Transgenres, immigrés, femmes victimes du patriarcat : le Festival du film de Haïfa a présenté un programme conforme à l’idéologie dominante. La marginalisation des hommes en est le fil conducteur.
Du 12 au 21 octobre, la trente-cinquième édition du Festival du film de Haïfa (Israël) a déroulé un programme parfaitement conforme à l’idéologie du temps. Y ont été présentés des longs métrages consacrés à la « découverte de sa véritable identité sexuelle » (toujours contraire au sexe assigné par Mère Nature), aux immigrés ainsi qu’aux femmes victimes du patriarcat. Devenus des genres à part entière, le règlement de comptes sur fond de fête de famille et le road-movie-rapprochement-de-deux-êtres-que-tout-sépare étaient également de la partie. Au fil des projections, s’est révélé en filigrane un axe directeur : la marginalisation, voire la disparition, des hommes. Petit tour d’horizon de la création cinématographique israélienne contemporaine.
Je me suis enfin sentie feeeemme…
Tout le monde semble désormais admettre que le sexe d’un individu ne dépend que de son libre choix. Ainsi, pour légitimer sa dimension transgressive, le « film de transsexuels » est condamné à une surenchère sans issue. I Was Not Born a Mistake, réalisé par Rachel Rusinek et Eyal Ben Moshe, en constitue la parfaite illustration : ce documentaire donne la parole à Jessica Smith, anciennement Yaacov, né aux États-Unis en 1951. Dans sa jeunesse, Yaacov intègre le mouvement ultra orthodoxe Habad et fait son alya. Mais, nous prévient d’emblée sa voix off, il « n’était pas lui-même », dissimulant « ce qu’il était réellement ». Six enfants plus tard, sa vérité s’exprime enfin : il est homosexuel. Banni de la communauté, il retourne aux États-Unis où il vit très malheureux. Vers la cinquantaine, nouvelle révélation : il n’est pas gay, mais bel et bien femme. Dont acte, transformation, opération, achat massif de robes et de bijoux. Adieu Yaacov, bienvenue Jessica. Mais Jessica, bien qu’enfin advenue à son véritable moi, se languit du judaïsme. Elle se réinstalle donc à Jérusalem, devient « rabbin » et prêche dans les parcs, expliquant que sa transformation n’est finalement pas si éloignée de la circoncision… Idéologique de bout en bout, I Was Not Born a Mistake présente à son insu un certain intérêt : Yaacov/Jessica met en effet un point d’honneur à refuser l’appellation de femme trans. Elle est en effet une vraie femme, hétérosexuelle, dit-elle. Par-delà sa dimension délirante, ce déni de réalité ne manifeste-t-il pas un refus de l’homosexualité ? En l’occurrence, le transsexualisme garantit-il la conformité, certes illusoire, à ce qu’exige la religion ?
Et pourtant, ce retour à la « tradition » frise le blasphème : en se créant femme, Yaacov se prend pour Dieu, ce qui n’est pas très casher…
Entre « sœurs », entre soi
Les deux films de Yaron Shani, Chained et Reborn, traitent la tension moderne entre les sexes de manière bien plus intéressante. Yaron Shani, auteur d’une trilogie intitulée Love, entend capter « la vie même ». Pour cela, il sort des codes cinématographiques de la fiction, empruntant une voie déjà explorée par d’autres, de John Cassavetes à Abdellatif Kechiche : Shani s’appuie sur le travail in vivo avec des non-professionnels, dont le profil psychologique et le parcours correspondent à celui des personnages de son futur film. Le genre n’est pas documentaire pour autant, puisqu’une trame fictionnelle très libre préexiste. Les « acteurs » qui n’en sont pas, donc, se voient plongés dans des situations au sein desquelles, sans scénario, ils vont agir et réagir en fonction de leur personnalité. Des centaines d’heures de rush tournées ont été tirés Chained et Reborn, centrés autour du couple formé par Rashi et Avigail. Le couple est en crise. Chained est axé sur Rashi, policier incarnant la loi au sens fort, c’est-à-dire la soumission du principe de plaisir à autre chose que lui-même. Constamment heurté par un système qui valorise le moi et ses innombrables exigences, Rashi sera détruit. En miroir, Reborn met en perspective sa femme, Avigail qui, si l’on se fie au titre du film, va « renaître ». Pourquoi cette renaissance, qui impliquerait a priori une libération, crée-t-elle chez le spectateur un tel sentiment d’enfermement morbide ?
