Florence Bergeaud-Blackler nous explique que sa conférence prévue à l’université de Lille a été annulée sous la pression d’un syndicat étudiant radical et de certains universitaires opposés à ses travaux, officiellement pour des raisons de « trouble à l’ordre public ». Elle dénonce une censure orchestrée par des chercheurs proches des idées islamo-gauchistes, qui cherchent à tout prix à empêcher tout débat sur l’influence des Frères musulmans.
Causeur. Le doyen de la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de la faculté de Lille a décidé d’annuler votre conférence prévue le 5 mars. Que s’est-il passé ?
Florence Bergeaud-Blackler. Il y a deux ans, je publiais Le Frérisme et ses réseaux, un livre salué par trois prix. Il attira l’attention sur mon parcours jusque-là plutôt discret, parcours distingué en 2024 par la Légion d’honneur. Tout n’allait pas si bien cependant. Il y a deux ans, ma conférence à la Sorbonne a été suspendue, provoquant une émotion si forte que la Sorbonne l’a finalement autorisée. On a cru alors l’événement résolu. En réalité, j’ai bien donné ma conférence, sous haute sécurité, mais je suis entrée ensuite dans une période de « diète » universitaire : quelques collègues ont tenté, sans succès, de m’inviter dans leurs universités pour y présenter ma conférence sur Le Frérisme et ses réseaux, laquelle explique de façon documentée et méthodique comment les Frères musulmans agissent pour subvertir nos sociétés sécularisées, notamment en investissant les universités. On ne trouvait plus de salle libre, il y avait toutes sortes d’impossibilités de dernière minute… Je pouvais ainsi donner des conférences partout, mais jamais devant des étudiants.
A l’université de Lille, un syndicat étudiant classé à droite, l’UNI, a pris son courage à deux mains et m’a invitée à donner une conférence le 5 mars 2025. Dès son annonce publique, l’évènement a été pris en chasse par une organisation étudiante motivée par deux idéologies alliées : l’islamisme et la gauche radicale, qui, sans surprise, détestent mon travail. Ce syndicat Union Étudiante a diffusé des affiches calomnieuses me traitant de raciste et m’identifiant à l’extrême droite, ce qui a toujours un effet hypnotique sur les étudiants. Il n’est pas surprenant que ce syndicat ne soit pas capable de mobiliser le moindre argument puisque, comme il le dit très bien, il n’est pas possible de parler à la droite, car pour lui la droite c’est l’extrême droite raciste avec laquelle il ne faut pas parler. La seule option qu’il lui reste est la censure. Ce syndicat, bien mal nommé, a tenté d’empêcher la tenue de ma conférence, mais au fond ce n’est pas lui qui a pris la décision de ne pas l’autoriser.
Ce sont donc eux qui réclament la censure, mais qui a choisi de la faire appliquer, qui a décidé au sein de l’université ?
Il faut plutôt se tourner vers M. Potteau, le doyen de la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille, dont j’ai pu consulter le message adressé à l’organisateur le 25 février 2025. A-t-il obéi aux injonctions du syndicat ? Peut-être, mais pas seulement. Il a fait savoir à l’organisateur qu’il y avait un risque de trouble à l’ordre public en raison d’un contexte extrêmement conflictuel existant, disait-il, entre l’invitée (moi-même) et les membres d’une unité de recherche de sa faculté, et que donc il ne pouvait pas autoriser la conférence.
Ce ne sont donc pas les étudiants qui ont emporté la décision, mais bien des professeurs. Ceux-ci sont-ils téléguidés ? Trouve-t-on des liens entre certains chercheurs du labo en question et la Frérosphère ?
Analysons l’argument. Le doyen semble redouter non pas que le syndicat menaçant s’en prenne à ma conférence, mais les réactions conflictuelles de mes collègues membres du CERAPS – une unité de recherche de sa faculté. Trois chercheurs au moins travaillent sur des problématiques liées à l’islam contemporain et ils se montrent très hostiles à mes travaux. Par exemple, Karim Souanef considère que mon travail véhicule des biais qui « sont les conséquences d’une position normative, un anti-islamisme académique, et de l’absence de cadre épistémologique et théorique » (sic), mais sans dire lesquels.
