François Fillon, quoi qu’il arrive, sera candidat à la Primaire UMP de 2016 pour tenter de s’ouvrir le chemin de la présidence de la République en 2017.
On ne se moque plus de celui dont on se gaussait, du falot, de l’effacé, du vélléitaire Fillon. À Des paroles et Des actes (France 2), dans un registre rassurant, tranquille, parfois ironique devant certaines questions peu pertinentes ou superficielles, il a crevé l’écran. Réussite médiatique d’autant plus spectaculaire que ses analyses, ses subtiles provocations et son projet, loin d’être altérés, étaient au contraire mis en évidence grâce à la parole sereine qui les proférait.
François Fillon a déclaré qu’il n’aspirait pas à devenir président « par envie » mais « par devoir » parce que la crise qui affectait notre pays était d’une gravité exceptionnelle et qu’elle allait durer.
Le piquant – je ne crois pas que la répétition ait été due au hasard – tient à l’attitude ostensiblement calculée, lourde à force d’être répétée, de Nicolas Sarkozy cherchant à nous persuader qu’un jour son retour serait nécessaire et que « par devoir », il accepterait cette charge. S’il ne s’agissait pas de la France et de son avenir, cette tactique cousue de ressentiment revanchard, singeant De Gaulle sans la substance qui va avec, serait seulement risible.
François Fillon, sans sembler gêné par le quinquennat dont il avait été le Premier ministre, a exposé ses idées, sa vision de la politique et les mesures qu’il mettrait en oeuvre à partir du moment où il serait le seul maître à bord, le chef de l’Etat. Il n’est pas interdit de s’assigner une ultime ambition.
Il a invoqué, tout naturellement, son désir, après avoir servi Nicolas Sarkozy, de communiquer directement avec les citoyens, de faire connaître les axes de sa future action et la personnalité présidentielle qui serait la sienne. Il a précisé – ceci est capital – que 2017 ne serait pas la revanche de 2012 mais représenterait, pour notre pays, une page nouvelle adaptée à l’état de la France, de l’Europe et du monde.
Le vice de cette émission qui pourrait être remarquable, parce que son principe et ses séquences sont excellents, tient à mon sens à la faiblesse des questionnements. A l’exception de François Lenglet qui, malgré ses tableaux, parvient tout de même à dialoguer et à presser, rien de décisif ne sort jamais des interventions de David Pujadas – « on en reparlera » répété sans mesure – et de Jeff Wittenberg qui regarde sans cesse par le petit bout de la lorgnette le petit bout de la lorgnette.
On en était à attendre avec impatience la confrontation entre le ministre Cazeneuve choisi par Matignon pour ce débat et François Fillon. Le premier est sans doute compétent mais très bavard. Il a quelque chose de Cahuzac, évidemment en plus moral, moins percutant, avec un côté « bon élève appliqué » un tantinet ennuyeux. François Fillon, sans le prendre de haut, n’a tout de même pas pris sa contradiction au tragique. Il n’y avait d’ailleurs pas de quoi, en effet.
Tout au long Des paroles et Des actes, j’ai patienté, espéré. A bien considérer le passé de François Fillon et son ambition d’aujourd’hui, il n’y avait au fond qu’une seule question, mais fondamentale, à lui poser. François Fillon s’étant affirmé solidaire de la politique de Nicolas Sarkozy, il convenait de l’interroger alors sur la manière dont il compterait s’y prendre pour allier sa fidélité à son inévitable opposition à Sarkozy, puisque ce dernier sera motivé par sa volonté de revanche mais aussi par l’obsession de renvoyer Fillon à son statut de loser et d’homme sans caractère. Le crime de lèse Sarkozy ne pourra demeurer impuni.
