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Fichés S: on arrête bien les gilets jaunes…

Les "arrestations préventives" seraient possibles dans un cas, mais pas dans l'autre...


Fichés S: on arrête bien les gilets jaunes…
Christophe Castaner dans les rues de Strasbourg, 12 décembre 2018. SIPA. 00887876_000017

Les « arrestations préventives » seraient possibles à l’encontre de manifestants plus ou moins violents, comme certains gilets jaunes, mais pas contre des fichés S mêlant banditisme et islamisme, comme le terroriste présumé de Strasbourg.


Quelques jours à peine après que des centaines de manifestants gilets jaunes ont fait l’objet d’arrestations préventives pour les motifs les plus farfelus comme la possession de lunettes ou de casques de chantier, et parfois de répression particulièrement violente (trop nombreux tirs de flashball en plein visage ou premières décisions d’une justice devenue subitement impitoyable), on apprend que, selon le processus désormais bien huilé, un nouveau fiché S, Chérif le mal nommé, musulman radicalisé lors d’un de ses innombrables passages en prison, a fait plusieurs morts et blessés graves près du célèbre marché de Noël de Strasbourg lors d’une attaque avec arme à feu et arme blanche, assortie de la formule incantatoire « Allah Akbar »…

Le terroriste de Strasbourg ne portait pas de lunettes de piscine

Cela fait quelques années déjà que l’on sait combien il est devenu dangereux de maintenir l’appellation « marché de Noël » dans une société aux racines chrétiennes honnies,  cible de l’entrisme islamiste le plus violent qui soit avec la complaisance des soumis de tout poil. Chez nos voisins belges, à Bruges, à Bruxelles, à Gand, les marchés de Noël ont courageusement été rebaptisés en « Plaisirs d’hiver » et autres considérations météorologiques prétendument neutres et tolérantes : il est vrai que lorsqu’on n’ose pas affronter les sujets qui fâchent avec courage, on peut toujours parler des saisons et du temps qu’il fait, ça ne mange pas de pain. On sait aussi que les grandes fêtes et rassemblements populaires sont des cibles faciles et de choix pour les islamistes.

Le profil du tueur pose une nouvelle fois la lancinante question des moyens dont se dote la puissance publique pour lutter contre le fléau islamiste et, fatalement, le peuple citoyen est en droit de se demander pourquoi les entorses aux libertés fondamentales qui ont été commises contre les gilets jaunes – à travers notamment ces insupportables « arrestations préventives » auxquelles on a assisté, particulièrement liberticides et entravant en l’occurrence la liberté de manifester -, ne sont alors pas possibles, tant qu’à faire, contre ceux qui tuent et terrorisent le pays depuis des années. La radicalisation religieuse, islamiste, ne suffit-elle pas, dans cette conception pénale qui repose sur la notion de sûreté (et donc de protection préventive), à mettre hors d’état de nuire les individus qui représentent un danger pour la société ? Pourquoi cette philosophie pénale ne serait-elle valable que contre le peuple français revendiquant son droit à vivre dignement, et pas contre ceux qui font couler le sang depuis tant d’années ? Il faut dire, l’assassin ne portait pas de lunettes de piscine et n’avait pas bloqué de trains.

Deux poids, deux mesures ?

Les autorités auront beau jeu de dire qu’une perquisition venait d’avoir lieu chez lui : celle-ci (qui a peut-être déclenché son passage à l’acte) a été effectuée dans le cadre d’une affaire de banditisme et non dans une quelconque intention de le neutraliser préventivement en tant qu’islamiste dont on connaissait la radicalisation. Il y a, par ailleurs, belle lurette que l’on sait que l’islamisme ne sert bien souvent que de cache-sexe religieux à la voyoucratie. Dans tous les cas, il s’agit de régner par la violence et la terreur et, a fortiori, pourrait-on appliquer des mesures préventives  lorsque ces deux dérives (délinquance et islamisme) sont réunies dans un même individu. Il serait donc plus facile, en bidouillant à sa guise le Code pénal comme on l’a fait contre les gilets jaunes,  d’attenter aux libertés fondamentales garanties par les normes constitutionnelles et conventionnelles lorsqu’on s’attaque aux populistes prétendument « factieux » que lorsqu’il s’agit de neutraliser le véritable danger qui ne cesse de gangrener les sociétés occidentales ? Quel manque de chance ! Quelle malheureuse absence unilatérale de plasticité pénale !

