Elle ne partage pas leurs idées et elle se battra pour qu’ils ne puissent pas les défendre. Fleur Pellerin a une curieuse conception de l’impartialité de l’État. Ou alors c’est une coïncidence. En tout cas, le décret réformant les aides directes à la presse, publié le 7 novembre au Journal officiel, va permettre à quelques titres appréciés en haut lieu de bénéficier des deniers publics et priver quelques autres, honnis, des mêmes largesses. Précisons qu’il s’agit des fonds versés, ça ne s’invente pas, au titre du « pluralisme de la presse ». Le pluralisme, elle adore ça, Fleur Pellerin. La preuve, elle tient à ce que toutes les nuances de la presse de gauche soient traitées équitablement.
Jusque-là, en effet, seuls les quotidiens d’information politique générale à faibles ressources publicitaires, comme L’Humanité, La Croix et Libération, pouvaient bénéficier de ces subsides. Or, la ministre n’en a pas fait mystère : pour elle, il était anormal que des périodiques comme Charlie Hebdo, Le Monde diplomatique, Society et le 1, le journal créé par Éric Fottorino, fussent privés de ces largesses – bizarrement, elle n’a pas cité Causeur[1. Désolée, madame le ministre, mais à moins d’inventer une clause excluant les titres dirigés par des femmes ou ceux dont le nom commence par C., Causeur est parfaitement dans les clous de ce nouveau décret..] Elle a donc décidé que tous les périodiques à faibles ressources publicitaires percevraient désormais cette « aide au pluralisme » – pour peu que leur diffusion payante soit inférieure à 300 000 exemplaires, ce qui, in fine, a écarté Charlie Hebdo. Mais s’il n’avait tenu qu’à la ministre, le journal, qui est sans doute l’un des plus riches de France, aurait, lui aussi, reçu des fonds publics pourtant destinés à la presse en difficulté.
Seulement, alors que le décret était en préparation, on s’est avisé, au cabinet de la ministre, que le nouveau régime aboutirait à subventionner des journaux franchement hostiles au pouvoir, comme Valeurs actuelles, Minute ou Rivarol. Madame Pellerin pense peut-être que l’argent de l’État appartient au gouvernement.[access capability= »lire_inedits »] En tout cas, ce scandale devait cesser avant d’avoir commencé. On a donc bricolé à la hâte une « clause Valeurs actuelles », qui exclut de l’aide au pluralisme les titres déjà condamnés pour incitation à la haine raciale. Or, Yves de Kerdrel, le patron de l’hebdomadaire, a été condamné en mars dernier à 3 000 euros d’amende pour « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence » après une couverture polémique sur les Roms. On notera en revanche que si un patron de presse a été condamné pour abus de biens sociaux ou escroquerie, cela ne restreindra nullement les droits aux subventions de son journal. Peut-être y avait-il urgence pour les journaux « amis » ? En tout cas, trois jours après l’intervention de Fleur Pellerin devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée, l’affaire était pliée et le décret promulgué. Mais qu’on ne croie surtout pas qu’il s’agirait là d’une utilisation politique de l’argent du contribuable. Qu’allez-vous chercher là ? « C’est un principe républicain, personne n’est visé en particulier à cause de sa ligne politique », proteste le cabinet de la ministre, cité par Le Monde.
Tout en assurant qu’il ne voulait pas bénéficier des aides concernées, Yves de Kerdrel, patron de Valeurs Actuelles, conteste le décret devant le Conseil d’État. Et il a reçu le soutien de l’ensemble des éditeurs, solidarité qui a beaucoup surpris nos confrères du Monde. Aussi étonnant que cela semble à certains, on peut détester Valeurs actuelles et refuser qu’il subisse un règlement de défaveur. En s’autorisant à décerner des brevets de casherout idéologique et à établir des distinctions morales entre journaux, le gouvernement commet en effet un excès de pouvoir caractérisé. Quant au cochon de contribuable, on ne lui demande pas son avis, ni pour renflouer l’Humanité – dont les députés ont effacé la dette de 4 millions d’euros auprès du Trésor public en décembre 2013 –, ni pour pénaliser Valeurs actuelles ou Minute.
On conviendra que cette mesure manque pour le moins de fair-play. Encore est-il vaguement possible de lui inventer une justification politique. En revanche, l’augmentation drastique des tarifs postaux applicables à la presse people relève purement et simplement du règlement de comptes. Pour cela, en effet, on a créé une nouvelle catégorie, la « presse de loisirs et de divertissement » qui, à la différence de la « presse de la connaissance et du savoir », paiera plein pot[2. Il est vrai qu’on ne saurait accuser le Monde Diplomatique d’être un « journal de divertissement ».]. Difficile de ne pas voir là une vengeance contre Closer, coupable d’odieuses attaques contre cette minorité opprimée que sont les maîtresses de chef d’État. Et tant pis si, au passage, tous les journaux du genre subissent la même discrimination. Comme ça, ils réfléchiront avant d’embêter le président ou mademoiselle Gayet. En attendant, il faut saluer la créativité de notre belle gauche : après la laïcité ouverte, elle vient d’inventer le pluralisme fermé.[/access]
*Photo: Sipa. Numéro de reportage : 00733894_000008.
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