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Florent Pagny, chanteur dégagé


Florent Pagny, chanteur dégagé

Florent Pagny ne veut pas que ses enfants « parlent rebeu ». Il vient donc de rejoindre la longue cohorte des pénitents sommés de faire amende honorable devant le tribunal de la pensée correcte pour avoir dit un mot de travers ou entendu comme tel. Ses excuses avaient été exigées par le Conseil représentatif des associations noires, le CRAN, qui après un atroce suspense a consenti à les accepter. Selon la formule devenue rituelle, le chanteur est donc désolé s’il a pu peiner ou blesser des gens. La coïncidence avec des formules entendues mille fois n’est nullement fortuite.

Pour le chanteur, cette autocritique était sans doute le seul moyen de ne pas être affublé à vie de l’infamante étiquette de raciste – et, accessoirement de ne pas plomber la promo de son nouvel album. Qu’il ait accepté de la faire n’en est pas moins affligeant. Comme l’observe David Abiker, il a raté une occasion de défendre sa « liberté de penser ». (Pour ceux qui l’ignoraient comme moi il y a deux jours, c’est le titre d’une de ses chansons). Dommage, dans un premier temps, il s’était montré un peu plus combatif, envoyant gentiment balader les petits inquisiteurs du « Grand Journal » de Canal + : « J’ai fait une réflexion un peu bête apparemment, a-t-il reconnu sous le regard outré d’Ali Badou tandis que l’aimable Ariane Massenet tentait de l’amener au repentir préalable à la rédemption. J’ai employé le mot ‘reubeu’ mais ce n’est pas péjoratif, j’ai des potes reubeu, des potes feuj… Le dérapage, il est maintenant parce que c’est en train de partir en vrille ». Cette dernière remarque témoignait au moins, sinon de la profondeur de sa réflexion, d’un certain bon sens.

Si d’aucuns en doutaient, cet épisode montre que désormais, outre chacun d’entre nous, c’est le langage lui-même qui est en liberté surveillée.

Comme l’ami Mandon, je trouve qu’il n’est pas très glorieux d’aller payer ses impôts aux Etats-Unis quand on gagne sa vie grâce au public français. Mais les raisons exposées par Pagny sur Chérie FM, ont plutôt éveillé mon indulgence. Interrogé sur son exil, le chanteur a en effet expliqué qu’il en avait marre d’entendre son fils « parler rebeu ». Bon d’accord, il n’aurait pas dû dire rebeu mais « zyva » ou, s’il s’exprimait lui-même dans le langage châtié qu’il aimerait entendre dans la bouche de ses enfants, « l’argot des cités ». En attendant, tout le monde a compris que cette expression ne visait en rien l’appartenance raciale. Sauf que les professionnels de l’antiracisme ne veulent pas comprendre – on sait bien où ça mène, de comprendre – ils veulent leur raciste de la semaine. Ce qui leur a permis de ne pas entendre la suite, pourtant fort intéressante, des propos de Pagny : « Il y a aussi cette histoire de peur et d’ambiance un peu bizarre où finalement les mômes ils se raccrochent à des codes pour être sûrs de ne pas être emmerdés. » Apparemment, Pagny n’est pas sensible aux charmes du multiculturalisme. Pour Patrick Lozès, le président du CRAN, le crime était constitué : « Voilà que les chanteurs engagés se mettent à parler comme le Front national », s’est-il désolé.

L’ennui, c’est que la plupart de gens partagent le point de vue de Florent Pagny. À commencer par les parents de toutes origines qui vivent dans les « quartiers populaires », terme convenable pour désigner les cités, et qui découvrent un jour que le chérubin qui la veille faisait du coloriage parle comme un charretier et, plus largement, adopte les codes culturels dominants de son entourage. Or, tous les parents de France veulent que leur enfant apprenne le français avant le langage de la rue, tout simplement parce que, comme le note David Abiker « c’est la langue qui dans leur pays, une fois correctement parlée, écrite et lue leur permettra de s’exprimer, de trouver du travail et…justement de savoir apprécier l’argot et « le rebeu ». Qu’il s’agisse de celui de Michel Audiard ou de l’argot des cités. » En somme, avant de faire danser la langue, il faut être capable de la prendre dans ses bras. Si penser ça, c’est mal, il va falloir que le « Grand Journal » organise des olympiades de la repentance.

À s’exciter sur les mots, on perd le sens des choses. Si la remarque de Florent Pagny relève du racisme, nombre de nos concitoyens qui en disent et en entendent bien d’autres, finiront par penser que le racisme, ce n’est pas si grave que ça. Et les antiracistes auront de vrais racistes à se mettre sous la dent. D’ailleurs, c’est ce qu’ils cherchent.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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