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Fillon au pays des Soviets


Les déclarations de François Fillon à Moscou laissent pantois. Voilà le candidat putatif à la fonction de président de la République française qui se lance devant le président russe dans une charge contre la politique étrangère de son pays, la France. Comme on dit, il faut contextualiser : la Russie d’aujourd’hui est-elle une grande amie de la France ? Le « cher Vladimir » est-il un complice si sympathique ? Rappelons qu’il y a quelques semaines encore la tension était au plus haut à propos de la Syrie avec le soutien intransigeant de Poutine à Assad. Par ailleurs, le président russe n’est pas un homme qui correspond aux canons des droits de l’homme tels que nous les pensons en France. Et c’est chez ce monsieur, dans ce contexte, que Fillon commet un geste que n’aurait pas osé faire, en son temps, Georges Marchais au pays des soviets ni Mélenchon, son distingué substitut.

Après sa sortie sur le FN, on ne peut être qu’effaré devant ces positions. Comment quelqu’un qui se dit disciple de Philippe Séguin peut-il déraper à ce point ? À qui avons nous affaire ? Que pensent ses lieutenants ? C’est dans ces situations qu’il faut sortir des diverses langues de bois et des petits jeux tactiques politiciens. On pourra toujours se moquer de Hollande, de sa cravate, des impôts et des diverses nunucheries de la gauche, il se trouve que Hollande sur les sujets qui relèvent de son pouvoir propre, a eu le sens de l’Etat. Il a eu le mérite de prendre les décisions qu’il fallait pour défendre les intérêts de son pays. Au Mali, la décision fut rapide et l’action sans bavure. En face de cela, la droite (puisque c’est ainsi qu’elle se nomme) fit la fine bouche. Quel est ce handicap français incapable de saluer la bonne action de l’autre, du collègue ou du partenaire, fût-il un rival ? Notre droite serait-elle redevenue la plus bête du monde ?

On rêve devant la médiocrité présente du débat politique en France de la part des partis dits responsables. On cauchemarde devant l’archaïsme de nos catégories. On reste pantois devant l’esprit sectaire des uns et des autres. On s’étonne devant les succès d’Angela Merkel. Mais pourquoi s’en étonner ? Elle est d’une autre trempe. Il y a quelques mois elle fut invitée courtoisement à prendre la parole devant le congrès de son parti rival. Imagine-t-on en France une attitude identique ? Quel est ce goût français pour la guerre civile ? Quelle pièce veut on y rejouer ? Mai 68, la Révolution, la Commune, la Terreur, 1936, les Ligues, la Saint Barthélémy ?

Le pays va mal, l’économie va mal, l’emploi va mal, la cohésion sociale va mal, le moral des français va mal et tout ce que trouvent à faire ces irresponsables politiques c’est de savonner la planche du rival ou du concurrent avec de petites phrases aussi vides que pas drôles pour des médias avides. Ces irresponsables politiques ont-ils conscience que leur discrédit naît du décalage de plus en plus grand entre leur parole, le spectacle qu’ils donnent d’eux-mêmes et la situation du pays ? De Cahuzac à Tapie ou à  Dassault, quelle est l’image de ces représentants du peuple ? Celle de la cupidité et la trahison de leur fonction. Comment ne pas éprouver de dégoût devant les amitiés kadhafiennes de la régence précédente ? Est-ce pour l’accabler en particulier ? Sûrement pas, la morale mitterrandienne avait aussi ses parts d’ombre frelatées. Alors, tous pourris ?

À qui cette appréciation sommaire profite-t-elle ? Marine et Mélenchon en font leur miel et les fas et antifas rejouent une mauvaise pièce déjà jouée. Bravo ! On sait imaginer l’avenir en France ! Le FN et le néogauchisme ne progressent que parce que la politique est devenue la caricature d’elle-même : morale autoproclamée, incantations républicaines, leçons d’efficacité suivies de l’échec dans les faits. François de Closets a raison, seul un gouvernement d’union nationale d’abord composé de personnes ayant le sens de l’Etat, peut remettre le pays d’aplomb pour affronter les défis multiples qui sont devant nous. Les clivages idéologiques sonnent creux dans le moment présent : déjà la question du mariage pour tous a clivé profondément la société parce qu’elle touchait à des fondamentaux culturels. Avec la question de l’islam en France, sa place, son statut, son expression, sa visibilité, c’est l’autre grand chantier où l’imagination collective peut remettre de l’harmonie, mais sûrement pas par les excommunications réciproques, les invectives idéologiques. C’est donc  à une toute autre manière de pratiquer la politique que nous invite l’urgence du temps présent.  Pour rendre pas drôles Les Guignols de l’info, il suffirait de tarir les faits qui les inspirent.

L’effort collectif ne peut être sollicité qu’à la condition d’être piloté par des personnes intègres qui ne se paient pas de mots. Seule l’exemplarité du pouvoir peut rendre au pouvoir ses lettres de noblesse. Il fut un temps où l’expression « grands commis de l’Etat » avait toute sa valeur. De Mendès France à De Gaulle, la France n’a pas manqué de talents pour être admirée. « Servir » n’est pas un verbe pronominal mais transitif. « Se servir » a un tout autre statut, à la fois grammatical et symbolique.

Alors par pitié monsieur Fillon, ressaisissez-vous, sauf à croire que le « cher Vladimir » est votre modèle inavoué. Il faudrait alors penser avec Lao Tseu que le poisson pourrit toujours par la tête.



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Jacques Tarnero est essayiste et auteur des documentaires "Autopsie d'un mensonge : le négationnisme" (2001) et "Décryptage" (2003).

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