Ce fut un festival Mélenchon ! Éructant et dominateur, le leader de la Nupes a exhibé dans son intervention sur la scène de la fête de l’Huma tout ce qui fait de lui le parrain de l’extrême-gauche et empêche durablement cette partie de l’échiquier politique de se reconstruire et de représenter une alternative crédible. Pire même, dans son refus obstiné d’entendre ce que porte Fabien Roussel sur la valeur travail, il révèle son adhésion à la stratégie Terra Nova qui permit l’accession de François Hollande au pouvoir en 2012, tout en détruisant le Parti socialiste (PS) et l’avenir de la gauche. Une situation qui n’a guère évolué depuis.
La forme des interventions de Jean-Luc Mélenchon constitue un repoussoir pour qui n’est pas réduit dans son rapport au politique à l’aigreur et à la colère. Mais derrière ses éructations, difficile de distinguer un projet pour la France voire même un chemin pour la gauche. Un tribun ne se réduit pas forcément à un imprécateur qui recouvre ses haines et ses obsessions de la référence permanente au peuple, alors qu’il ne sert que son appétit de pouvoir et a perdu tout lien avec l’intérêt général. Il est au contraire censé porter avec ferveur un avenir possible pour un peuple rassemblé.
Gauche du travail contre gauche des allocs
Hélas, le discours de Jean-Luc Mélenchon est la reprise de la stratégie qui a mené François Hollande au pouvoir en 2012. Il est l’aboutissement de cette note du think tank Terra Nova de 2011 (à ce sujet, lire la grande enquête « Mélenchon et le vote immigré : le triomphe de Terra Nova ? » de l’OID dans notre nouveau numéro en kiosques NDLR) qui avait recommandé au PS d’abandonner l’électorat des ouvriers et employés, dont les attentes en termes de travail ne correspondaient pas au choix de la mondialisation sans limite et qui, de surcroît, votait mal. A la place était préféré un électorat de substitution mettant en avant les « minorités » : immigrés (réduits dans la tactique à l’électorat « musulman »), LGBT+, femmes, chômeurs… Il s’agissait d’agréger des groupes constituant en leur servant un discours à la découpe : à chacun selon ses revendications sans se soucier de la compatibilité des promesses faites ou de leur capacité à générer du commun.
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Le leader de la Nupes est tout à fait dans cette logique qui dévalorise le travail et élimine toute référence à l’égalité et la justice sociale, pour mettre en avant le sociétal et la multiplication des revendications identitaires pourvu qu’elles se construisent contre l’idée de communauté nationale. Avec Jean-Luc Mélenchon, la stratégie Terra Nova 2022 se résume ainsi : « la gauche ne peut avancer que dans la bataille contre le racisme et l’islamophobie ». Cette sortie du lider maximo est la réponse de la Nupes aux reproches du chef de file des communistes, Fabien Roussel.
Celui-ci, constatant que la gauche ne savait plus parler aux classes populaires rurales, avait déclaré à l’ouverture de la fête de l’Huma « que la gauche devait défendre le travail et ne pas être la gauche des allocations et des minima sociaux ». Si Fabien Roussel s’est fait violemment tacler par tous ses autres partenaires de la Nupes, il reprenait cependant un discours porté par le député de la Somme, François Ruffin. Celui-ci racontait dans les colonnes du magazine Alternatives économiques avoir entendu sur son territoire nombre de critiques d’électeurs reprochant à la gauche d’être le parti « des assistés ». La conséquence d’un tel choix stratégique ne s’est pas fait attendre : la gauche multiculturaliste a abandonné à l’extrême-droite toute une partie de l’électorat populaire qui après s’être senti trahi, se voit aujourd’hui diabolisé. Il faut dire que faute de solutions et de vision d’avenir, le discours de Jean-Luc Mélenchon n’est plus qu’électoraliste et accusateur. Tout ce qui n’est pas lui est illégitime, fut-ce dans son propre camp. Or ce n’est pas qu’une conséquence d’un caractère autocratique et méprisant, mais le résultat de ses choix stratégiques. Faute de propositions susceptibles de parler au peuple français, il ne peut que s’enfoncer dans la diabolisation pour complaire à la clientèle qu’il s’est choisi.