Le problème ce n’est pas le désaccord, mais le fait qu’aucun de ces chercheurs n’ose débattre avec moi.
Quant à moi, j’estime que certains des chercheurs servent la cause frériste, et qu’ils utilisent leur position à l’université pour empêcher un travail sur les mouvements islamistes et les remplacer par des études sur les discriminations dites « islamophobes ». Les méthodes de Julien Talpin et Olivier Esteves, chercheurs au CERAPS, auteurs d’un livre publié au Seuil, ont d’ailleurs été épinglées par des intellectuels qui ont souligné les biais méthodologiques et les intentions idéologiques de leur livre, preuves à l’appui cette fois, dans un article publié par l’hebdomadaire Le Point[1].
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Le lecteur peu au fait de ces sujets pourrait penser qu’il s’agit d’une querelle entre chercheurs. Ce n’est pas le cas. Il n’y a pas de débat académique car une partie fait tout pour l’empêcher notamment en instrumentalisant les étudiants et en leur commandant de ne pas lire et citer certains chercheurs dans leurs mémoires. Les syndicats étudiants de la gauche radicale utilisent des méthodes d’intimidation violentes psychologiquement et parfois physiquement, comme on l’a vu depuis le 7-Octobre, et qui impressionnent les recteurs. Si je parle du 7-Octobre, c’est qu’au CERAPS de Lille, on ne cache pas son soutien à la cause « palestiniste » et une certaine complaisance, c’est le moins qu’on puisse dire, vis-à-vis des thèses fréristes.
Julien Talpin, par exemple, est connu pour ses liens avec l’association proche des Frères musulmans Alliance citoyenne[2], il peut dire par exemple que « le burqini n’est pas un symbole religieux »[3] ce qui n’est pas seulement du déni, mais bien ce que les Anglais appellent du gaslighting (autrement dit une forme de manipulation consistant à inverser toutes les valeurs, à retourner tous les concepts et à dévoyer le langage de manière à renvoyer ceux qui en sont victimes à une forme de folie et d’impossibilité à saisir la réalité). Il fait aussi des conférences en compagnie d’Elias d’Imzalène, frérosalafiste fiché S qui a pour mission d’infiltrer les milieux de la gauche radicale, et que l’on a vu très actif dans des mobilisations pro-Hamas.
Décidément, Lille est un microcosme particulier. Le directeur de Sciences-po Lille, Pierre Mathiot, adorait participer aux rassemblements organisé par les Frères musulmans. Même quand ceux-ci invitaient les prédicateurs les plus obscurantistes et violents. Il continuait à les fréquenter y compris en tant que délégué interministériel et très proche de la ministre de l’Education d’alors, Najat Vallaud-Belkacem. Il n’a jamais rompu avec ses amis et est toujours très en cour quelle que soit la cour et reste un fidèle relais des Frères : en 2023, il luttait aux côtés des frères musulmans pour empêcher le déconventionnement du lycée Averroes, établissement sous leur coupe et fleuron de leur offensive éducative. Mais là, vous nous montrez que la gangrène a encore progressé dans la métropole lilloise.
Ce qui est sûr c’est que pour coécrire son livre, Julien Talpin a fait appel à deux recruteurs de témoins musulmans dans une annonce du club de Mediapart en 2021 : Marwan Muhammad du CCIF (interdit en France) et le frérosalafiste Fateh Kimouche, promoteur du hijab intégral et du halal way of life, un proche d’Elias d’Imzalene. Le biais de recrutement a évidemment des incidences sur les analyses de récit et sur les conclusions du livre qui sont destinées à faire croire que les musulmans subissent un traitement discriminatoire structurel par l’État. Le CERAPS de Lille qui s’est opposé à ma venue organise également des séminaires comme celui d’Haoues Seniguer un autre de mes contempteurs qui participe depuis des années aux congrès des Frères Musulmans de France. Lui aussi s’est spécialisé dans la dénonciation de la « République autoritaire », je cite. Il s’est précipité dès la sortie de mon livre pour publier des textes incendiaires depuis l’EHESS-IISMM dont il était l’influent co-directeur, textes insultants et peu probants auxquels j’ai d’ailleurs répondu dans un autre texte, mais je n’ai pas pu le faire à l’Université ; lui y a accès, pas moi[4].

