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Fillon-Le Pen: la lutte des classes


Fillon-Le Pen: la lutte des classes
Affiches de Marine le Pen et Francois Fillon dans un village de la Sarthe, septembre 2016. SIPA. 00770956_000009
Affiches de Marine le Pen et Francois Fillon dans un village de la Sarthe, septembre 2016. SIPA. 00770956_000009

J’avais dit ici mon souhait, et non ma prévision, de voir Nicolas Sarkozy candidat à la présidence de la République soutenu par le parti qu’il avait redressé après le calamiteux épisode de la guerre Fillon-Copé. J’avais dit aussi mon aversion pour le système des primaires « ouvertes », rétablissement d’un suffrage censitaire manipulatoire, complètement étranger au mécanisme voulu par Charles de Gaulle. Le résultat de la parodie démocratique de dimanche a validé toutes mes craintes. L’entre-deux tours les aggrave.

L’institut Harris Interactive a réalisé une étude passionnante qui nous raconte l’histoire politique de cet épisode, nous explique pourquoi Nicolas Sarkozy a été congédié par la bourgeoisie française et comment la droite s’est choisie un champion propre sur lui dont la solidité politique provoque quelques appréhensions. Je faisais le pari que Nicolas Sarkozy au regard de sa victoire de 2007, à base d’affaiblissement du Front National et, par conséquent, de sa capacité de parler aux couches populaires, pouvait refaire le coup en 2017. Je me remémorais la campagne de 2012 quand les sondages de février nous annonçaient un écart de près de 20 points avec son challenger devenu favori, et qu’il sut diviser par 10 à l’arrivée, avec une victoire de François Hollande, finalement de justesse.

Une des dimensions essentielles du rejet de Sarkozy : la haine de classe.

Je souhaitais sa candidature en 2017 car je le pensais capable de réaliser encore une fois cet effort, et qu’à mes yeux, face à l’insurrection qui vient, l’existence d’un FN à ces niveaux est un danger pour notre pays. J’ai commis deux erreurs :

–          J’ai surestimé sa capacité à vouloir véritablement affronter le mainstream libéral libertaire, expression de cette partie minoritaire du peuple français qui, profitant de la globalisation, a fait sécession et ne veut plus entendre parler de ces « sans-dents », « invisibles » et autres « petits blancs » qui en sont les victimes.

–          J’ai sous-estimé une des dimensions essentielles du rejet de Sarkozy : la haine de classe. Je ne suis pas le seul, l’ancien président lui-même a commis cette erreur. Alors qu’il a subi un considérable bombardement médiatico-politico-judiciaire depuis sa défaite de 2012, il n’a pas vu le piège mortel que constituaient ces primaires ouvertes. Lorsqu’il a repris le parti avec 60 % des voix des militants et qu’il l’a restructuré à sa main, il aurait pu se débarrasser de cet encombrant héritage, mis en place par Jean-François Copé sur la base d’un modèle proposé par le think tank Terra Nova. Il a cependant reculé, conscient qu’il aurait dû pourtant être, du risque du référendum anti-Sarkozy que la bourgeoisie, et le mainstream son allié, lui préparaient.

Il comptait sur ses capacités « d’appel au peuple » mais contradictoirement ne se résignait pas à accepter et affronter cette haine de la bien-pensance. C’est dans cette dialectique et cette contradiction, que s’enracine sa défaite du 20 novembre. Après une entrée en campagne où il a de nouveau manifesté cette capacité à se mettre au centre du débat, il a semblé ne pas assumer la transgression, et on l’a vu louvoyer et venir à la stupéfaction de ses partisans donner des gages à ceux qui ne pensaient qu’à le détruire. Parmi (beaucoup) d’autres, le plus significatif, le plus calamiteux : quand il a dit qu’il voterait Hollande ou Bayrou s’ils étaient opposés à Marine Le Pen ! Or, le principal handicap de Nicolas Sarkozy était celui de n’avoir pas fait ce qu’il avait promis en 2007, le Karcher au lieu du Kouchner.

Les Loden et Barbour se sont déplacés en rangs serrés

L’étude sociologique de l’institut Harris Interactive le montre bien : c’est l’insuffisance de la mobilisation de son camp, des jeunes et des couches populaires qui a provoqué sa défaite. En face, riches, vieux et inactifs, la partie privilégiée des baby-boomers de droite était décidée à lui faire la peau, à ce parvenu bling-bling incontrôlable qui voulait tant se faire reconnaître par les riches. Ils se sont mobilisés en masse, ont enfilé – après la messe – les Lodens et Barbour, chaussés mocassins et Docksides pour se déplacer en rangs serrés, lui signifier son congé. Ils l’ont fait d’autant plus facilement que le parti des médias, divisé pour cette fois, leur a fourni dans l’urgence un remplaçant à Alain Juppé, vieux rafiot mal radoubé qui multipliait les voies d’eau.

