Dans Fragments d’une traque amoureuse de Fleur Zieleskiewicz, Hana est jeune, amoureuse mais elle est aussi et surtout excentrique, bipolaire, entière, passablement incontrôlable, fumeuse, un peu droguée et dangereusement attachante. Dick, c’est l’homme idéal, l’amant rêvé, peut-être pas le gendre idéal mais pour Hana, c’est tant mieux. Elle l’aime, elle l’adore, elle serait prête à le rejoindre partout s’il l’appelait. Si seulement il l’appelait. Parce qu’en fait d’idylle, ils ont passé une seule nuit ensemble, à New-York, quelques mois auparavant. Une nuit torride, magique, idéale. Et depuis, plus rien.
Du coup, pour passer le temps entre deux séances où elle le harcèle par Internet, elle s’embarque pour un voyage à visée thérapeutique un peu particulier. Il faudrait guérir de Dick, toujours aux abonnés absents. Alors Hana commence un tour du monde avec le maximum d’escales et sans jamais sortir des aéroports, sans même se risquer trop longtemps hors des coins fumeurs. Dans les zones d’embarquement, entourée d’anonymes pressés, de valises à roulettes et de vitrines plus ou moins alléchantes des pays qui encerclent les pistes d’atterrissage, Hana est enfin dans son élément. Son casque vissé sur les oreilles ne l’empêche pas de se laisser bercer par le brouhaha rassurant des aéroports. Rien ne lui échappe. Elle plane dans cette matrice qui ingurgite et recrache les hommes inlassablement, se fixe des objectifs à visée hautement métaphysique, comme ne pas quitter Francfort sans une saucisse, peste contre les non-fumeurs et les végétariens qui encombrent son espace vital de mauvaises ondes et de barres protéinées.
Elle scrute les voyageurs, devine le contenu de leurs bagages en un coup d’oeil expert, les photographie mentalement et en livre des vignettes grinçantes. À La Nouvelle-Orléans, elle converse avec la sorcière vaudou Marie Laveau, à Manhattan elle se nourrit de Vitamin Water, détaille la déco à Copenhague, mais à Zurich, elle pense à Dick. Elle ne pense même qu’à lui.
Hélas, la diversion ne prend pas tout de suite. Elle s’accroche au fantôme de Dick, le bombarde de sms, s’excuse de l’avoir bombardé de sms en le bombardant de mails, et ainsi de suite. C’est humiliant, douloureux mais haletant. Fragments d’une traque amoureuse est un roman empathique. On a envie d’aller coller une paire de claques à ce salaud qui ne prend même pas la peine de répondre, on a aussi envie, de temps en temps, de dire à Hana d’arrêter de se faire du mal, de rentrer à Paris et de sortir noyer la déception dans le Bloody Mary avec ses copines, on se proposerait même d’être de la partie.
Heureusement, Hana finit par atterrir, non sans turbulences, à Roissy-Charles-de-Gaulle. Dick restera donc un beau rêve ou, au choix, le souvenir d’une désastreuse tentative de reconquête. On dit que les ruptures forgent le caractère et que les voyages forment la jeunesse. C’est sûrement ce que penserait la maman d’Hana qui n’a jamais mis les pieds dans un aéroport. C’est moins vrai, visiblement, pour Han.
Fleur Zieleskiewicz signe un premier roman nerveux, cynique, ultra moderne et connecté et ne pas prolonger le voyage en visitant sa galerie de photos et en branchant la playlist qu’elle a concoctée pour l’occasion serait faire une grave erreur, voire une pire : une faute de goût.
Fragments d’une traque amoureuse, Fleur Zieleskiewicz – L’Éditeur.
*Photo : Pixabay.
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