Ils sont orphelins ou séparés de leurs parents violents. Ballotés entre foyers et familles d’accueil, ces enfants du malheur réussissent rarement leur vie d’adulte. Les témoignages d’anciens enfants placés réunis par Florent Georgesco font mentir la fatalité.
Florent Georgesco présente un visage méconnu de notre société de plus en plus violente. Pendant deux ans, le journaliste du Monde a suivi et recueilli les témoignages d’anciens enfants placés. Ils sont cinq à avoir séjourné dans des foyers ou des familles d’accueil. Audrey, Jimmy, Schouka, Souleymane et Tricia. Cinq à avoir traversé l’enfer. Tricia, dont l’enfance a été fracassée par la mort brutale de sa mère alors qu’elle n’avait que 12 ans, était orpheline de père et ne possédait pour toute famille qu’une marraine qui la dépouillait de ses biens. Souleymane, débarqué seul à 14 ans dans une gare française, refuse d’évoquer son passé, la mort de ses parents, le voyage de la Côte d’Ivoire à la Libye, les camps, la brutalité des passeurs, la traversée de la Méditerranée… Schouka est le fruit de l’union entre une prostituée et un client, victime d’abus sexuels de la part de son grand-père. Jimmy a été frappé si durement par ses parents que son fémur en a été déboîté. Audrey, à 5 ans, allait à l’école sans être ni nourrie ni lavée.
Des échecs… Mais des réussites aussi !
Leurs vies auraient pu être anéanties, mais, contre toute attente, ils s’en sont sortis. C’est ce miracle que Florent Georgesco raconte avec une finesse et une sensibilité rares. Il a rencontré des éducateurs pour tenter de comprendre pourquoi certains parviennent à surmonter leur passé quand d’autres sombrent, reproduisent la violence dont ils ont été l’objet ou s’enfoncent dans la maladie mentale.
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Lorsqu’on demande au directeur des Matins bleus, association d’éducation spécialisée, en quoi consiste son métier, il répond « faire en sorte qu’ils ne meurent pas ». Puis il y a cette constante chez tous ces enfants : la difficulté à accepter leur placement. Même s’ils vivent un cauchemar auprès de leurs parents, ils ne peuvent s’empêcher d’espérer, qu’un jour, ils s’adouciront. Ensuite, « c’est la même histoire : à un moment il faut tout laisser et partir ». Cet arrachement à la famille, ce saut dans le vide est toujours vécu douloureusement. Mais le temps aidant, certains, comme Audrey, ont parfois du mal à quitter leur foyer d’accueil. Quoi qu’il en soit, à 18 ans – comme à 21 pour ceux qui ont obtenu un contrat jeune majeur –, ils doivent voler de leurs propres ailes. Un passage difficile à l’issue duquel beaucoup se retrouvent à la rue.
Parmi les personnes sans domicile fixe de moins de 25 ans, un quart sont d’anciens enfants placés. Tricia, Jimmy, Audrey, Schouka et Souleymane, eux, ont su négocier ce virage périlleux. Aujourd’hui, ils ont un travail, des amis, des projets. Un bonheur conquis de haute lutte qui sidère jusqu’à leurs éducateurs. Rien n’aurait été possible sans leur soutien, leur patience, leur perspicacité. Toutefois, le fonctionnement de leurs structures d’aides est désormais menacé, d’un côté par la hausse des cas de maltraitance, de l’autre par la baisse des moyens humains et financiers. Florent Georgesco leur rend ici hommage et tire la sonnette d’alarme. Son livre n’en demeure pas moins porteur du plus bel espoir.
Florent Georgesco, Vies imprévues : enfants placés, ils ont déjoué le destin, Grasset, 2024.
Vies imprévues: Enfants placés, ils ont déjoué le destin
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