Mélenchon refuse d’écouter Roussel et Ruffin
En effet, l’agrégation de groupes sociaux aux intérêts différents, voire opposés, ne permet pas de proposer un projet cohérent, il ne reste plus alors qu’à adopter la stratégie de l’ennemi telle que la conçoit Carl Schmitt, le grand juriste si proche des nazis. Ainsi, à défaut d’avoir un chemin à proposer, on désigne des têtes à couper et on englobe dans la dénonciation du système, une partie des valeurs démocratiques. Voilà pourquoi Jean-Luc Mélenchon renoue avec la vulgate révolutionnaire, convoquant Léon Blum à l’appui de son rejet de la démocratie. Ce dernier devient un instrument pour justifier la remise en cause de la démocratie puisque le président du Front populaire approuvait « la conquête du pouvoir par tous les moyens, mêmes les moyens légaux ». Autrement dit, le chemin du pouvoir à gauche est avant tout violent et révolutionnaire, et même ceux qui sont présentés comme des figures réformistes étaient sur cette ligne. Autant insinuer que le réformisme n’existe pas et que seule la stratégie de rupture est digne de la gauche. C’est faire de la violence pure le moteur de l’histoire alors que les révolutions ont toujours fait des moissons de massacre dans le peuple et sont en général très coûteuses pour les plus faibles d’entre nous. Mais les révolutionnaires se préoccupent rarement du nombre de cadavres qu’il faut empiler pour qu’ils puissent s’asseoir sur le trône. Ils sont le peuple et trouvent que s’il faut casser des œufs pour qu’eux dégustent une omelette, le jeu en vaut la chandelle. Pour le véritable peuple qui se retrouve souvent dans le rôle des œufs, la partie est moins amusante.
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Face au réel problème que devrait être pour la gauche le fait que sa stratégie de conquête de pouvoir alimente la dynamique du Rassemblement national, le leader de la Nupes, plutôt que d’entendre Fabien Roussel et François Ruffin préfère n’avoir pour autre horizon que son nombril. Fasciné parce qu’il croit être un destin qu’on lui aurait volé, il continue à penser que le grand capital l’a privé de son poste de président de la République et que les dernières élections législatives ont été une grande victoire. Il n’aurait été privé du pouvoir que par la trahison de la droite. Celle-ci serait ainsi passée de « plutôt Hitler que le Front populaire » à plutôt « Le Pen que Mélenchon ».
Il est assez comique de voir le chantre de la gauche radicale reprocher à la droite de ne pas l’avoir soutenu, comme si voter pour lui était un dû mais il est dommage qu’il ne s’interroge pas sur le fait que le « plutôt Le Pen que Mélenchon » fonctionne sur une grande partie de l’électorat et est lié à sa propre attitude comme à son discours. Aujourd’hui, la violence politique est clairement affichée et assumée par ses troupes et elle s’entend dans le discours de leur chef. Le ton des interventions du leader de la Nupes, ses mimiques, sa violence verbale font plus de lui l’héritier de Jean-Marie Le Pen que ne l’est sa propre fille. La parenté du positionnement saute aux yeux comme la similarité des attitudes. Résultat : contrairement à tout ce que prétend Jean-Luc Mélenchon, cette union d’intérêts partisans que représente la Nupes n’a fait naître aucune dynamique et son accaparement par sa personne rappelle que le totalitarisme a prospéré autant à gauche qu’à droite. D’ailleurs, si l’on compare le score de cette union lors des législatives de 2022 à celui de l’ensemble des partis qui la compose lors de celles de 2017, le résultat est similaire. Plutôt que de se griser de sa propre rhétorique, Jean-Luc Mélenchon gagnerait sans doute à écouter Fabien Roussel et François Ruffin s’il veut que la gauche ait à nouveau un avenir.
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