Propre sur lui, convenable, allure imparable de notaire de province, François Fillon a eu en plus l’intelligence de s’adresser à eux et rien qu’à eux. Se gardant de toute concession au camp du sociétalisme, pour avoir compris que celui-là, aveuglé par sa haine de Sarkozy ne se déplacerait que pour voter Alain Juppé. Ce que celui-ci a fait sans vergogne avec ses 600 000 électeurs, soit 15 % des participants, venus sans état d’âme tenter de fausser le résultat du camp d’en face.

On a pu lire le lendemain, que « la France avait choisi » ! Proposition effarante lorsque l’on détaille les segmentations du vote Fillon, choisi par cette bourgeoisie provinciale et inactive. Résultat, la droite va probablement se retrouver avec le candidat choisi par ces gens-là fermement décidés à ce qu’il défende leurs intérêts. Matériels, en veillant à ce que les retraites déjà prises soient préservées, quitte à ce que ce que la durée du travail des pauvres qui ont la chance d’en avoir soit rallongée, à ce que les impôts baissent dans les tranches supérieures et à la suppression de l’ISF. Intérêts culturels aussi avec quelques apaisements à la marge donnés au Cathos. En espérant que les couches populaires s’en contenteront.

Jean-Luc Mélenchon a un rôle très important à jouer.

La « gauche », enfin celle qui n’est en fait que la bourgeoisie des grandes métropoles connectées, s’est alors retrouvée confrontée à un problème : l’accord s’était fait avec la partie droitière des gens d’en haut pour congédier Nicolas Sarkozy en choisissant Alain Juppé. Mauvaise surprise que le changement de cheval au milieu du gué et l’irruption de l’homme gris. Elle a alors immédiatement essayé de le diaboliser histoire de la jouer « rassemblement à gauche contre l’infâme ». Non par peur du programme économique mais pour conserver les places et surtout l’hégémonie idéologique de son rouleau compresseur culturel. Elle espère renouveler de façon encore plus large au deuxième tour le coup du premier, où les 600 000 voix apportées à Alain Juppé ont empêché Nicolas Sarkozy d’être second. Ledit Alain Juppé a immédiatement adopté ce discours caricatural, confirmant s’il en était besoin que, « loser » politique plein de morgue, il était aussi un homme sans principe. Il est d’ailleurs assez savoureux  de voir tous ces fillonistes, douloureusement surpris devant ces attaques, pourtant infiniment moins violentes que celles que Nicolas Sarkozy a subies depuis 10 ans et auxquelles ils ont d’ailleurs souvent activement participé. Cela peut donner quelques inquiétudes sur leur solidité à mener le vrai combat, celui du printemps prochain.

Le problème est justement que tous ces calculs, ces commentaires font l’impasse sur le fait que si François Fillon est adoubé ce sera par environ 2 millions de voix qui, au-delà de leur sociologie si particulière représentent environ 5 % du corps électoral français. Et qu’au sein de celui-ci 60 %, soit 24 millions de voix, appartiennent aux couches populaires abandonnées. Une moitié a décroché et s’abstient désormais, l’autre vote Front National. Ce peuple a fait preuve, jusqu’à présent, d’une étonnante maîtrise face au terrorisme, au pitoyable effondrement de l’État incarné par François Hollande, à l’austérité brutale qui déclasse des pans entiers de territoires, avec ceux qui les habitent, et au rouleau compresseur culturel communautariste qui désormais le met en rage.

Une des raisons de cette maîtrise est l’échéance de mai 2017. L’élection présidentielle, l’enjeu est bien celui-là. Les couches populaires veulent qu’on les entende et qu’on leur parle. Autrement qu’en leur martelant qu’il n’y a pas d’alternative et en leur donnant en permanence des cours de morale. François Fillon, candidat de la bourgeoisie traditionnelle, sera-t-il en mesure de s’y atteler, de leur donner à voir une France dans laquelle ils se reconnaîtraient et de démontrer qu’il serait capable de l’incarner ? Je ne le crois pas. J’ai dit ma conviction que le Front National qui, lui, les entend et leur parle ne peut être la réponse politique opératoire. Je pensais Nicolas Sarkozy capable de le faire, je me suis trompé. Je pense toujours, et le soutiens pour cela, que Jean-Luc Mélenchon a un rôle très important à jouer. Mais il est probable que le printemps prochain nous réserve, bonnes ou mauvaises, quelques surprises.

Si cette échéance, dans sa campagne et dans son résultat, ne répond pas, ne serait-ce qu’en partie, à l’inquiétude, à la souffrance mais aussi à cette colère qui monte, nous saurons que nous aurons pris le chemin de l’aventure.



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