Une surprise attendue. Cet oxymore résume peut-être ce que seront nos soirées électorales. Le rituel médiatique a déjà intégré le « renversement de la table » comme une donnée, et dès les résultats connus, on orchestre la communion autour de la certitude que la seule chose que l’on sait, c’est qu’on ne sait pas. D’où le brin d’autoflagellation des représentants de la gent journalistico-sondagière, devenu lui-même un must, avec de multiples variations sur le thème « j’avions rien vu venir ». Si, après le Brexit, la tendance sermonneuse avait pris le dessus, après l’élection de Trump, un air de débandade a soufflé sur le Parti des Médias, formule et concept inventés par Philippe Cohen et qui, malgré leurs insuffisances, permettent de comprendre comment les médias, en tant que système, sont à la fois le lieu où se fabrique la pensée dominante et le Quartier général à partir duquel on tente de contenir les diverses rebellions électorales contre elle. Quand beaucoup battaient en retraite, il ne s’est guère trouvé qu’Arnaud Leparmentier pour se coller, non sans panache, à la défense d’élites décriées. Aujourd’hui, il est très tendance d’écouter le peuple et même de lui causer poliment – les « idées nauséabondes » et le « populisme » semblent avoir disparu de la planète avec l’éviction de Nicolas Sarkozy.
Au passage, on regrette vraiment que le meilleur Sarko ne se montre que dans l’adversité – et même en l’occurrence dans la défaite. L’assurance ne sied décidément pas à l’ancien président. Mais peut-être aurait-il accompli de grandes choses s’il avait mené campagne avec l’humilité, la gravité et le fair-play qu’on lui a vus dimanche soir. On ne peut s’empêcher aussi d’avoir un peu de compassion pour tous ceux qui avaient fait de l’anti-sarkozysme le cœur de leur vision du monde. Déjà orphelins de Le Pen père, pour les plus âgés, ils devront vivre sans celui qu’ils ont tant aimé détester et, par la même occasion, sans le sentiment de leur propre vertu qu’il leur procurait. Que mes confrères de Marianne me pardonnent, mais ils auront usé le filon jusqu’à la corde avec, encore récemment, une « Une » sur « Le candidat du système » – accompagné d’une photo soigneusement choisie pour faire peur. Ils vont devoir trouver un autre produit-vedette.
Le nouveau gourdin des gouvernés pour bastonner leurs gouvernants
L’éviction de Nicolas Sarkozy est cependant porteuse d’un malentendu de taille. Dès lors que le suffrage populaire concorde au moins en partie avec le ronron médiatique, d’aucuns pourraient en conclure que le peuple de France, plus raisonnable que ses cousins anglo-saxons, refuse de céder aux sirènes du mal et qu’avec des efforts pédagogiques, on pourrait encore faire quelque chose de lui. En réalité, si une majorité de la droite française a congédié Nicolas Sarkozy, ce n’est pas tant à cause de son « populisme » – nom donné au fait de parler des sujets identitaires qui intéressent grandement le populo –, mais parce que celui-ci est à géométrie variable. La phrase sur « nos ancêtres les Gaulois » n’était pas un dérapage que les électeurs auraient heureusement sanctionné comme on se plait à le répéter, mais un programme dont personne n’aurait juré qu’il l’appliquerait en cas de victoire (on conviendra en revanche que la « double ration de frites » était d’un assez mauvais goût sarkozyen).
Depuis lundi matin, un chœur d’éditorialistes, découvrant subitement les vertus du vote populaire, feint d’espérer que la primaire agira comme une surprise à deux coups et finira par sacrer celui que plus personne n’attend. C’est ignorer que leur déconfiture a encore les attraits de la nouveauté – on ne s’en lasse pas encore. La victoire du candidat des médias et des gens raisonnables apparaîtrait effectivement comme une bizarrerie historique. En réalité, le vote de dimanche s’il est un désaveu pour Nicolas Sarkozy, l’est tout autant pour l’ancien maire de Bordeaux, dont le chiraquisme revendiqué ne fait rêver personne. Sauf faux pas majeur, et énorme mobilisation de la gauche, carte sur laquelle table Alain Juppé, celui-ci pourrait être la prochaine victime des urnes.
Si on file la métaphore employée par Muray, François Fillon serait donc le nouveau gourdin dont se saisissent les gouvernés pour bastonner leurs gouvernants. Un gourdin très convenable et sans doute élu par plus de gagnants de la mondialisation que de petits blancs (encore qu’il s’agisse peut-être d’un préjugé sur la sociologie de la droite). Après tout, à l’heure des réseaux sociaux et des web designers, c’est la verticalité qui est révolutionnaire et François Fillon, avec son style bourgeois assumé et son air de maître d’école à l’ancienne, est éminemment subversif. Il est même capable de faire ce qu’il a dit. C’est bien ce qui me chiffonne.
Libéral peut-être, mais national?
Tout d’abord, même s’il s’agit plutôt de proclamations, son discours sur la famille chatouille mon attachement à la liberté des mœurs. Trop de religion, pas assez de République. Admettons que, face au progressisme bêlant donné comme l’unique horizon possible, un peu de tradition ne nuit pas. N’empêche, que l’on défende des cadres anthropologiques anciens, fort bien, que l’on réintroduise subrepticement une norme sur les comportements privés, très peu pour moi.
Par ailleurs, sur le terrain économique, un air un peu plus libéral ferait peut-être du bien à la nation d’ayants-droit que nous sommes devenus, mais d’une part, je ne suis pas certaine qu’une majorité de mes concitoyens partage mon agacement et mon aspiration, et de l’autre, cela suppose de répondre en même temps à la demande de protection contre la mondialisation : libéral peut-être, mais à condition d’être national. Or, sur le chapitre des frontières et de l’Europe cet enfant de Séguin est devenu un orthodoxe bon teint. S’il peut gagner la primaire en dépit de ce handicap et même, dans la foulée, emporter la présidentielle sur la peur de l’inconnue lepéniste, François Fillon n’obtiendra l’adhésion d’une majorité de Français que s’il répond à leur demande de réassurance identitaire, donc de frontières. Certes, alors que la gauche des réseaux sociaux a décidé de faire de lui le nouveau visage honni de Sarkozy et que la « semaine de la haine » bat déjà son plein, il sera sans doute, dimanche prochain, le gourdin que nombre d’électeurs empoigneront pour fermer le caquet des sermonneurs. Mais aussi cruel que cela puisse sembler à un homme qui veut incarner la droiture et y parvient pas mal, ainsi qu’à tous ceux qui pensent que le mensonge est plus grave que l’impuissance, la politique n’est pas un thé dansant. Pour conquérir sa légitimité, il devra peut-être procéder à quelques salutaires reniements.
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