Depuis la chute de l’Apartheid, le Freedom Front + s’est progressivement imposé dans l’espace politique sud-africain. Force politique défendant les droits à l’autodétermination des Afrikaners, il occupe une position unique de « faiseur de rois » au sein de la nation arc-en-ciel. Le mouvement d’extrême-droite est désormais membre d’une vaste coalition nationale multiraciale qui pourrait accéder au pouvoir en 2024.
C’est un mois avant les premières élections multiraciales d’avril 1994 en Afrique du Sud, que le général Constand Viljoen a porté le Freedom Front (Front de la Liberté) sur les fonts baptismaux d’un pays marqué par des décennies de ségrégation raciale. Issu d’une longue lignée de Boers qui ont construit le pays, cet ancien chef des forces armées sud-africaines a accepté de se rallier in-extrémis à la démocratie, après avoir obtenu de Nelson Mandela, futur président, la (vaine) promesse d’un référendum sur le droit à l’autodétermination des Afrikaners. Bien que les premiers résultats n’aient pas répondu aux attentes de ce héros de la guerre d’Angola (seulement neuf élus au Parlement), le Freedom Front est progressivement devenu la voix d’une minorité blanche radicale, désorientée et divisée par la fin abrupte de l’Apartheid.
Crise identitaire
En 2003, le Freedom Front a fusionné avec deux autres mouvements, le Parti conservateur (KP) et le Mouvement de l’Unité afrikaner (AEB), cherchant ainsi à insuffler une nouvelle dynamique à un parti en perte de vitesse au sein d’une nébuleuse déchirée idéologiquement. Une initiative qui lui a permis de retrouver sa place au Parlement, qu’il avait presque entièrement perdue quatre ans auparavant.
Rebaptisé Freedom Front + (FF+) après le départ de son fondateur, le mouvement s’est rapidement réorganisé, émergeant au fil des années comme un interlocuteur crédible en faveur de la création d’une dixième province où les Afrikaners pourraient préserver leurs traditions. Aux élections locales de 2006, le FF+ a remporté plusieurs municipalités de taille moyenne et enregistré même des scores surprenants dans des endroits emblématiques tels que le township de Soweto ou dans une banlieue noire de Pretoria. Avec peu de concurrents en face de lui sur son créneau, le FF+ a doucement continué sa transformation. Une décennie plus tard, le parti s’est payé le luxe de présenter avec succès des candidats « coloured » (métis) aux élections locales. Cette stratégie a porté ses fruits, puisqu’en 2019, lors des élections législatives, le Freedom Front est devenu la cinquième force politique d’Afrique du Sud, avec 10 élus au Parlement, et a intégré les conseils municipaux de grandes villes telles que Johannesburg ou Pretoria. Doté d’une aile jeunesse dynamique au sein des universités (qui contrôle les conseils universitaires de Pretoria et de Bloemfontein), le parti a su attirer le vote des radicaux, des fermiers victimes de violences et meurtres à caractère racial, des métis déçus de l’African National Congress (ANC) et des petits Blancs laissés pour compte dans une nation arc-en-ciel qui a peu à peu sombré dans la crise identitaire, politique, économique et sociale.
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Loin encore d’arriver à détenir le pouvoir en Afrique du Sud ou de pouvoir concrétiser la mise en place d’un volkstaat (bien que l’idée de sécession ait trouvé écho dans le pays, comme en témoigne un sondage de 2020 indiquant que 28% des Blancs du Cap étaient en faveur de l’indépendance de cette province), le Freedom Front est désormais considéré comme un acteur clé, jouant le rôle de « faiseur de rois ». Il est même sur le point de faire son entrée au sein du prochain gouvernement fédéral. Confronté aux déceptions causées par l’ANC, un mouvement miné par des scandales de corruption récurrents et par l’usure du pouvoir, aux menaces émanant du député-populiste Julius Malema, qui exprime ouvertement son désir de se débarrasser des Afrikaners de gré ou de force, le FF+ a conclu un accord de coalition au cours de l’été 2023. Cet accord inclut plusieurs partis, parmi lesquels l’Alliance Démocratique (AD, libérale) et l’Inkhata Freedom Party (IFP, ethno-nationaliste), les deux principaux partis d’opposition. Cette alliance hétéroclite capitalise sur le mécontentement général et offre l’éventualité au Freedom Front + de prendre en charge des ministères clés, ce qui pourrait l’aider à mettre en œuvre une politique axée sur la protection des intérêts des Afrikaners, y compris la possibilité d’établir un volkstaat dont les contours restent encore à définir.