Comment l’ancien Premier ministre, dès lors que la compétition le mettra forcément aux prises avec Nicolas Sarkozy, parviendra-t-il à se frayer une voie intelligente et comprise entre ce qu’il a été et validé et ce qu’il se propose d’accomplir pour demain ? Il a dû réfléchir à cette configuration et considéré qu’il fallait d’abord, sans illusion, rappeler à Sarkozy ses promesses de vaincu puis, si elles étaient oubliées, tenter sa chance contre lui redevenu citoyen ordinaire. Plus du tout statue du Commandeur puisqu’un Commandeur défait n’est et n’a plus de statue, pas davantage « lapin Duracel » agité en permanence, mais un homme dont peut-être on se sera lassé avec son style, sa suffisance, son incoercible besoin de se remettre en piste et d’entraver donc le destin politique des plus plausibles de ses rivaux. François Fillon s’est déclaré si tôt parce que, faute de véritable inventaire, il n’y avait pas d’autre moyen pour faire bouger les lignes et empêcher le ronron d’une machine au seul service de Sarkozy par l’entremise de Copé. Fillon sait bien que pour 2016 comme pour 2017, il devra convaincre bien au-delà du fait qu’il n’est pas, et heureusement, Sarkozy.
Les oiseaux de mauvais augure, surtout les prétendus spécialistes et analystes qui gravitent autour de l’ancien président stimulés, il est vrai, par celui-ci tellement empli de soi qu’il n’imagine pas pouvoir, au sein de son propre camp, être combattu, tournent en dérision François Fillon qui n’aurait pas stature de ce à quoi il prétend. Patrick Buisson s’y met à son tour et voit dans le populisme chrétien des opposants au mariage gay la continuation de la lutte pour « les valeurs » de Nicolas Sarkozy qui serait seul recours. On cauchemarde quand on entend évoquer les valeurs ( sans doute au sens propre!) de notre ancien président et de notre conférencier « bancaire ».
Buisson, conseiller de moins en moins dans l’ombre, la Droite forte et les adeptes de Sarkozy oublient que cette dernière marche, pour Fillon, sera probablement, par son caractère décisif et sans rattrapage possible, l’opportunité de révéler qui il est vraiment, son intelligence, sa force et, sous une apparente froideur, la flamme de son orgueil et son obsession de poser les bases d’une droite honorable, à la fois consciente des errements d’hier et désireuse de sortir d’une personnalisation vulgaire et à la longue destructrice.
Au fond, cette droite d’avenir ressemblera à un centrisme mais qui serait opératoire et fiable. Un état d’esprit dans une structure organisée et classique. Fillon sera peut-être, par certains côtés, un Bayrou mais qui aurait des troupes, des alliés, un parti et donc toute chance pour, conciliant morale, compétence et vérité, gagner demain (Le Parisien, Le Monde).
Il serait d’autant plus impudent et imprudent de prendre le futur de François Fillon à la légère qu’en dehors d’une majorité de militants UMP encore fixés mécaniquement sur Sarkozy, les sympathisants de droite, les électeurs n’ayant voté pour François Hollande que pour favoriser la retraite de son prédécesseur, les tenants d’un libéralisme civilisé, toute une France profondément hostile même à une social démocratie tiède, ont choisi de privilégier l’avenir et ses chances plus que le vaincu et son passé. François Fillon donc plus que Nicolas Sarkozy. Le second n’est pas crédible en sauveur- une expérience a suffi- quand le premier n’a jamais été en position de donner sa pleine mesure. Avoir été sous les ordres de Sarkozy ne disqualifie pas Fillon pour espérer présider mieux que lui. Il saura au moins ce qu’il ne faudra absolument pas accomplir ni être.
Si Fillon gagne la primaire UMP de 2016, sa position infiniment claire et nette sur le FN, loin de lui faire perdre du crédit, évitera de donner un lustre supplémentaire à ce parti que le socialisme maladroit ou se croyant trop habile ne cesse pas d’amplifier. Sarkozy, pour sa part, s’il l’avait brillamment étouffé en 2007, lui a en 2012, par un déplorable opportunisme, insufflé une vigueur redoutable en puisant dans son vivier.
Tous ceux qui ont été des téléspectateurs attentifs de Des paroles et Des actes, partisans de Fillon, indécis ou adversaires, ont unanimement salué la mue qui s’était opérée sous nos yeux et qui n’a pas d’autre alternative que d’aller au terme. François Fillon, solidaire mais pas enfermé, a pris ses distances avec Nicolas Sarkozy et s’est enfin découvert, détaché de la part dépendante et frileuse de lui-même.
Le collaborateur se vengera.
*Photo: capture d’écran DPDA
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