Après les cotons tiges en plastique, le gel douche en bagage de cabine, les parasols chauffants en terrasse de brasserie, on vient d’inventer un nouveau truc pour sauver la planète. Il fallait que ça arrive. La Préfecture de Haute-Savoie a interdit aux habitants de la vallée de l’Arve – entre le massif du Mont-Blanc et Annemasse – de faire des feux en foyer ouvert en 2022, y compris en chauffage d’agrément.
Les flambées de chêne – grosses émettrices de particules fines comme chacun sait – seront donc proscrites sur les 100 kilomètres du territoire en 2022. Ceci concerne 42 communes. Les feux ne seront donc plus tolérés que derrière la vitre des inserts et autres poêles au rendement plus efficace. Il va falloir regarder désormais les flammes comme à la télé. Dans cette vallée et évidemment bientôt partout en France, car à chaque fois qu’une mesure est bien née, elle se propage un peu partout comme une mauvaise odeur. Ou une rumeur d’impeachment. Toi aussi mon citoyen, profite de la chaleur. Mais surtout plus jamais ni du bruit, ni de l’odeur. Et l’homme de Neandertal de se retourner dans sa caverne. Plus de feu? Mais non ?
Greta a fait des émules
Au risque de déclencher l’ire – ampoulée – des ratiocineurs étonnés, partisans de la réglementation du port du mouchoir de poche à quaytre pointes, cette nouvelle décision laisse tout de même assez perplexe. Sans être un obsédé du « c’était mieux avant », ou même un adorateur du désormais célèbre « je hais cette époque », cher au cœur de Michel Sardou, on peut se demander légitimement où s’arrêtera cette vague d’interdictions.
Certes, comme disent les jeunes en observant les vieux grognons, « il faut vivre avec son temps ». Mais encore faut-il savoir de quel temps s’agit-il ? Celui où le gouvernement poussait à grands coups de dispositifs d’encouragement fiscal à l’investissement en forêt ? Ou celui où l’Agence Nationale de l’Habitat distribuait une éco-subvention aux ménages à revenus modestes désireux d’installer un poêle à bois ? C’était hier. Autant dire il y a un siècle en matière d’écologie, et le naturel, qui revenait déjà pourtant au galop, était sûr de son coup. On parlait alors de pétrole vert et d’énergie renouvelable. Les deux mesures sont d’ailleurs encore valables. Mais la collapsologie millénariste est passée par là. Greta a fait des émules décarbonées.
Zéro carbone ou rien
Sachant que nous sommes désormais promis à une mort rapide, il est urgent d’agir. Zéro émission ou rien. Et devant l’enfumage bien réel de la vallée, il est donc aussi urgent d’interdire. Le préfet, qui a évidemment tous les droits, surtout celui de décider par décret, a donc proscrit la flambée. Et pas celle de l’action Godin. Il aurait pu réglementer le passage des 2000 camions diesel qui traversent chaque jour la vallée en imposant le fer routage. Edicter des normes plus strictes à l’incinérateur Carbon SGL qui distille ses parfums ou même réduire les fumées de décolletage de l’industrie très développée à cet endroit.
C’eût été au moins aussi efficace. Mais beaucoup plus difficile qu’emmerder la population par un nouvel arrêté. On a donc choisi la solution de facilité.
Police des foyers
Ceci posé, on peut se demander qui va bien pouvoir faire respecter la nouvelle interdiction. La gendarmerie, déjà débordée par les contrôles radar et la paperasse, qui pratiquera des perquisitions sur la simple foi d’un soupçon d’odeur de chêne dans les maisonnées ? (Le dernier endroit où l’on pouvait encore faire comme chez soi.) Une police des foyers qui sera habilitée à dresser des procès-verbaux aux aficionados des barbecues? Elle pourra agir ainsi sur plusieurs saisons, avec un petit coup de frein entre la fin de l’hiver et le début du printemps. Les juges, qui imposeront un contrôle judiciaire strict, avec bracelet électronique, aux Zoroastriens (adorateurs du feu)? Ils devront pointer au commissariat avec leurs stères sous le bras et équiper leurs conduits de pots catalytiques. Soyons sérieux.
Il nous reste le droit de grève
Heureusement au milieu de toutes ces nouvelles contraintes, il reste une vraie certitude, on n’interdira jamais les blocages de la CGT. Que les syndicalistes se rassurent. Ce sera même le seul moyen de faire flamber les pneus en piquet de grève, les actions en bourse et les palettes sans tracas. Et surtout sans filtre. Dérogation sera faite également aux émeutiers spécialisés dans les feux de poubelles en fin de manifestation de gilets jaunes. Maintenant que nous n’avons désormais plus le droit de boire, de fumer, de faire du feu ou de se déplacer autrement qu’en paquebot à voile, que nous reste-t-il? Le droit de grève pardi ! Et l’autorisation provisoire de manger du foie gras à Noël. C’est bien la preuve qu’on est libre dans ce pays, non? Surtout, que pour quelques mois encore, on n’est pas américain.
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