Cerné comme jamais. Trois quarts d’heure avant l’arrivée de la proie, la meute est déjà regroupée. Les mâles dominants devant – TF1, France 2, BFM TV – et les nés d’hier derrière – les jeunots de la journalie. Le long du corridor d’entrée dans l’arène, une autre file de caméras attend l’arrivée du candidat: les appareils sont dégainés, c’est à qui « flashouillera » le premier.
Circus mediaticus
16h05, il est en retard, la meute s’impatiente et dévore ses premiers petits: « Assis! », « cheveux ! », « tête ! », râlent en choeur les plus anciens à ceux qui, trop sûrs d’eux, voulaient se faire une meilleure place.
16h08, plus rien ne dépasse, les photographes sont au taquet: la petite musique de leurs clics et de leurs clacs retentit. Comme une armée de criquets, affamés et virevoltants, prêts à s’écraser sur un champ. Mais… raté, « ce n’est pas lui » ! Le prochain envol sera le bon. Et de loin sur l’écran, le très accusé Fillon apparaît finalement. Triste et penaud ? Pas même un peu. La proie qu’on prenait pour un lièvre est en fait un gros félin: blessée, meurtrie, elle se redresse et montre les crocs.
« Je n’ai rien à cacher », « les accusations sont infondées », « tout est légal », je vous emm… et j’aime ma femme. Qui, d’ailleurs, n’a rien à se reprocher. « Oui, je l’ai embauchée » mais « rien n’était dissimulé ». Debout, droit, conquérant, François Fillon assène les reproches un à un et les assume tout en bloc. Sûr de lui et la voix pleine, la partition est juste : le candidat a répété. Seule son alliance, qu’il torture de son petit doigt, rappelle l’homme qu’il était encore deux jours avant.
L’assisté parlementaire contre le Parlement
Car oui, l’homme a pris « un coup », un « coup à l’estomac » qui l’a « déstabilisé ». Mais après avoir été « lynché » – par « le système médiatique » – il est là pour répliquer et se permet même d’attaquer : à une journaliste de Mediapart qui lui pose une question, il répond : « moi, Madame, je n’ai jamais eu de contrôle fiscal ». Puis, sans s’arrêter, il déballe: son patrimoine, ses impôts, son grand oral de transparence va jusqu’à son Livret A. On pourrait croire qu’il nous récite le Canard. Le verbe en moins, en président américain, mieux que n’a jamais su le faire celui à qui il cherche à succéder.
Regardez l’intégralité de la conférence de presse de François Fillon
Mais soudain, et sans que la lumière ne baisse, l’ambiance et le ton se font plus solennels… François Fillon change de public et prépare son coup de génie : « Ce n’est pas au système médiatique de me juger mais aux Français ». Sur le plan légal, je n’ai pas fauté mais d’un point de vue moral, « je leur présente mes excuses. J’ai agi selon un usage légal mais dont nos concitoyens ne veulent plus, des pratiques anciennes de la vie politique française qui ne sont plus acceptables aujourd’hui. »
C’est à ce moment que sans crier gare, François Fillon décide de déclencher son contre-«coup d’Etat institutionnel». Sans se défausser, le candidat de la droite (et du centre) prend acte de l’antiparlementarisme ambiant et en fait même… son programme !
S’il devient président, c’est juré : il ne reviendra pas sur la restriction du cumul des mandats (pourtant contestée dans son camp) et proposera de réduire le nombre de parlementaires ! Français, vous avez eu raison de me blâmer, mais si vous l’avez fait c’est parce que le système, dont je suis victime, est mauvais. Vous avez dit populiste ? Lui, le symbole de l’antiparlementarisme s’en est fait le pourfendeur. L’arrosé arroseur.
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