Tandis qu’UMP et PS s’écharpent à l’Assemblée autour du « mariage pour tous » en s’envoyant noms d’oiseaux et triangles colorés, toutes ces histoires de bagues au doigt, de PMA, de GPA et d’identité sexuelle à la carte nous ont inspiré une saillie toute chiraquienne. Y a-t-il dans ce pays une fracture sociétale ? Deux France s’affrontent bel et bien, nous dit notre rédactrice en chef Elisabeth Lévy, « non pas celle du mouvement et celle du changement, mais celle qui croit que le changement est désirable en soi (…) et celle qui demande à choisir ». France d’avant et France en mouvement « se ressemblent plus que ce qu’elles croient » et rejouent le même match Moderne contre Moderne (Muray ©) en usant du même babillage : « papa et maman » areuh areuh !
Le hasard fait si bien les choses que chacune des deux icônes de ces deux France ont accepté de témoigner dans Causeur. Ainsi, la ministre du droit des femmes, porte-parole du gouvernement et fervente partisane du mariage pour tous Najat Vallaud-Belkacem a courageusement répondu aux questions sans concessions d’Elisabeth Lévy. « La parenté biologique existe, mais c’est une erreur de surinvestir cette dimension » car « ce qui fait filiation, c’est le parent social » explique-t-elle, non sans citer les modèles de familles recomposées, pour défendre et illustrer la loi Taubira. Le mariage pour tous n’enlève aucun droit à personne, conclut-elle, inutile de paniquer !
La pétulante Frigide Barjot n’est pas de cet avis. Pour notre catho branchée, le mariage pour tous est l’application pure et simple de la théorie du genre au mariage, qui prive les enfants de père et de mère. Et Barjot de se défendre d’incarner l’aile catho de la droite ; elle en veut pour preuves les renforts inattendus du couple Jospin, d’un député marxiste antillais et compte bien gagner les classes populaires à sa cause.
Ni pro ni anti mariage gay, la France populaire s’en contrefiche, nous indique cependant le géographe social Christophe Guilluy. Quoi qu’en disent les ténors du PS, l’électorat de Hollande n’a pas « voté pour ça », comme dirait Audrey Pulvar. Surtout pas la frange antillaise et musulmane qui vota à gauche contre le « raciste » Sarkozy au printemps sans partager l’imaginaire sociétal de l’actuel gouvernement. Si fracture il y a, Guilluy la trace entre les gagnants de la mondialisation et les petites gens demandeurs de frontières économiques, culturelles et identitaires.
C’est que le sociétalisme est la chose actuellement la mieux partagée, droite et gauche confondues, pain au chocolat contre vote et mariage à tous les étages, ainsi que je le démontre aux côtés de Jérôme Leroy. Chacun dans leur veine, Jacques de Guillebon et Romaric Sangars s’affligent de la propension contemporaine à l’ubris démocratique, où l’égalité confine à l’indifférenciation, la technique s’allie à la marchandise pour accoucher d’une morale qui « repose uniquement sur une préoccupation de décuplement de la jouissance dont elle fait croire qu’elle n’a pas de négatif » dixit JG. Même les abstinents revendiqués du mouvement asexuel réclament leur affiliation au courant LGBT, on croit rêver ! Notre invitée du mois Marie-Noëlle Tranchant s’insurge d’un tel confusionnisme à fondement artificiel : faut-il « inscrire dans nos lois que seuls les produits humains finis, dûment labellisés « culture et société » ont droit de cité » ? Avec sa critique du livre-pamphlet contre le droit des vote des étrangers que publie Cyril Bennasar aux éditions Mordicus, Jérôme Leroy nous prouve enfin que le sociétal n’est pas qu’une affaire de braguettes. Ouf, on respire !
Mais l’événement de ce nouveau numéro de Causeur, c’est l’inauguration en grande pompe du journal mensuel d’Alain Finkielkraut, « L’esprit de l’escalier », tiré de ses échanges dominicaux avec Elisabeth Lévy sur les ondes de RCJ. À travers trois thématiques – le mariage pour tous et son rapport à la culture, la guerre au Mali et le dernier Tarantino – l’auteur de L’Ingratitude bouscule l’actualité avec intelligence et acuité. Tout aussi réactive, Elisabeth Lévy nous gratifie d’un éditorial remonté contre les indécrottables optimistes qui croyaient assister à un 1789 tunisien et déchantent une fois l’hiver islamiste venu. Moralité : mieux vaut « avoir raison avec Finkielkraut que tort avec Daniel Lindenberg » !
Ce disant, bifurquons vers l’Algérie voisine où Slimane Zeghidour nous explique les tenants et les aboutissants de la question touareg, puis mettons le cap vers l’Est, où Gil Mihaely nous décrit les quatre tribus politiques que révèle la récente élection législative israélienne, avant que Luc Rosenzweig nous donne les clés de l’affaire Mohamed Al Dura, du nom du petit palestinien que France 2 prétend avoir filmé trépassant sous les balles israéliennes pendant la seconde Intifada.
Autre nouveauté de ce numéro décidément très riche, l’excellent Michel Holtz signe une entrée fracassante dans Causeur en analysant la crise du secteur automobile, laquelle suit les aléas de « la » crise tout court, les chamboulements géopolitiques et les besoins du marché de la pollution.
Nous soignons si bien nos invités qu’ils reprennent régulièrement du service dans nos colonnes. Mathieu Laine, que j’avais eu l’honneur d’interroger le mois dernier, revient dans nos pages cultures s’enthousiasmer de la démonstration d’Armand Laferrère, qui trouve l’origine du libéralisme moderne… dans la Bible. Moins optimiste, l’écrivain-éditeur Olivier Bardolle répond aux interpellations de son lecteur Jérôme Leroy, ravi de le voir mêler références situationnistes et réactionnaires dans L’agonie des grands mâles blancs… « À un certain niveau d’effondrement, l’insurrection devient inévitable » se justifie Bardolle, avec des accents survivalistes.
En passant, grignotez les chroniques habituelles de Roland Jaccard et François Taillandier puis admirez avec Timothée Gérardin les talents d’acteur de Leonardo Di Caprio. Car l’acteur italo-américain n’est « pas que beau » : comprenne qui pourra !
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