Démonstration de force
D’ailleurs, l’exemple le plus récent de la montée de l’extrême droite au sein de la minorité afrikaner reste le 185e anniversaire de la bataille de Blood River. Le 16 décembre 2023, une foule immense a convergé vers le gigantesque mémorial du Voortrekker Monument, situé près de Pretoria. Plus de 30 000 Afrikaners se sont rassemblés pour commémorer cette bataille profondément enracinée dans leur histoire, longtemps enseignée dans les écoles sud-africaines comme l’acte fondateur de toute une nation. C’est près de la rivière Ncome que les Boers ont infligé une lourde défaite aux Zoulous pour venger la mort de Piet Retief et de son expédition, massacrés par les guerriers du roi Dingaane lors d’un banquet auquel ils s’étaient rendus désarmés en toute confiance, après avoir signé un accord de cession des terres. Les Boers ont découvert les corps de leurs compagnons, tous empalés et éventrés (pour des raisons religieuses), abandonnés aux charognards. Sous la conduite d’Andries Pretorius, les Afrikaners ont scellé une alliance devant Dieu et ont juré de célébrer ce jour, connu sous le nom de « Jour de la Foi », s’ils remportaient la victoire. Lors de cette bataille, 3000 Zoulous (sur les 15000 alignés par le monarque) sont tombés sous les balles des Boers, qui n’ont enregistré que 3 blessés ce jour-là (sur les 848 Boers présents). Au cours de la journée, la rivière Ncome s’était doucement teintée de rouge-sang donnant ainsi son nom à cet affrontement épique.
Une démonstration de puissance qui n’a pas échappé à l’attention des médias africains, alors que l’Afrique du Sud était censée célébrer le « Jour de l’Héritage » (ou de la Réconciliation), visant à briser toutes les barrières raciales encore existantes. Lors d’une interview avec Netwerk24, le député Pieter Groenewald, a saisi l’occasion de ce rassemblement pour rappeler que « le génocide contre la communauté blanche continue et que les groupes minoritaires doivent se munir contre cet ennemi invisible et avoir confiance en Dieu ». « Si nous croyons en la diversité, si nous voulons nous réconcilier avec d’autres groupes, nous ne souhaitons pas que notre langue, notre religion et notre culture soient détruites. Méfiez-vous de l’ennemi invisible, celui qui cherche à priver notre fierté nationale. Les Afrikaners n’ont pas honte de leur histoire et sont fiers de ce qu’ils sont » a affirmé le leader du FF+. « Ils veulent nous affaiblir et nous détruire. Nous devons, nous et nos enfants, tirer les leçons de l’histoire et nous unir comme les Voortrekkers afin de vaincre l’ennemi » a martelé le député lors d’une envolée aux accents nationalistes qui ne laissent pas de place aux doutes.
L’Afrique du Sud se fera avec les Afrikaners ou ceux-ci auront leur propre état comme au XIXe siècle avec ceux du Transvaal et de l’État d’Orange Libre sacrifiés en 1902 sur l’autel de la colonisation britannique et de l’union.
Si cette tribune inattendue a mis en lumière la capacité du FF+ à gouverner l’Afrique du Sud au sein d’une coalition, reste à savoir si la population sud-africaine est prête à être de nouveau dirigée par un blanc comme cela a été brièvement le cas entre 2014 et 2015 en Zambie, ex-Rhodésie du Nord. Et c’est bien là toute la question qui déterminera le futur du volk Afrikaner dans les années à venir.