Causeur. Contrairement à ce qui avait été annoncé, la question de l’identité n’est pas au cœur du débat présidentiel, sinon pour dire qu’il ne faut pas en parler. Et, alors qu’elle est considérée comme hautement inflammable, elle a à peine animé le débat de TF1. À gauche, où l’on tient ces questions pour « nauséabondes », on s’en réjouit. Mais le résultat, c’est qu’à la fin de trois heures de débat, on n’a pas vraiment parlé de la France. Comment expliquez-vous que ce sujet qui hante les Français ne prenne pas ?
François Fillon. Comme vous l’avez dit, on n’évoque pas franchement la question française qui touche pourtant nos concitoyens au cœur. Nous traversons une crise existentielle, mais par angélisme ou par crainte d’affronter la réalité beaucoup se taisent. Une certaine gauche a fait du multiculturalisme la panacée de la modernité, sans mesurer les conséquences d’une société liquide sans repères rassembleurs. À force de négliger la patrie, de la moquer parfois, on a renforcé le repli communautaire dans certains lieux, fait reculer l’intégration républicaine, culpabilisé les Français attachés à l’unité nationale. Et puis, de l’autre côté, il y a l’instrumentalisation de la question identitaire par le Front national, ce qui ne contribue pas à faciliter un débat constructif. Entre le déni des uns et l’outrance du FN, il faut une parole ferme et équilibrée sur le sujet de l’identité nationale, une parole de fierté et de confiance en nous-mêmes. C’est ma démarche.
Que visez-vous exactement par « les outrances du FN » ?
Les outrances et les promesses illusoires constituent la marque de fabrique du programme du FN. Prétendre qu’en sortant de l’euro et en rétablissant le franc on va rehausser notre souveraineté et dynamiser notre économie, c’est une fumisterie. Promettre le retour à la retraite à 60 ans, c’est le summum de la démagogie électorale. Affirmer qu’on va réduire l’immigration légale à 10 000 entrées par an est un non-sens car la France a besoin sur certains secteurs de l’apport des étrangers. Un exemple : 20 % de nos médecins à l’hôpital sont étrangers… Va-t-on y renoncer ? Ce programme ne renforcerait pas la France, il l’entraînerait vers la faillite économique et sociale, et donc la désespérance nationale. Ça n’est pas en refusant la compétition du monde et les rapports de force de l’Histoire que notre pays sauvera son identité. En 1958, le général de Gaulle a relevé la France en la modernisant et en lui donnant un destin international. Le projet de Mme Le Pen, c’est le repli, c’est la décroissance, et c’est carte blanche donnée aux grandes puissances du monde de maîtriser l’avenir sans nous et contre nous.
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Pensez-vous que nous vivons une crise identitaire ou culturelle ? En quels termes la décririez-vous ? Et que comptez-vous faire pour y remédier ?
Je crois que nous vivons une triple crise qui forme un cocktail explosif : une crise culturelle liée au culte de l’individualisme ; une crise identitaire alimentée par le recul du patriotisme et la pression des flux migratoires ; une crise économique qui dévitalise l’énergie et l’espérance collectives. Du coup, notre communauté nationale se divise et se désespère. Pour ma part, je veux répondre à ces trois crises qui s’interpénètrent par un projet global. Je veux déclencher le redressement économique de la nation française, porter l’orgueil d’une nation fière d’elle-même, de ses valeurs et de son histoire. Le respect du passé doit être une force pour aller vers l’avenir. Il faut arrêter avec le dénigrement de nos racines, de notre récit national. Comment voulez-vous que les jeunes Français aient confiance en eux si[access capability= »lire_inedits »] on leur parle de la France en des termes négatifs ? Comment voulez-vous que le monde nous respecte si nous-mêmes hésitons à proclamer notre singularité ? Pour nous relancer, il faut affirmer que le patriotisme n’est pas un gros mot, il faut valoriser ce qui nous rassemble en tant que citoyens plutôt que ce qui nous distingue en tant qu’individus, il faut que l’École assume sa vocation unificatrice, il faut relancer l’intégration et l’assimilation, et donc limiter l’immigration, et il faut enfin déclencher une dynamique économique. La croissance et l’emploi sont des armes majeures contre le défaitisme national.
Qu’avez-vous retenu de l’échec du débat sur l’identité nationale ? En réalité, n’aurait-il pas fallu être plus « cash » et engager la discussion sur et avec l’islam de France et sa compatibilité avec la loi républicaine ? Au cours du débat de TF1, vous avez d’ailleurs admis avoir évolué sur la question de la laïcité. Qu’est-ce qui vous a fait changer ?
