Alors que les candidats à la primaire socialiste, interrogés sur la façon de résoudre la crise de l’école, rivalisaient dans le « plus-de-moyens » pour résoudre la crise de l’école, beaucoup placent sans doute leurs espoirs en ce domaine en François Fillon. Ils pourraient bien être déçus.
En novembre, lors du dernier débat avant le premier tour de la primaire de la droite, quelques oreilles avaient dû siffler au ministère de l’Éducation nationale quand le candidat Fillon avait évoqué la « caste des pédagos ». L’ancien ministre de l’Éducation n’y était pas allé de main morte : « L’échec de l’école est lié à l’échec de l’apprentissage des fondamentaux. Ce n’est pas la faute des enseignants. C’est la faute d’une caste de pédagogues prétentieux qui ont imposé des programmes jargonnants et qui ont pris en otage nos enfants au nom d’une idéologie égalitariste. »
Education nationale : Fillon dénonce une « caste… par Europe1fr
Le traumatisé de la Rue de Grenelle
C’est que Fillon est un traumatisé de la Rue de Grenelle. Nommé par Jacques Chirac à l’Éducation nationale, celui qui a été le plus jeune président de la commission de défense de l’Assemblée prend le chemin de l’école à reculons. Il restera ministre de l’Éducation nationale de mars 2004 à mai 2005. Le temps, selon Carole Barjon, auteur de Mais qui sont les assassins de l’école ?, de mesurer l’étendue des dégâts : « À la fin du mois d’août 2004, [access capability= »lire_inedits »]François Fillon rentre de vacances. Préoccupé. Pendant l’été il a rencontré beaucoup de monde. Tous ceux qu’il a vus l’ont alerté sur le niveau des jeunes collégiens. “Ils ne savent plus lire et écrire”, constate-t-il. » Le ministre affiche alors un seul objectif : renforcer la maîtrise du français en multipliant les exercices personnels, rédactions et récitations, ainsi qu’en instaurant le retour de la dictée dès la sixième. L’initiative – heureuse – fait évidemment débat : au ministère, verrouillé par les pédagos, certains préfèrent l’idée d’adapter l’orthographe au niveau des élèves. Le Monde s’engage dans l’une des chasses au réac qu’il affectionne : « De Fillon à M6, la nostalgie d’un ordre scolaire disparu », annonce-t-il le 15 septembre 2004. Dans Libé, un spécialiste en psychologie cognitive réclame, sérieusement, « un assentiment de toute la société » – pas moins ! – avant d’infliger à nouveau des dictées aux élèves.
Jamais Fillon ne parviendra à imposer ses vues. Aujourd’hui, dans son programme, le champion de la droite critique vertement les réformes de ses successeurs mais il élargit le cercle des responsabilités au-delà des pédagos. Selon lui, si les réformes « n’ont pas abouti aux effets escomptés », c’est parce qu’« elles se sont heurtées aux rigidités d’un des systèmes les plus lourds et les plus centralisés au monde ».
Parmi les noms qui circulent déjà pour le futur locataire de la Rue de Grenelle, figurent Annie Genevard ou encore Patrick Hetzel, deux farouches opposants à la réforme du collège. En juin 2016, ce dernier s’était livré sur son blog à une critique sévère de la faiblesse des socialistes sur les questions éducatives et les « ravages du pédagogisme » : « Jules Ferry, dans sa fameuse lettre aux enseignants, avait parfaitement compris que la personne qui était et qui devait rester au centre du système éducatif n’était pas l’élève mais le maître. Au lieu de rompre avec le pédagogisme, la gauche au pouvoir l’a magnifié. »
L’école, antichambre de l’entreprise
Mais la médaille conservatrice possède son revers libéral qui semble avoir échappé même à l’acuité d’Alain Finkielkraut.
L’école de Fillon sera recentrée sur les fondamentaux de sorte qu’à 15 ans, tous les élèves maîtriseront le « socle commun » de connaissances. Voté en 2005, et révisé récemment, ce « socle commun » souvent présenté comme le grand œuvre de François Fillon, ne fait que répondre aux injonctions de la stratégie de Lisbonne qui somme les pays de l’Union européenne de « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ». Le socle commun évacue toute référence à des contenus disciplinaires en privilégiant une approche par compétences directement inspirée du monde de l’entreprise en vue d’optimiser « l’employabilité » de l’élève. L’éducation est ainsi d’abord un service rendu au monde économique dans lequel l’entreprise est placée au centre du système éducatif !
Fillon est aussi favorable à une forte autonomie des établissements, rouage essentiel à la libéralisation déjà engagée du système scolaire, aux stages en entreprise pour développer chez les élèves le « goût de l‘entreprise », aux regroupements disciplinaires et à la polyvalence des enseignants. Il s’inspire là d’un rapport de la Cour des comptes de 2013 qui estime que la spécialisation disciplinaire impose une gestion trop complexe. Des profs multi-tâches pour simplifier le système, un bac « simplifié » – c’est une école toute en « simplification » que François Fillon entend fonder.
De l’écrit à l’écran
De même, ce n’est pas le libéral conservateur Fillon, grand partisan de l’école numérique, qui inventera « l’école sans écran ». Au contraire, sur ce point il entend bien faire passer les élèves « de l’écrit à l’écran » : « Au cours des cinq prochaines années, au moins 25 % des manuels scolaires devront passer au format digital. La réallocation d’une partie du budget des manuels scolaires papier (1350 millions d’euros annuels) permettra de lancer un programme d’achat de contenus pédagogiques numériques. Un marché sera ainsi créé pour les start-up françaises du secteur », déclarait-il en avril 2015 devant les étudiants de l’école Telecom ParisTech. On aimerait comprendre comment cette volonté de faire de l ’école la pointe avancée de l’innovation numérique peut aller de pair avec celle de la concentrer sur les savoirs fondamentaux. Au moment où Microsoft se livre à une drague intensive de l’Éducation nationale, il faudrait libérer l’école des écrans, et on dirait que Fillon entend plutôt la libérer des professeurs – plus remuants, certes, que des ordinateurs.
Il est vrai que, sous couvert de modernité et d’efficacité, l’opération permettrait à François Fillon de résoudre l’équation complexe qu’il s’est imposée : supprimer 500 000 postes de fonctionnaires. Sur la réduction qui touchera l’Éducation nationale, c’est le grand flou : « Il ne le dit pas aujourd’hui. […] Il y aura des arbitrages le moment venu. Nous nous réservons l’explication détaillée du programme pour la campagne présidentielle », a expliqué Patrick Hetzel à Acteurs publics. Certes, la qualité de l’école ne se mesure pas au nombre de postes. Reste que François Fillon a supprimé, avec Nicolas Sarkozy, 80 000 postes d’enseignants entre 2007 et 2012. Aura-t-il la main encore plus lourde ?
On peut donc au moins se demander si le conservatisme de François Fillon n’est pas fait de purs symboles que viendront balayer de grandes vagues libérales. En tout cas, il ne pourra rester très longtemps dans le flou : entre l’école de la République et celle des managers, il devra choisir.
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