C’est un peu ennuyeux que ce Haoues Seniguer fasse œuvre de propagande en distillant le venin de l’existence d’une islamophobie d’Etat et que dans le même temps il soit membre du conseil scientifique du Bureau central des cultes au ministère de l’Intérieur. C’est parce que Hassan Iquioussen n’était pas libre et Tariq Ramadan occupé à préparer ses procès ?
Je pense que le Bureau Central des Cultes (BCC) est très imprudent dans le choix de ses interlocuteurs. Aussi bien de ceux qui sont supposés représenter le culte musulman, que de ceux qui composent le conseil scientifique, des académiques, qui choisissent les candidatures des projets qu’il finance chaque année depuis 2015. Je pense que le BCC n’a aucune compréhension du frérisme, aucune idée de sa dangerosité, aucune appréhension de ses méthodes d’infiltration et de noyautage qui ne sont pas celles du djihadisme avec qui le frérisme partage le même projet de société islamique. Et comme le BCC joue un rôle clé dans la gestion des relations entre l’État et les cultes, il peut être une porte d’accès pour l’entrisme islamiste au ministère de l’Intérieur.
L’entrisme concerne tous les secteurs, cela a été théorisé par Youssef Al Qaradawi le maître à penser des Frères musulmans européens. Le secteur de l’éducation et notamment l’université a toujours été une priorité pour les Frères qui veulent former une élite. Ils ont compris que, pour garder une position de contrôle, il fallait empêcher à tout prix la connaissance de l’islamisme en contexte européen. Ils ont fait en sorte que tout débat contradictoire à ce sujet soit considéré comme une atteinte islamophobe et raciste, et ont facilité la carrière de chercheurs dociles qui sont devenus leurs instruments, et empêché celles de chercheurs critiques.
Mon livre sur le frérisme qui connait un vrai succès est passé à travers les mailles de leurs filets, ils m’en veulent beaucoup. S’ils parviennent à susciter un climat de terreur, la responsabilité, sur ce plan, n’est pas seulement celle des idiots utiles de l’islamisme que sont certains syndicats étudiants, c’est celle de l’institution universitaire qui ne fait pas son travail.
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Quelles sont les conséquences pour vous de cette lâcheté qui semble caractériser les dirigeants d’université et des grandes écoles (Sciences-po s’est ridiculisé dans le soutien à la Palestine, les grandes universités américaines ont vu leurs dirigeants nuancer le combat contre l’antisémitisme en mode « ça dépend du contexte », tout cela après le véritable premier pogrom du XXIème siècle) ?
Le résultat, en ce qui me concerne, c’est que, bien que fonctionnaire du CNRS, payée par le contribuable pour chercher et enseigner, je ne suis plus en mesure de le faire sur les campus… ce que le CNRS me reproche, de surcroit. Je suis menacée dans mon propre pays, placée sous protection policière, ma tête circule sur les réseaux étudiants avec la mention raciste écrite en gros, avec tous les risques que cela implique. Certes, je peux survivre et vivre de mes recherches sans aller à l’université, j’ai tout le matériel intellectuel pour cela, je peux aussi partir à l’étranger, bien que la situation n’y soit pas toujours meilleure comme je l’ai montré avec l’exemple anglais[5]. Mais ce qui m’inquiète c’est que je n’ai plus accès aux étudiants. Certains d’entre eux viennent me dire qu’ils ne sont pas libres de mener leurs travaux comme ils l’entendent, pas libres de réfléchir, pas libres des lectures de leur choix, pas libres de critiques. D’autres me rapportent qu’on a changé la formulation de leur sujet d’étude, qu’ils ont le sentiment d’être contrôlés, ne veulent pas prendre le risque d’être harcelés etc.