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Contrairement aux intentions probables de Shani, l’apnée ressentie provient justement de la façon dont Avigail se libère : prise en charge par Yaël, sage-femme adepte des retraites dans le désert et de pseudo-thérapies traditionnelles, elle intègre un univers exclusivement féminin. Cette « sororité » ordonnée autour du pouvoir d’enfanter s’enracine implicitement dans le fantasme d’un monde sans hommes. Le premier sexe n’apparaît en effet que sous les traits d’un vieillard en état végétatif, d’un mari abusif, d’un fantomatique jeune père invité à tremper dans une baignoire d’accouchement… Quant aux personnages féminins, ils crèvent l’écran de leur hystérie : crises de nerfs, de panique, de larmes, revendications narcissiques et effusions immotivées. Le principe au nom duquel doit se faire l’émancipation sororiste est en réalité celui de la fusion. C’est ce que montrent les scènes de retraite, lors desquelles les femmes ne cessent de s’agglutiner les unes aux autres, s’activant telles de petites filles à célébrer leur propre culte. Bref, la renaissance annoncée par le titre est en réalité la régression au stade primaire du nourrisson collé à sa mère, qui refuse l’altérité et le renoncement à la toute-puissance.
Vita activa
Underground Ballett, documentaire de Lina Chaplin, montre également un univers essentiellement féminin, celui d’une école de danse classique, bizarrement située sous le stade de foot de Jérusalem. Créée par Nina Timofeyeva, danseuse étoile du Bolchoï ayant tout quitté pour venir se rapprocher de Dieu en Terre sainte, l’école est aujourd’hui dirigée par sa fille Nadia. Puisque l’heure est aux catégories sexuelles, Nadia est lesbienne. Mais quelle surprise, ceci ne joue aucun rôle dans son identité, car elle est avant tout pédagogue, vouant sa vie à ses élèves, leur apprenant chaque jour la mise au pas du corps, condition douloureuse mais nécessaire à l’expression de l’esprit. À l’instar de ses goûts sexuels, l’ego de Nadia sait s’effacer : danseuse, elle a renoncé à la lumière, considérant qu’elle-même et donc son œuvre s’expriment dans les jeunes danseurs qu’elle forme, sans doute aussi inadaptés au réel que leur professeure, confesse-t-elle en riant. La générosité de sa pédagogie se fonde sur la connaissance d’une vérité profonde, exprimée de façon sidérante par Avi, adolescent qui parle de « ce vide qui est en chacun de nous et que nous cherchons à remplir », entre divertissement pascalien et désir lacanien. Le jeune homme avoue avoir un temps cherché à combler ce vide par la drogue, avant de revenir à la danse : il y a donc bien une hiérarchie des activités et des existences, contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire.
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Cette nécessité de l’arrachement à son moi immédiat pour devenir ce que l’on est, est aussi présente en filigrane dans Crossings, documentaire d’Itzik Lerner, qui suit des jeunes gens entamant leur service militaire à un check-point de Jérusalem-Est. Quoi que l’on pense de l’obligation militaire et de cette très vilaine chose qu’est la guerre, ce passage contraint constitue aussi une possibilité de découverte et de dépassement de soi. Les jeunes gens fragiles et revendicatifs du début du film, dominés par leurs émotions comme le veut leur génération, privés de la satisfaction immédiate de leur désir, grandissent et vivent au fil de la pellicule.
Les rapports entre les sexes tiennent moins de la domination que de la méconnaissance
Pour terminer, citons Enchained, série de Yossi Madmoni, Tamar Kay et David Ofek, dont les épisodes 1 et 3 ont été projetés pendant le festival. Nous y voyons Josef, qui siège au tribunal rabbinique. Rappelons que le guett, le divorce religieux seul valable en Israël, ne s’obtient qu’avec le consentement de l’époux, contraignant les femmes à des années de procédure qui peuvent ne jamais aboutir. Ce sont d’ailleurs ces femmes agounot, enchaînées, qui ont donné son titre à la série. Or, Josef a monté un petit business pas très Beth Din de médiation conjugale, exerçant chantage et coups de pression sur les époux rétifs jusqu’à ce que ceux-ci consentent au divorce. Il en recueille la gratitude de ses « clientes » enfin libérées, compensant ainsi la frustration qu’il éprouve dans son propre couple – sa femme demeure un mystère à ses yeux. Contrairement à la doxa en vigueur, les rapports entre les sexes tiennent moins de la domination que de la méconnaissance. Cela s’appelle l’altérité. Ce sera l’oncle de Josef, un vieil homme aimant les hommes, qui lui parlera de plaisir sexuel, passerelle possible entre les humains. Et sa mère lui donnera une autre clé essentielle, expliquant pourquoi les femmes faisaient disparaître le drap de leur nuit de noces : non pour tromper leur mari sur leur virginité, mais afin de préserver l’énigme nécessaire à tout désir.
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