De Cassandre à Casimir, il n’y a qu’un pas. Ceux qui promettaient des lendemains qui chantent avec l’euro affirment aujourd’hui qu’un retour aux monnaies nationales serait une catastrophe. C’est ainsi que Le Figaro se fait l’écho d’une sombre étude publiée par la banque ING quantifiant l’impact d’une sortie de l’euro.
Une apocalypse économique
Enfer et damnation, il n’y a pas d’autres mots pour qualifier le scénario dépeint par Mark Cliffe, responsable de la recherche de la banque : baisse de 10% du PIB sur 3 ans, près de 14% de taux de chômage, un euro à 0,85 dollar, un litre d’essence à 1,75 euros. À l’en croire, la valeur du franc se dévaluerait de 15% par rapport au mark, et la lire de 25%. En oiseau de mauvaise augure, il prédit une dévaluation de 50% pour l’Espagne et jusqu’à 80% pour la Grèce. Ces sombres perspectives s’inspirent des événements subis par l’Argentine en 2002, où le PIB avait reculé de 10%, le chômage culminé à 20%, la pauvreté à 40%, le peso étant dévalué de 72% ! Est évoquée également une pression à la baisse sur les prix et les salaires en Allemagne et en France et l’éventualité d’une conversion des dettes et anciennes créances en euro, favorisant ainsi les débiteurs plutôt que les épargnants. Une sorte de prime au vice qui signerait également la fin de l’Union Européenne.
Comment ne pas voir dans cet exercice une volonté de défendre à tout prix la monnaie unique plutôt qu’une analyse prospective rationnelle ? L’article mentionné détaille les risques que nous prendrions si le « nouveau franc » venait à dégringoler par rapport à l’« ancien euro ». Dans le même temps, le rapport d’ING confirme nos prévisions selon lesquelles la parité du « nouveau franc » se retrouverait autour du point d’équilibre vis-à-vis de l’euro, en position intermédiaire entre le mark et la lire.
En clair, personne de sérieux ne soutient aujourd’hui que le franc se trouverait dévalué par rappelons-nous du précédent qui s’était étalé de début 1999 à fin 2000, période durant laquelle l’euro était passé de près de 1,2 dollars à 0,825. Loin de pénaliser l’activité, cette dépréciation avait au contraire permis à la zone euro d’enregistrer sa plus forte croissance annuelle, 3,9% en 2000 et encore 2% en 2001, et ce malgré le krach de la bulle Internet…
Une vision caricaturale du cas argentin
Notons que l’expérience argentine fait figure de cas d’école par rapport aux scénarii envisagés en Europe. N’oublions pas que la fin de l’union monétaire en Tchécoslovaquie s’est passée de bien meilleure manière, ce qui laisse augurer une transition plus aisée de l’euro au franc. Dans sa référence obsédante à l’Argentine, l’étude d’ING oublie de souligner que Buenos Aires traversait une grave crise depuis 1999, son PIB ayant reculé de 10% de 1998 à 2001, bien avant la dévaluation. Bien au contraire, c’est la défense acharnée de l’arrimage de sa monnaie au dollar qui provoqua la crise argentine !
Si la dévaluation brutale de début 2002 explique en grande partie la violente baisse du PIB argentin en 2002 (-10%), elle provoqua ensuite un regain d’activité marqué par une croissance moyenne de 8% les trois années suivantes. Le PIB de l’Argentine en 2004 dépassait donc celui de 2001. Il n’y a aucune raison de craindre un recul de l’activité prolongé sur trois ans en Europe, a fortiori pour des pays qui ne dévalueraient pas autant que l’Argentine en son temps. Certes, l’expérience argentine s’est avérée douloureuse et non exempte de défauts (en causant une forte inflation notamment). Il n’empêche que la dévaluation a permis de doubler les exportations de produits industriels et alimentaires de 2002 à 2006 tout en maintenant la croissance à un niveau élevé.
La France d’aujourd’hui pourrait bénéficier des avantages de la sortie (hausse des exportations du fait de la dévaluation du franc nouveau par rapport au mark et au dollar) sans les inconvénients d’une dévaluation sauvage – du fait de la stabilité du franc par rapport à l’euro. Bref, une analyse rapide du scénario d’ING permet rapidement d’en pointer les limites béantes. Partant, on peut se demander s’il n’exprime pas avant tout le souhait incantatoire de faire survivre l’euro envers et contre tout, quitte à avancer un scénario catastrophe digne des pires nanars hollywoodiens.
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