais aussi du fait de toutes ces tensions, ces polémiques avec l’autre frange du parti représentée par Florian Philippot.

Astrid Villaines. Finalement, le boulevard s’est un peu rétréci. Car maintenant, même sans Marion Maréchal-Le Pen qui avait un poids politique très fort au sein du parti, les autres, comme Nicolas Bay ou Louis Aliot, commencent à dire ce qu’ils pensaient très fort et qu’ils n’osaient pas dire publiquement. Même s’ils pourraient aller encore plus loin, Nicolas Bay a quand même parlé de « chantage » au sujet de Florian Philippot menaçant de quitter le parti si l’idée de sortie de l’euro était abandonnée. Il était impensable avant l’élection d’utiliser publiquement ce terme de « chantage ». Ce sont des mots qui étaient dits en coulisses.

Marie Labat. Ça faisait déjà des mois et des mois que ces règlements de comptes mijotaient, que c’était tendu en interne, qu’on attendait la fin de la présidentielle. Et que si le parti perdait ces dernières, le moment serait venu de rebattre les cartes et éventuellement de solder les comptes. C’est ce qui est en train de se passer.

L’énarque a un discours plus social, plus « républicain » que Marion Maréchal-Le Pen, qui  tient un discours plus conservateur, plus traditionaliste sur le plan des valeurs, et plus libéral économiquement. Peut-on imaginer une scission de l’autoproclamé « premier parti d’opposition de France » ?

Marie Labat. La question qui se pose est de savoir si Florian Philippot a les troupes nécessaires pour pouvoir organiser une scission. Car Florian Philippot, en l’état, ce n’est pas Bruno Mégret. Il ne peut pas organiser une scission avec les trois-quarts des cadres qui partent comme en 1998.

Astrid Villaines. Il a quelques troupes, des jeunes, mais il est assez seul. C’est pour cela qu’il essaye de placer ses pions : dans deux circonscriptions à côté de la sienne en Moselle, dans la Marne, dans l’Aine avec Damien Philippot, dans le Doubs avec Sophie Montel, etc. Ce sont des gens qui font partie de son entourage très proche, mais on ne peut pas créer un parti avec dix personnes, quand bien même elles seraient députés.

Marie Labat. Ce qui est sûr, c’est que le jour où le Front national aura un groupe à l’Assemblée nationale, ce sera un groupe plus sur la ligne « philippotiste ».

Astrid de Villaines. En revanche, la grande majorité des cadres veut une alliance avec la droite « hors les murs ». Ceci vient de la ligne Marion Maréchal Le Pen dont on a parlé, qui veut s’allier avec des gens comme Wauquiez, Guaino, Ciotti, Mariani, etc. Il s’agit de ratisser large. Mais pour l’instant, ce n’est pas encore possible.

Marie Labat. Je pense que ça va plus nettement se dessiner à l’entre-deux tours des législatives. Ce sera plus facile d’avoir un aperçu. Il y aura des discussions, des appels à des alliances. Pour l’instant, Florian Philippot a intérêt à ne surtout pas bouger. Je pense qu’il a créé son association « Les Patriotes » au cas où il serait exclu du Front national. Il faut savoir que Florian Philippot a une très grande ambition politique.

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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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