Le caractère préparé et sophistiqué de l’offensive médiatico-judiciaire lancée contre François Fillon sautait aux yeux dès le premier jour. La suite des opérations, le tempo des dévoilements médiatiques et celui de l’intervention du parquet, le confirme. Répétons que la quantité d’informations dont nous sommes abreuvés tous les jours ne résulte pas d’un quelconque travail de « journalistes enquêteurs » mais bien de l’existence d’un guichet qui dispose de moyens et dont les stocks étaient prêts. Lequel se sert de la concurrence entre les médias et de leurs réflexes lyncheurs. L’Élysée et tous ceux qui, avides de la conservation de leurs privilèges, espèrent désormais ouvertement une victoire d’Emmanuel Macron, sont probablement à la manœuvre. Ils disposent d’un outil précieux, celui du parquet financier, qu’il serait risible de prétendre impartial.
Le but n’est pas de la condamner mais de le disqualifier
J’avais parlé de chemin de croix pour François Fillon, c’est désormais vraiment le cas. Il faut rappeler à chaque fois, combien un lynchage politico-médiatique, surtout de cette ampleur est une terrible épreuve pour celui qui en est l’objet mais aussi pour ses proches. Chaque jour apporte son lot de mauvaises nouvelles, d’insultes, d’humiliations, de trahisons. Il faut une énergie combattante hors normes pour ne pas en sortir essoré. De ce point de vue, je crains pour lui que François Fillon ne soit pas équipé.
Face à cette opération politique d’envergure, la stratégie de riposte de François Fillon est d’une faiblesse insigne. Le vrai sens du combat lui imposait d’affronter directement et de face ses deux ennemis, François Hollande et Emmanuel Macron. Au lieu de cela, il a adopté la stratégie de la « connivence » tant vis-à-vis de ceux qui ont lancé l’agression, que du parquet instrument principal de la déstabilisation. Faire savoir qu’on est prêt à prendre Emmanuel Macron comme Premier ministre, et se précipiter au-devant des autorités judiciaires en se félicitant « qu’elles se soient saisies aussi rapidement », espérant ainsi amortir la charge, est proprement enfantin. En matière de justice comme de politique, tout est affaire de rapport de forces. Et puis il y a les points les plus vulnérables sur lesquels François Fillon est muet. L’emploi à la Revue des Deux Mondes, et encore plus gênant la mission confiée par René Ricol à François Fillon, qui, Premier ministre, l’avait nommé au Commissariat Général à l’Investissement, et en avait donc « la surveillance et l’administration ». On commence à s’approcher dangereusement des définitions de l’article 432-13 du Code Pénal. Si l’innocence ne protège de rien, que dire quand il y a du grain à moudre. Enfin, il faut comprendre que l’idée n’est pas de faire passer François Fillon en justice, ou même de le mettre en examen, mais bien de le disqualifier.
Un miracle ou Ponce Pilate
Il semble que dans son propre camp, pendant le chemin de croix, on s’interroge assez ouvertement sur la nécessité de rapidement le monter sur les bois, il y en a même qui ont commencé à planter des clous. Les nouvelles qui viennent du terrain sont consternantes, le parti qui devait soutenir cette candidature est non seulement complètement démobilisé, mais les militants, ceux qui auraient préféré Nicolas Sarkozy, sont en rage. Les sondages et les études qualitatives sont épouvantables. Pour aller distribuer des tracts sur les marchés, il faut avoir le cuir très épais pour les quolibets, et un parapluie pour les crachats.
Dans les rangs d’une direction pléthorique cela commence à sentir le sauve-qui-peut, en tout cas l’accablement. Et François Fillon fait apparaître brutalement qu’il n’est pas un chef. Qu’il ne l’a jamais été. De cet apparatchik morne, à la carrière politique médiocre, les révélations pour certaines difficilement réfutables nous apprennent, qu’alors qu’il propose aux Français une cure d’austérité, il est lui-même intéressé et ment souvent. Dans l’euphorie de la primaire on avait voulu oublier la fameuse affaire Jouyet, label de déloyauté immorale, elle revient comme un boomerang cruel. Sauf miracle et résurrection, on ne voit pas très bien comment François Fillon pourrait connaître son Ascension et devenir président de la République.
