Après le dramatique incendie survenu samedi matin à la cathédrale de Nantes, alors que l’enquête est toujours en cours, un homme suspecté a vu sa garde à vue être prolongée hier. L’orgue du XVIIème siècle, inestimable, est parti en fumée.
L’image est étrangement belle : sur la façade étroite, une rougeur enflamme la rosace à hauteur du grand orgue. Après Notre-Dame de Paris, la cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul de Nantes est en feu. Trois départs d’incendie, à droite et à gauche de la nef. Au bout de plusieurs heures, ce samedi matin 18 juillet, le feu est maîtrisé par les pompiers mais le grand orgue, un chef-d’œuvre inestimable, datant du XVIIème siècle, est entièrement détruit. Certes dira-t-on, la charpente de la cathédrale a résisté. Mais qu’un orgue d’une valeur inestimable disparaisse dans le feu, avec son merveilleux buffet, ses vitraux et ses stalles attenantes, est hautement symbolique. Car l’orgue est l’instrument, par excellence, de la liturgie chrétienne.
Un orgue ce sont « des tuyaux sur un réservoir d’air » disait Charles-Marie Widor. Mais quel instrument savant ! Connu depuis l’Antiquité, hydraulique puis pneumatique, son succès en Europe est rapide, dès le IXème siècle, et l’orgue prend place dans les églises pour accompagner la liturgie. Un répertoire voit le jour au XVIIème siècle avec les facteurs d’orgue. Certes, ce répertoire est lié à Bach mais il ne faudrait pas oublier notre brillante école française avec Vierne, Dupré, Tournemire, Alain, Duruflé et Olivier Messiaen, natif de Nantes, et mort en 1992.
La louange de Dieu suppose le chant et la musique. Si l’orgue est depuis toujours considéré comme le roi des instruments, c’est qu’il reprend tous les sons de la création, fait résonner la plénitude des sentiments humains et renvoie au divin. C’est pourquoi on bénit un orgue avant qu’il ne joue comme on consacre l’autel.
J’ai des souvenirs d’orgue inoubliables : le Kyrie de Vierne à Notre-Dame, pendant les messes, avec la maîtrise entière. (Que devient-elle cette maîtrise ?) Les improvisations à Saint-Etienne du Mont de Thierry Escaich. Des Passions à la cathédrale d’Aix-en-Provence. Et l’œuvre de Messiaen, joué à Notre-Dame, par Olivier Latry, ainsi qu’à la Trinité, par des organistes du monde entier, pour lui rendre hommage, à sa mort, en 1992, sur l’orgue Cavaillé-Coll dont il fut toute sa vie le titulaire. C’est avec Messiaen que l’on découvre avec émerveillement toutes les couleurs de l’orgue, de la plus éthérée à la plus âpre.
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L’orgue de la cathédrale de Nantes, œuvre du facteur d’orgue Girardet, avait traversé les tourmentes de l’histoire : la Révolution, la seconde guerre mondiale et l’incendie de 1972. Et il aura suffi d’un incendie volontaire, le 18 juillet 2020, pour qu’il parte en fumée ! Quand on regarde un tableau d’orgue, sa complexité inouïe, on est émerveillé du savoir humain. Quand on voit les cendres, on est effrayé de la barbarie humaine : tant de temps pour construire, si peu pour détruire ! On se souvient de la ville d’Alep tombée sous les coups de barbares. On dira que beaucoup de monuments publics ont brûlé : l’Hôtel de Ville de la Rochelle en 2013, la toiture de Chaillot en 1997, le toit du Parlement de Bretagne, en 1994, à Nantes. Certes, mais ce n’est pas une raison pour que nos cloches et nos orgues soient menacés. Cet incendie touche les fidèles mais aussi tous les Français attachés à leur patrimoine. Il est un malheur pour les organistes.
Une question se pose sérieusement. Comment se fait-il que des œuvres classées au patrimoine soient si peu protégées ? Avec quelles précautions, Renaud Capuçon veille sur son violon, un Guarneri de 1737 qui appartenu à Isaac Stern ! L’orgue récent de Saint-Jean de Malte, à Aix, frère Daniel Bourgeois y veille comme sur la prunelle de ses yeux. Et nos trésors multiséculaires sont laissés sans protection particulière ! Quand il n’y aura plus d’orgues, plus de maîtrise, plus de cloches dans nos églises, faudra-t-il que les organistes et les musiciens s’engagent dans l’humanitaire ? Partout l’art sacré est menacé.
Aucune trace d’effraction n’a été constatée dans la cathédrale. Un bénévole a été mis en examen. Son avocat, maître Quentin Chabert, déclare à Ouest France : « … s’il s’avérait que la piste accidentelle soit écartée, quel que soit l’auteur de cet incendie, la communauté catholique (sic) est le mieux placée pour, d’ores et déjà, faire preuve de miséricorde (sic) vis-à-vis du ou des auteurs malgré le choc de perdre des biens multiséculaires. Et d’autant plus que le ou les auteurs font partie de leur communauté (sic). L’épreuve réelle de perdre des éléments matériels importants et l’intervention symbolique du politique (?) ne doit pas nous empêcher de relativiser… » Car il n’y a pas mort d’homme. Dieu soit loué, en effet.
En réponse à cette déclaration, et pour rappel, la miséricorde n’a rien à faire ici. Et les catholiques ne sont pas « une communauté ».
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