Accueil Médias Affaire Fillon: quel contre-pouvoir face au quatrième pouvoir?

Affaire Fillon: quel contre-pouvoir face au quatrième pouvoir?


Affaire Fillon: quel contre-pouvoir face au quatrième pouvoir?
Conférence de presse de François Fillon, février 2017. SIPA. 00792053_000013
Conférence de presse de François Fillon, février 2017. SIPA. 00792053_000013

Que n’a-t-on pas fait et dit pour disqualifier le candidat que Les Républicains ont pourtant majoritairement choisi et élu, lors des primaires de la droite et du centre, et de l’empêcher de les représenter à l’élection présidentielle ? Délation téléguidée, fuites minutieusement dosées, lynchage médiatique, propos calomnieux, harcèlement psychologique… Et comme François Fillon s’est avéré, notamment dans son dernier meeting au Trocadéro, homme d’Etat à la carapace gaullienne, certains ont dû recourir à la machine judiciaire pour enquêter, non guère sur un délit présumé que les lois répriment, mais sur une attitude humaine que la morale réprouve et dont les faits remontent à plus de vingt ans.

«Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser» 

Ce n’est pas l’information judiciaire ouverte contre X par le parquet national financier (PNF), ensuite la possible mise en examen de François Fillon, qui sont suspectes. Indépendante et souveraine, la justice a le droit, le devoir et la vocation d’enquêter sur qui elle veut et quand elle veut. C’est plutôt l’instrumentalisation effrénée et éhontée de cette affaire qui suscite l’interrogation et provoque l’indignation. C’est aussi la violation des droits de la défense qui est inacceptable dans une démocratie. C’est la violation permanente du secret de l’instruction et le grand étalage dans la presse de documents censés rester confidentiels, qui n’est pas digne, ni du deuxième pouvoir, ni du quatrième sacro-saint pouvoir, celui des médias.

Le précurseur de la séparation des pouvoirs, Montesquieu, a vu juste lorsqu’il a écrit dans L’esprit des lois que « c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser (…) Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Cela vaut aussi bien pour le pouvoir exécutif que pour le pouvoir judiciaire, et à plus forte raison pour le pouvoir médiatique, qui n’est plus le quatrième pouvoir mais le premier, ne rencontrant qui plus est aucun contre pouvoir. Bientôt, dans la logique démocratique de Montesquieu, il va falloir inventer un cinquième pouvoir pour limiter l’omnipotence d’un quatrième qui s’emballe. Puis un sixième pour contrôler le cinquième, puis un septième pour surveiller le sixième…

Balzac avait également vu juste lorsqu’il écrivait, déjà en 1840, que « la presse est en France un quatrième pouvoir dans l’Etat ; elle attaque tout et personne ne l’attaque. Elle blâme à tort et à travers. Elle prétend que les hommes politiques et littéraires lui appartiennent et ne veut pas qu’il y ait réciprocité ». Description parfaite de certains plateaux de télévision où la « neutralité axiologique » chère à Weber s’éclipse au profit de la subjectivité idéologique et du parti pris politique.

Tocqueville aussi voyait juste lorsqu’il écrivait dans La Démocratie en Amérique : « J’avoue que je ne porte point à la liberté de la presse cet amour complet et instantané qu’on accorde aux choses souverainement bonnes de leur nature. Je l’aime par la considération des maux qu’elle empêche bien plus que pour les biens qu’elle fait. »

A quand un contrôle des journalistes par les journalistes?

Plus proche de nous, enfin, Régis Debray, qui, à la suite de son remarquable essai L’Emprise, déclarait en avril 2000 : « les journalistes m’effrayent, ils me font peur. J’ai peur du pouvoir qu’ils ont…Autrement dit j’ai le même sentiment qu’on peut avoir devant des inquisiteurs au XIIIème siècle ou devant des évêques au XVIIIème…Ce sont des gens capables de fulminer, d’excommunier, de massacrer par les mots ou les images des êtres humains…Les journalistes sont les magistrats de la morale publique. C’est extraordinaire et je trouve cela démesuré et dangereux ».

Pas plus que l’indépendance absolue de la justice, loin de moi l’idée de limiter la liberté d’expression, qui est vitale dans une démocratie digne de ce nom. En outre, une justice souveraine et égale pour tous est au fondement même du contrat social. Le journalisme est une école de citoyenneté et le poumon même de la République. Il s’agit au contraire de préserver la liberté d’expression de ses propres dérives et de lui opposer un cinquième contre pouvoir, ou plus exactement une autorité exercée par les journalistes eux-mêmes. Il y a bien un Conseil de l’ordre pour sanctionner le médecin coupable de faute professionnelle, un Barreau des avocats pour veiller au prestige et à la réputation de cette profession, un Conseil des architectes, des ingénieurs… Il n’y a point d’autorité, dans le sens qu’Alain donnait à ce terme, pour rappeler à l’ordre le journaliste coupable de désinformation, de parti pris politique ou de faute déontologique, qui est parfois nettement plus grave que le morceau d’une compresse oublié par un chirurgien dans le ventre d’un patient. Souvenons-nous du père Di Falco, de Dominique Baudis, ou encore du suicide de Pierre Beregovoy, le plus honnête et le plus intègre des ministres socialistes.

On répète souvent et à juste titre que le tempo judiciaire n’est pas celui du politique. Certes, mais dans l’affaire François Fillon, comme d’ailleurs dans le cas de Marine le Pen, la synchronie entre les deux temps est pour le moins troublante, et la concomitance des calendriers stupéfiante.

Le premier pouvoir, c’est l’isoloir

François Fillon, comme Marine le Pen, comme tous les autres candidats à l’élection présidentielle, ont été choisi par leurs partis et par leurs bases, pour se disputer loyalement et démocratiquement le pouvoir suprême. Quels que soient les faits présumés que l’on peut reprocher aux uns et aux autres, aucune autorité et aucun pouvoir ne peut se substituer au verdict des urnes et les empêcher de se présenter devant le suffrage universel des Français. C’est à lui et à lui seul de déterminer le sort de ces candidats… et le destin de ce pays. A 45 jours du premier tour, il faut transcender cette polémique politico-juridico-médiatique et laisser, enfin, les candidats débattre sur les questions de fond, sur les idées et les projets.

Avec 6 millions de chômeurs et 9 millions de paupérisés, avec une économie et une industrie en berne, avec une métastase de l’islamo-fascisme, avec une montée sans précédent du terrorisme global, avec un choc des civilisations qui n’est plus « cassandresque » mais réel, avec une invasion migratoire aussi tragique que périlleuse, avec des turbulences prévisibles dans les relations internationales… les Français ont besoin de paroles rassurantes… et surtout d’actions déterminantes.

Que les journalistes enquêtent en respectant leur déontologie, que les juges enquêtent sans y associer les médias, et que les candidats à l’élection présidentielle débattent démocratiquement sur les questions de fond et non sur des affaires qui n’intéressent guère les Français.



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Philosophe, ancien ambassadeur à l’UNESCO et président du Centre international de géopolitique et de prospective analytique, CIGPA.

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