C’était écrit, la chronique de Jérôme Leroy
En novembre 2020, complaisamment repris par les médias, le professeur Raoult déclarait : « Les vaccins, c’est de la science-fiction. » Près d’un an après, comment ne pas penser aux personnages récurrents du très grand et regretté Gotlib dans La Rubrique-à-brac. Quand Démocrite, Pasteur ou Galilée exposent leurs théories et le fruit de leurs recherches, on leur objecte un docte et définitif : « Alors là, mon cher, vous êtes en pleine science-fiction. » Au-delà du gag montrant l’absurdité des déclarations péremptoires démenties quelques mois ou quelques années plus tard, le scepticisme émis devant les innovations médicales, venant parfois des médecins eux-mêmes, est une vieille histoire.
Personne, mieux que Flaubert, n’a rendu compte du rapport ambigu qu’une époque peut entretenir avec la médecine. Il a su se moquer cruellement de l’arrogance scientiste de Homais dans Madame Bovary qui encourage le naïf Charles, mari d’Emma, à opérer le pied bot d’Hippolyte en suivant une méthode nouvelle, ce qui conduit à l’amputation du pauvre garçon de salle du Lion d’or.
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Mais Flaubert est aussi le fils d’un très grand médecin de Rouen, Achille Flaubert. Il déclare ainsi dans une lettre à Louise Colet : « Je suis aussi athée que toi en médecine, et plus. Mais non pas en médecins. Je ne crois pas à la science, qui est (dans son état moderne) toute d’analogie et d’instinct. Mais je crois au sens spécial de certains bonshommes qui sont nés pour ça, et ont pioché. » Flaubert aurait-il estimé que Raoult fait partie de ces certains bonshommes ? C’est ce que pense Macron qui, en pleine polémique sur le départ de Raoult, déclare lors de sa visite à Marseille : « Mais moi je ne rentre pas dans ces débats, il faut qu’on continue à avoir de grands scientifiques, qu’ils participent à la construction de la science », avant de préciser : « Il faut rendre justice à Didier Raoult qui est un grand scientifique. »
Pour Macron, donc, on sait. Comme Flaubert, il croit plus dans les médecins que dans la médecine.
Et pour le vaccin, alors ? En ce qui concerne notre président, on a vu, depuis le 12 juillet, que ce n’est pas de la science-fiction, c’est même son arme fatale contre le virus. Pour Flaubert, dans le Dictionnaire des idées reçues, à l’article « Vacciné », on peut lire : « Ne fréquenter que des personnes vaccinées. » Toute l’ambiguïté de Flaubert, c’est qu’une idée reçue n’est pas nécessairement une idée fausse, et qu’une telle lecture de son Dictionnaire a été l’objet de nombreux contresens. Flaubert est tout simplement agacé par les lieux communs : il n’est pas le prophète du passe sanitaire, mais pas non plus celui des antivax.
Irrécupérable, donc, comme tous les grands écrivains…