On ne peut que plaindre ces jeunes étudiants. Concernant la conférence, d’autres ont déjà été annulées, je pense par exemple à une conférence sur la Palestine que devait faire Rima Hassan et Jean-Luc Mélenchon à l’université de Lille, le 18 avril 2024. L’université n’a-t-elle pas choisie le parallélisme des formes ?
Je comprends cette question, mais justement le problème est qu’il n’y a aucun parallèle à faire. Rima Hassan et Jean-Luc Mélenchon font des campus leur QG pour tenir leurs meetings politiques. Ils rebaptisent en « conférence » ce qui n’est que propagande. En ce qui me concerne, je suis docteure en anthropologie, habilitée à diriger des recherches et chargée de recherche au CNRS, l’université est mon biotope. La recherche et le séminaire sont mes activités principales, et quand je donne une conférence c’est pour proposer mes hypothèses et résultats, pas pour asséner des vérités ni même emporter l’adhésion. Ce que je recherche c’est la critique, car c’est ainsi qu’on produit la connaissance.
Pour faire évoluer notre compréhension des choses et l’enseigner, on nous a alloué un lieu qui s’appelle l’université. Cet espace doit être protégé pour garantir ce qu’on appelle la liberté académique : la possibilité de tout questionner, de tout étudier selon des règles et des méthodes rigoureusement définies. Si cet espace devient hostile et ouvert aux vents des idéologies, plus aucune recherche, plus aucun enseignement ne sont possibles. Le milieu universitaire devient alors redoutablement toxique pour les enseignants-chercheurs comme pour les étudiants qui sont la future élite, sa toxicité se répand, durablement, dans toute la société. L’Université française, les sciences sociales et, en particulier, les études sur l’islam contemporain sont en voie de disparition, alors que l’islamisme menace la cohésion nationale de l’aveu même du directeur du renseignement territorial Bertrand Chamoulaud[6].
Si le doyen de l’Université n’a pas eu de courage, on ne peut pas en dire autant de Xavier Bertrand. Le président de la Région des Hauts-de-France, qui a porté le combat contre le frérisme et a le premier coupé les crédits au lycée Averroes, vous a soutenu et trouvé une salle pour que vous puissiez tenir cette conférence.
Et je l’en remercie. Nous allons d’ailleurs organiser en plus de ma conférence une table tonde sur la liberté académique. Les censeurs ont perdu deux fois. Et, soyez-en sûre, je reviendrai à l’Université.
[1] Ils estimaient notamment que « l’ouvrage constitue une honte méthodologique et déontologique, au service des basses œuvres électoralistes d’une gauche radicale dévoyée dans l’islamo-gauchisme, et qui ternit considérablement la réputation d’une maison d’édition naguère respectée ».
https://www.lepoint.fr/debats/quand-la-sociologie-cede-a-l-ideologie-31-05-2024-2561666_2.php
[2] https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/la-france-tu-l-aimes-mais-tu-la-quittes-le-livre-au-service-de-la-strategie-victimaire-islamiste
[3] https://www.liberation.fr/debats/2019/07/21/burkini-entendre-cette-demande-d-egalite_1741270/
[4] Auquel j’ai répondu
[5] https://www.lepoint.fr/monde/pourquoi-les-freres-musulmans-investissent-ils-le-monde-universitaire-britannique-09-03-2024-2554577_24.php
[6] Le Monde, https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/12/23/pour-le-patron-du-renseignement-territorial-les-deux-risques-majeurs-pour-la-cohesion-nationale-sont-le-narcotrafic-et-le-separatisme-islamiste_6463074_3224.html
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