Le peuple est pris en tenaille

Le peuple est pris en tenaille : soit il se laisse faire, ne revendique pas, soit il s’exprime et parfois même de façon turbulente (ce qui ne devrait pas choquer dans un régime fondé sur la Révolution, laquelle ne s’est pas déroulée dans une ambiance cosy et feutrée), et alors on lui fera le reproche même pas larvé, même pas honteux, d’épuiser les forces de l’ordre et de renforcer de facto le danger terroriste. Tout comme il ne lui est désormais plus possible ni de festoyer joyeusement ni de manifester sans que les habituelles bandes de racailles ne viennent corrompre et parasiter durablement les mouvements populaires. Christophe Castaner a ensuite beau jeu de s’indigner théâtralement et de porter plainte avec force coups de menton, dans la grande tradition d’atteinte à la liberté d’expression qui caractérise sa formation politique et le socialisme dont elle et lui sont issus, des propos certes maladroits de Nicolas Dupont-Aignan : les « petits casseurs » ne sont certes pas directement ceux « de Castaner » mais elles font clairement « le jeu » du pouvoir (pour reprendre l’expression favorite des électeurs-castors qui ne pourront donc pas s’en émouvoir ni se récrier ni encore encombrer les prétoires de leurs usuelles pleurnicheries) en décrédibilisant les manifestations auprès de l’opinion publique.

Le peuple français subit donc de toutes parts : il subit  la violence concrète, sociale et le mépris symbolique, il subit la violence de la répression lorsqu’il ose se révolter, il subit le déferlement parasitaire des petits délinquants des cités, il subit enfin le terrorisme islamiste car c’est encore lui, le peuple, qui en paie le prix du sang et de l’insécurité dont on viendra, en prime, lui faire porter la responsabilité et la culpabilité car on l’accusera d’avoir détourné les forces de l’ordre de leur mission antiterroriste.

Complotisme et contre-complotisme

Il ne faut pas s’étonner que, dans ce contexte particulièrement malsain, les rumeurs les plus folles et complotistes en tous genres fusent à l’annonce de l’attentat : le gouvernement, qui a lui-même sombré sans retenue dans le complotisme le plus grotesque et manipulateur en allant jusqu’à fantasmer et investir de l’argent public afin d’élucider Dieu sait quelle intervention russe derrière les gilets jaunes (qui apprécieront qu’on ne les croie pas capables de se mettre en mouvement tout seuls comme des grands) – il est vrai qu’on avait déjà tenté le coup des bots russes pendant l’annonciatrice affaire Benalla -, a beau jeu à présent d’accuser certains gilets jaunes de sombrer eux-mêmes dans le complotisme, lesquels sous-entendent que le gouvernement serait au minimum bien content de cet attentat qui tombe à point nommé pour mettre un coup d’arrêt au moins provisoire au mouvement de révolte populaire.

Si le gouvernement nourrit le complotisme d’un côté, il ne peut pas s’en indigner de l’autre lorsque celui-ci resurgit dans une narration qui ne lui convient pas. La République en marche et ses infatigables trolls macronolâtres ont le droit, après tout, d’halluciner des hologrammes de Poutine à tous les coins de rue, ces délires paranoïaques font aussi partie de la liberté d’expression. Mais alors d’autres ont le droit de s’inspirer de House of Cards et de se souvenir que le couple présidentiel Underwood, en proie à la grogne du peuple, déclenche la seule chose qui puisse le sauver : un attentat terroriste. A ce jeu de poker menteur dont tout le monde n’a pas eu la chance, contrairement au ministre de l’Intérieur, de faire son métier initial, chacun se fait les films qui lui conviennent, et, dans le fond, le réel dépasse toujours la fiction.

Pendant ce temps, dans la réalité bien concrète, dans la sueur, le sang et les larmes, c’est le peuple qui souffre et qui paie, et personne d’autre.

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Chroniqueuse et essayiste. Auteur de "Liberté d'inexpression, des formes contemporaines de la censure", aux éditions de l'Artilleur, septembre 2020.

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