Flo, le biopic romancé de Géraldine Danon est à l’affiche depuis mercredi dans les salles. Librement inspiré de la vie de Florence Arthaud (1957-2015) incarnée à la perfection par l’actrice Stéphane Caillard, ce film a l’immense mérite de remettre dans la lumière la seule navigatrice ayant remporté la Route du Rhum, notre dernière étoile des mers.
Pourquoi Florence Arthaud nous touche-t-elle autant depuis sa disparition tragique dans un accident d’hélicoptère ? Parce qu’on a longtemps vu son regard perdu sur les plateaux de télévision, il balayait la platitude des studios tel un phare planté en haute mer ; dans cet environnement hostile et insincère, elle conservait son quant-à-soi. Une puissance d’insoumission qui faisait l’économie de mots trop amples et de gestes trop apprêtés qui sont la marque des poseurs. Ceux-là encombrent les programmes. Ils sont de quart en permanence, toute l’année, jamais fatigués de faire reluire leur égo. Dans cette arène médiatique, les truqueurs sont à leur aise. Ils déploient leur vanité et hissent leur vacuité en pleine promo, gonflés au délirium. Ils ont toujours quelque chose à vendre ou à vanter, une cause à revendiquer ou un business à maintenir; alors quand Flo apparaissait en deuxième partie de soirée, coincée entre deux artistes en jachère, dans ces émissions où l’impertinence confinait à la vulgarité, elle serrait les dents et nous éblouissait par sa nature indomptable.
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Elle gardait le cap ; en pensée, elle était pourtant loin, très loin, à des milles nautiques de ces exercices commandés où un navigateur est obligé d’être un marchand comme un autre. De courir le sponsor et de ne surtout pas faire fuir la ménagère, la cheffe des achats. Flo était incapable de jouer avec les règles faussées de ces milieux avariés, d’aguicher le téléspectateur avec de la frime et de l’exploit en barres. Sa pudeur nous honorait. Une forme d’élégance parcimonieuse et cependant lumineuse transparaissait. Quelque chose de complètement étranger à la situation qui imposait de l’éclat, de la flambe, de l’ironie, du vacarme, en somme. Avec Flo, une retenue, si rare, si friable, si souveraine jaillissait du petit écran. Nous n’étions pas habitués à cette vérité-là, tellement inondés par les médiocrités qui font le lit des grandes carrières populaires. Chaque moment passé en compagnie de Flo, par l’entremise du téléviseur, était intense, brisé, chargé d’une émotion palpable, épidermique, instinctif, nous ressentions cette onde comme un cadeau du ciel. Nous la savions sur un fil, peut-être même au plus mal. Son absence de gloriole nous la rendait terriblement attachante. Son charisme explosait. Il prenait tout l’espace, sans artifice. D’autres qu’elle auraient dû batailler pour espérer décrocher un peu d’attention, un peu de chaleur, nous lui étions acquis car elle ne filtrait pas la douleur. Elle était droite et humble, fracassée et insubmersible. Quel souffle de vie ! Une « femme like U » qui nous emmenait au bout du monde. Une supernana dont les exploits encore aujourd’hui nous fascinent. Nous l’observions dans cet océan de rires bêtes, surtout ne pas tanguer, ne pas sombrer, nous la soutenions de notre canapé, il y avait chez elle, en même temps, l’abîme et la résurrection, les errements et le courage extrême. C’est peu dire qu’elle nous impressionnait. Poliment, patiemment, elle répondait, un peu ailleurs, avec l’envie de se débarrasser de cette corvée, d’en finir avec cet animateur intrusif et, malgré tout, elle remportait cette joute haut la main. Elle fut notre fiancée de l’Atlantique, nous l’avions en poster dans nos chambres d’ado, elle rivalisait avec Rocky et Schwarzy. Elle pimpait notre morne existence. La seule star des vagues au féminin, nous la mettons sur la même haute marche du podium que Tabarly, le père fondateur, le capitaine de vaisseau, celui qui posa la première pierre, tira la première drisse, qui fit de la voile, un métier, un loisir, une économie, un sport, une éthique nationale, et même une morale des mers.
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Dans la mémoire de très nombreux Français, ces deux-là ont fait entrer le nautisme à l’intérieur des départements agraires, dans les corons et les banlieues grises. Ils étaient exigeants, déterminés, surdimensionnés et portés par une ambition plus vaste, plus dévastatrice que leur minuscule « moi ». Nous ne pouvons pas revoir les images de la Route du Rhum 1990 sans une fierté pour la chevauchée fantastique de Flo, nous sommes emplis de bonheur et d’une immense gratitude.
Flo était une championne entière et possédée par une passion tempétueuse. Avec ses tee-shirts rock, son bandana dans les cheveux comme Véronique Sanson dans ses années américaines, sa détermination sans faille dans les bras et le cœur, elle avait amené en tête son trimaran Pierre 1er, tout paré d’or éclairé d’un liseré bleu, sur les côtes de la Guadeloupe. Minuit n’avait pas encore sonné dans les Antilles, et la France faisait connaissance avec Flo pour l’éternité. Le film de Géraldine Danon ne trahit pas cette folle épopée.
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