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Commission européenne: la politique de concurrence aux mains des Américains?

La possible nomination de Fiona Scott Morton à Bruxelles inquiète


Commission européenne: la politique de concurrence aux mains des Américains?
D.R.

Fiona Scott Morton pourrait être nommée à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne, à Bruxelles. Au-delà même de la nationalité de cette économiste, une telle décision est abracadabrantesque pour de nombreuses raisons.


C’est une nomination pressentie qui provoque beaucoup de remous. Selon la Lettre A, l’Américaine Fiona Scott Morton est envisagée pour prendre l’un des postes les plus importants et les plus convoités de la Commission européenne, celui qui la placerait à la tête de la Direction générale de la concurrence. Une Américaine veillerait donc à l’application stricte des règles de concurrence, ces mêmes règles qui sont accusées d’affaiblir l’Europe et de l’empêcher d’être la puissance économique qu’elle pourrait être et dont les Etats-Unis s’extraient sans remords quand il s’agit de favoriser leurs entreprises.

La candidate est passée par Amazon et Apple !

Les critiques qui pleuvent sur cette possible nomination s’organisent autour des conflits d’intérêt générés par les activités passées de Mme Scott Morton. Celle-ci a été un pilier de nombres d’entreprises des Big Tech, dont Apple et Amazon, lesquelles ont su habilement contourner leurs obligations au point d’être accusées de pratiques anticoncurrentielles. Mais après tout l’ancien bagnard Vidocq n’a-t-il pas été un excellent policier ?

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Le problème se pose surtout en terme de souveraineté et d’indépendance, mais la Commission croit que ces questions sont dépassées et que l’Europe n’évolue pas dans un monde qui devient de plus en plus dur et nécessitera de plus en plus de savoir défendre ses intérêts. Elle fait comme si elle n’était qu’un générateur de réglementations et un organe de contrôle et ne voit pas que nommer une Américaine, aussi insérée au sein de l’élite économique de son pays, c’est s’ôter toute garantie d’autonomie, laisser les Américains tout connaitre des intentions et du fonctionnement de l’institution, envoyer le signal que l’Europe va continuer à organiser sa propre impuissance plutôt que de se doter des outils économiques qui lui permettraient de peser en son nom propre. Ce choix est celui d’une forme de sujétion inconsciente.

Europe aveugle et sourde

Outre les conflits d’intérêts majeurs qui pèsent sur elle et rendent cette nomination peu sûre, Mme Scott Morton est un parfait produit de l’Amérique. Sa loyauté peut fondamentalement être interrogée, alors que les Etats-Unis ont toujours veillé à ce que l’Europe n’exploite pas ses atouts économiques pour devenir une vraie puissance. Cette politique d’affaiblissement de l’Europe passe par l’organisation d’une concurrence interne plutôt que par des politiques d’alliance et de coopération ou par la constitution de champions industriels. Et l’Europe a parfaitement su œuvrer ainsi contre ses propres intérêts. Mme Scott Morton, professeur d’économie à Yale depuis 24 ans, parfaitement intégrée à l’élite américaine qu’elle contribue à former, fut chief economist de la division antitrust au Department of justice sous Barack Obama et est très proche de nombres d’entreprises des GAFAM.

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Tout dans ce qu’elle est et ce qu’elle incarne va dans le sens d’une Europe aveugle et sourde à son environnement et qui, devant la crise climatique, énergétique, économique et alimentaire qui vient, continue de mettre en place des politiques qui l’affaiblissent et exposent ses habitants. En faisant d’une Américaine pétrie des intérêts de son propre pays la gardienne du temple de la concurrence, la commission européenne montre sa totale déconnexion avec les enjeux de notre temps et sa soumission à un dogme de la concurrence qui l’empêche de jouer le seul rôle qui lui permettrait de regagner la confiance et l’intérêt des peuples : celui d’une alliance qui renforce ses membres au lieu d’être une coalition sans âme qui par idéologie accentue leurs faiblesses et organise sa propre mise sous tutelle.

L’Europe n’a pas les moyens de sa défense et dépend déjà des Etats-Unis pour assurer sa sécurité. En envisageant la nomination de cette Américaine à la tête de sa Direction générale de la concurrence, c’est à un allié dominateur et dépourvu de scrupules en matière économique qu’elle donne un droit de regard et éventuellement une capacité à agir à son détriment. Même s’il suffit en fait d’appliquer scrupuleusement les règles de la concurrence telles que pensées au sein de l’Union pour la desservir. Ce que Mme Scott Morton ne manquera de faire ! L’intérêt que porte la Commission à cette candidature montre que l’Europe reste un nain politique, dépourvue de toute vision d’avenir et refusant de regarder en face la nécessité de penser la puissance dans un monde qui se défait.

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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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