Je suis un défenseur de la laïcité. De la vraie laïcité, c’est-à-dire celle qui affirme que les religions ont leur place en France, à la condition qu’elles acceptent de respecter le cadre de nos valeurs et de nos règles communes. Négliger le fait religieux est absurde et dangereux, car on n’évacue pas le besoin de transcendance au risque de le voir resurgir violemment. Mais je ne suis pas naïf, l’islam radical est en train de gangrener le monde et une partie de nos concitoyens musulmans. Prétendre que le djihadisme n’a rien à voir avec le fondamentalisme religieux est un peu court. Le fondamentalisme a un socle de « valeurs » qui n’est pas compatible avec le nôtre. La question de l’islam et de sa modernité se pose, comme la question du christianisme s’est posée au début du XXe siècle. L’histoire a montré que le problème n’est pas insurmontable, mais il faut agir de façon volontaire. Je veux que le culte musulman soit soumis à un contrôle administratif serré le temps qui sera nécessaire pour qu’il s’ancre fermement dans la République comme toutes les autres religions. J’entends interdire tout mouvement se réclamant des Frères musulmans ou de l’idéologie du salafisme. Quant aux prêcheurs de haine, ils doivent être expulsés s’ils sont étrangers, et interdits de prêche s’ils sont français. Et puis, j’insiste sur ce point, nos compatriotes musulmans doivent nous aider à faire le ménage contre l’obscurantisme. C’est un combat citoyen mais aussi spirituel, car on n’abattra pas le fanatisme uniquement avec des armes mais aussi avec l’esprit.
Certes, mais encore faut-il que ce combat soit tenu pour légitime par une majorité de nos concitoyens. Toutes les sociétés européennes sont aujourd’hui multiculturelles au sens littéral du terme. Mais pas au sens politique, qui signifie que l’on place toutes les cultures à égalité. La France a préféré le modèle républicain qui demande aux nouveaux arrivants et à leurs enfants de s’adapter, ce qui signifie que l’égalité entre les individus n’entraîne pas l’égalité entre les cultures. Ce modèle ne fonctionne plus aujourd’hui, en partie parce que certains arrivants ou leurs descendants ne souhaitent pas « changer de généalogie » comme le dit Malika Sorel. Dans une société libérale caractérisée par la montée des droits individuels, comment le leur imposer ? La loi peut sanctionner des comportements, mais comment faire changer des conceptions, des croyances, des idées ?
Le fait est que notre modèle républicain ne fonctionne plus convenablement : mais ce n’est pas une fatalité ! S’il s’est grippé, ça n’est pas seulement à cause de la crise économique. C’est qu’on l’a détruit méthodiquement, en le pointant du doigt comme un objet de honte pour la France. L’assimilation et l’intégration sont devenues des gros mots. Le culte de la différence a supplanté celui de l’unité qui transcende les origines ou les religions. Comment voulez-vous que des nouveaux arrivants respectent un modèle républicain que même ses garants jugent démodé ? Vous avez raison, nous pouvons faire beaucoup par la loi, mais nous ne pouvons pas tout faire. La fierté nationale ne se commande pas. Chacun doit, à son niveau, relever le drapeau tricolore. Le rôle de l’École est évident et je n’hésite pas à dire qu’elle doit être en mesure de transmettre aux enfants un récit de l’histoire de France. Il ne s’agit pas de revenir aux images d’Épinal ou d’ignorer les pages sombres de notre passé, mais de souligner aussi les heures de fierté et de gloire qui peuvent nous rassembler. Le rôle des intellectuels est également important pour réconcilier les Français avec leur pays. La déconstruction n’est pas le summum de l’intelligence et de la liberté.
D’accord, mais sans le consentement des principaux intéressés, vous n’arriverez à rien…
C’est vrai, voilà pourquoi, il faut rappeler clairement aux étrangers qui nous rejoignent ce que nous attendons d’eux : l’apprentissage de notre langue, le respect de nos traditions et de nos valeurs… J’ai assisté à plusieurs cérémonies d’acquisition de la nationalité française : beaucoup d’étrangers sont fiers de devenir français, plus fiers parfois que ceux qui, dans les salons branchés, se plaisent à dénigrer leur propre pays. Je n’ai pas peur d’utiliser le terme « d’assimilation » qui prolonge celui « d’intégration ». Aujourd’hui, notre système d’intégration et d’assimilation est bloqué. Notamment pour des raisons économiques. Les communautarismes s’étendent et se figent sur eux-mêmes. Il faut limiter l’immigration à son strict minimum, afin que nos capacités d’intégration ne soient plus débordées.
Mais comment le ferez-vous sans vous délier des règles européennes ? Et ne nous dites pas que vous ferez plier Mme Merkel ou son successeur, on nous a déjà chanté cet air-là. Et Nicolas Sarkozy s’était engagé à le faire…
La France a le droit et le devoir de choisir sa politique d’immigration. Les règles européennes ne sont pas intangibles, et au demeurant, ça n’est pas l’Europe qui est responsable de notre laxisme en matière d’intégration ou de sécurité intérieure. Sur la question des flux migratoires, l’Allemagne a fait des erreurs en agissant de façon unilatérale. Elle commence à changer son point de vue. L’angélisme a fait place à plus de réalisme. Mme Merkel entend mes arguments lorsque j’affirme qu’il faut réformer les accords de Schengen et instaurer des frontières dignes de ce nom aux frontières extérieures de l’Union.
Pour la France, je veux instaurer une politique de quotas. Si, pour assurer cette politique, il faut réviser la Constitution mais aussi faire bouger les lignes de l’interprétation que la Cour européenne des droits de l’Homme donne de la Convention européenne des droits de l’Homme, eh bien je prendrai mes responsabilités devant le peuple français.[/access]