Comment en est-on arrivé là ? À une situation institutionnelle d’une gravité exceptionnelle. Le calamiteux quinquennat de François Hollande débouche sur une crise politique majeure. Le peuple français, malgré la crise et ses 6 millions de chômeurs, malgré l’austérité imposée, malgré les attentats et la progression de l’islam politique intégriste qui le taraudent, est resté d’un calme surprenant. Parce qu’il y avait l’échéance présidentielle, la mère de toutes les batailles démocratiques sous la Ve République. À trois mois de celle-ci, il n’y a plus ni candidat crédible, ni programme qui puisse rassembler, seulement la perspective de voir s’affronter au second tour deux candidats improbables. D’abord, un freluquet, création artificielle des élites d’un système complètement verrouillé et qui n’aspirent qu’à une chose, garder leurs privilèges. Il y a ensuite la patronne d’un parti aux racines extrémistes insupportables, et qui n’aurait ni programme applicable, ni moyens de gouverner. Dans un cas comme dans l’autre, l’Assemblée nationale qui suivrait serait ingouvernable. Depuis Jacques Chirac, le démontage de la constitution de 1958 s’est accéléré, il est possible qu’en 2017 le dernier coup lui soit porté. Que fera le peuple français après cette dernière trahison de ses élites ?
Pendant ce temps-là, la France est aux abois
En attendant, nous avons sous nos yeux la défaillance nationale, morale et politique de toute une génération celle des baby-boomers. Qui a préféré ses intérêts étroits, à ceux de son pays. N’hésitant pas à en amener les institutions au bord de l’effondrement. Les pseudos élites de gauche ont depuis longtemps trahi un peuple qu’elles méprisent, et comme d’habitude celles de droite ne voient aucun inconvénient à abandonner la Nation.
Un des derniers exemples spectaculaires est celui de la pantalonnade de la primaire de la droite. Ce système visant à fausser le fonctionnement démocratique de l’élection présidentielle telle que prévue par la Constitution, fut adopté par l’UMP, et approuvée par une intelligentsia aveugle comme un « grand moment démocratique ». Alain Juppé, vieux politicien fourbu fut considéré par le « mainstream » comme la bonne roue de secours pendant longtemps, jusqu’à ce que l’évidence de ses handicaps le fasse lâcher au milieu du gué. Au profit d’un candidat grisâtre récupéré en urgence, qui en 15 jours passa de 10 % des intentions de vote à près de 70 % lors du scrutin. Les études qualitatives sur la participation à cette primaire démontrent que François Fillon fut un double choix de classe pour cette bourgeoisie souvent provinciale aisée, âgée et retraitée qui ne rêve que d’une restauration de ce qu’elle considère comme un dû après l’imposture Hollandienne. Choix de classe culturel d’abord avec l’élimination du métèque parvenu hongrois. Choix de classe économique ensuite avec le porteur d’un train de mesures qui serait bon pour elle à défaut de l’être pour le pays. L’homme gris faisait l’affaire, et personne ne s’est préoccupé de l’étape suivante pour laquelle ses limites étaient pourtant évidentes. Comme celles de François Hollande en 2012, dont même ses amis savaient qu’il pouvait être un candidat, en aucun cas un président. Ce n’est pas trop s’avancer que de dire que François Fillon est politiquement mort. Les « cervelles de colibri » qui l’ont choisi au mois de novembre dernier en sont responsables.
Cette situation est grave sur le plan interne, et que dire du plan international. Comme le dit Coralie Delaume, « pendant que nous sommes occupés à rejouer sans fin « l’Étrange défaite », la nouvelle administration américaine – après s’être assurée de la solidité du front russe – a manifestement décidé de s’occuper de l’Allemagne qui les inquiète depuis longtemps en raison de ses excédents excessifs. » Et lorsque l’on entend Donald Trump dire que l’UE est un instrument au service de l’Allemagne et Ted Malloch futur ambassadeur américain auprès de celle-ci « que l’euro n’en avait plus que pour 18 mois », peut-être serait-il prudent de se préoccuper de ce qui arrive.
Malheureusement comme à d’autres occasions, nos élites ont fait le choix de leurs intérêts à court terme au détriment de ceux de leur pays. En mettant celui-ci en danger et elles-mêmes au bord de l’effondrement, comme en juin 1940, comme en mai 1958. Le problème est qu’à Colombey, désormais il n’y a plus qu’un tombeau.
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