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Fillon, Loyola, même combat !


Photo : World Economic Forum.

J’ai toujours trouvé à François Fillon l’allure d’un père jésuite. Dans ma bouche, ce n’est pas une insulte. Ressembler à Ignace de Loyola, on pourrait imaginer pire. Cette discrétion onctueuse, cette fermeté rigoureuse, cette élégance discrète rappellent le fondateur de l’illustre Compagnie. On sent bien le rôle assigné à cette image durant le quinquennat : faire un contrepoint médiatique à Nicolas Sarkozy qui, par son sens du spectacle et une certaine ostentation en matière de luxe, a davantage fait penser, si l’on poursuit le parallèle ecclésiastique, à un pape des Chroniques italiennes de Stendhal.

On dirait en effet que François Fillon s’est chargé d’incarner au moins deux des trois vœux prononcés par tout impétrant jésuite, la pauvreté et l’obéissance. Pour le troisième, la chasteté, ce n’est pas notre affaire, même en ces temps de déballage mondialisé des ADN des uns et des autres.

Mais l’obéissance, quoiqu’on en dise, François Fillon en a été le champion. À part quelques brefs sursauts d’orgueil au moment des remaniements dont il aurait dû, si l’on en croit la Constitution de la Vème, s’occuper lui-même, il a été assez fidèle à une devise fabiusienne légèrement modifiée : « Lui, c’est lui et moi c’est lui aussi ».
Le vœu de pauvreté, il l’a également prononcé assez vite, pour lui-même et, au passage, pour tous les Français en annonçant que les caisses de l’Etat étaient vides et que la France était « en faillite ». Il est resté assez fidèle à cette ligne et s’est même fait tancer pour l’utilisation prématurée du mot « rigueur », une rigueur aujourd’hui fièrement proclamée et assumée car il faut bien complaire aux nouveaux maîtres du monde, ces agences de notation qui, depuis qu’elles ne se contentent plus de noter les entreprises mais les nations elles-mêmes, ne cessent de brandir la menace nucléaire de la dégradation du triple A. Ce qui laisse chaque pays de l’UE encore épargné dans le même état de tétanie psychologique que l’Europe de l’Ouest à l’époque des SS 20.

Nicolas Sarkozy, lui, a enfin compris quelques mois avant mai 2012 qu’un président devait s’occuper de trucs de présidents (guerres, sommets internationaux, crise mondiale) non seulement pour prendre de la hauteur mais aussi pour éviter d’être trop éclaboussé par la gestion quotidienne d’un pays dont le bilan économique et social, sans même parler de la sécurité, son vieux cheval de bataille, n’est guère reluisant. Un Premier ministre, justement, c’est fait pour ça.
Et comme cela tombe bien ! Toujours dans sa ressemblance avec Ignace de Loyola, François Fillon bouillait d’impatience de se mortifier comme il est expliqué dans Les exercices spirituels. Maintenant, il peut exposer à tous son corps prêt à recevoir les outrages des syndicalistes hargneux qui, comme d’habitude, ne comprennent pas les impératifs sacrificiels d’un redressement national.

Mais l’autre trait jésuite de François Fillon est assez nouveau.
C’est un art consommé de la casuistique. La casuistique est une dialectique assez affutée qui permet de trancher les cas de conscience sans se sentir coupable de quoi que ce soit et même au contraire en en ressortant grandi, lavé de tout soupçon de complaisance vis à vis de soi-même. François Fillon, à une époque qui paraît de plus en plus lointaine de sa carrière politique, fut un proche de Philippe Seguin. C’est-à-dire un gaulliste interventionniste, adversaire ardent du « Munich social », un partisan de « l’autre politique » comme on disait quand il existait encore à droite un courant de pensée qui estimait que les Etats-nations devaient avoir leur mot à dire face aux marchés.
Il doit forcément lui en rester quelque chose, à François Fillon. On a beau changer en politique par pragmatisme ou girouettisme ou les deux, il vous reste un fond de fidélité, ne serait-ce que par nostalgie. Or, François Fillon s’aperçoit bien que son plan pour dégager la goutte d’eau de onze milliards d’euros dans la réduction de la dette ne brille pas par son caractère social.
D’où son extraordinaire trouvaille : on ne s’attaque pas aux pauvres, bien au contraire, on veut leur bien. On va même décréter, comme n’importe quel affreux gauchiste, ce qui est bien pour eux à leur place. Par exemple, ce n’est pas bien de fumer et de boire. On va donc augmenter les taxes sur les cigarettes et l’alcool.

Ce n’est pas très nouveau, mais l’hypocrisie qui consiste à être à la fois le maquereau et la brigade des meurs, à prendre sa dîme sur chaque clope mais à faire au passage la morale à coup de campagnes de prévention ou d’augmentations sauvages des prix, fait toujours rire.
Le comble de la casuistique est pourtant dans la taxe sur les sodas. L’expression toute faite « Il va falloir se serrer la ceinture » est à prendre ici dans son sens littéral. Plus de sucre ajouté pour les obèses économiquement faibles. On va faire maigrir le pauvre grâce à la rigueur. On concilie l’impératif de santé publique et le réalisme économique.

Joie, joie, pleurs de joies ! La martingale est trouvée. Et pour compléter le tout, on taxe l’entrée des parcs de loisirs. Comment ne pas applaudir ? Ces hauts lieux de l’aliénation festiviste seront désormais fermés aux pauvres. Et grâce à François Fillon, dans un pays où règnera la raison économique, les pauvres contribueront à l’effort national en ne fumant plus, en ne buvant ni alcool ni saloperies antidiététiques mais en dégustant des jus de fruit frais ou en fréquentant les bars à eaux. Ils ne s’abêtiront plus en se faisant photographier avec Mickey mais iront au théâtre ou liront des livres, comme n’importe quel bobo cultivé.

Attention tout de même, monsieur Fillon ! Au bout de quelques mois de ce traitement, les mêmes causes produisant les mêmes effets, ils seraient capables de voter socialiste, les pauvres.



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