La 28è édition du Festival de Pâques se tient à Deauville jusqu’au 27 avril 2024
Ce sont d’autres races de purs-sang qui, en ouverture du printemps, investissent pour trois semaines la salle Elie de Brignac-Argana, à Deauville. Non pas les yearling hors de prix dont, le reste de l’année, quelques émirs ou capitaines d’industrie hippophiles font l’acquisition dans cet équestre colisée. Les juvéniles chevaux de course du traditionnel Festival de Pâques dont, à deux heures de Paris, la mythique station balnéaire s’enorgueillit depuis près de trente ans, en partenariat avec la prestigieuse Fondation Singer-Polignac et sous l’impulsion de son co-fondateur le violoniste Renaud Capuçon (avec feu le pianiste Nicholas Angelich), ce sont les musiciens prometteurs de la nouvelle génération. Jeunes mais déjà concertistes de haut vol, pour certains. L’autre signature du festival, c’est d’associer délibérément les must du répertoire classique à des œuvres plus rares, voire à des compositions contemporaines, lesquelles exigent parfois une oreille avertie. Un équilibre subtil.
Éclectisme au rendez-vous
Le concert d’ouverture du 6 avril offrait l’illustration parfaite de cette combinaison. Avec, en guise de hors-d’œuvre, La Truite, le célèbre quintette composé par un Schubert âgé de 21 ans sur la base de son lied Die Forelle dont tout un chacun sait fredonner les variations mélodiques du quatrième mouvement, jadis parodié par les Frères Jacques… Moins galvaudé, le sublime andante, second mouvement du quintette, atteignait un sommet sous les archets d’Emmanuel Coppey (qui jouait « baroque », sur un violon fin XVIIIe), de Manuel-Vioque-Judde à l’alto, de Yann Dubost à la contrebasse. Au clavier, le remarquable Arthur Hinnewinkel, 24 ans, pianiste actuellement en résidence, justement, à la Fondation Singer-Polignac, dans le XVIème arrondissement de Paris.
C’est peu dire que le second morceau du concert, Ich ruf zu Dir pour piano, clarinette et quatuor à cordes, millésimé 1999, œuvre d’Olivier Grief, compositeur mystique, fils d’un déporté de la Shoah, un temps adepte d’une secte bouddhique, mort à 50 ans à peine en l’an 2000, supposément d’une crise cardiaque, requérait l’écoute de l’auditeur : musique d’écorché vif, proche de la transe, une clarinette stridente ne ménageant pas les tympans, pas plus que le piano frappé comme la sonnaille d’un bourdon de cathédrale, cri dissonant, accablé de lourds silences neurasthéniques. De ce climat funèbre témoigne la bouleversante Danse des morts, aux mélopées nourries de musique ancienne. Elle est éditée en CD sous la bannière de Deauville Live, au sein d’une précieuse collection qui compte déjà une douzaine d’albums : chaque année, la gravure d’un concert du festival – éclectisme au rendez-vous, donc.
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Prokofiev clôturait ce concert du 6 avril, avec cette Ouverture sur des thèmes juifs, pour piano, clarinette et quatuor à cordes, œuvre peu connue, d’une écriture saisissante. Modifié à la dernière minute, ce programme dominical nous aura privé de la sonate pour clarinette et piano n°3 de Max Reger (1873-1916) initialement prévue : d’autant plus dommage qu’en toute franchise l’interprétation du fameux quatuor pour violon, alto violoncelle et piano, remplacement au débotté, par une formation manifestement peu à l’aise, ne faisait pas honneur au génie de Mahler. S’ensuivaient deux morceaux d’Alban Berg pas faciles d’accès, il faut bien le dire, mais superbement rendus, auxquels succédait un Der Wind échevelé, œuvre pour violon, clarinette, cor, violoncelle et piano de Franz Schrecker (1878-1934), d’une magnifique amplitude post-romantique, ce avant le trio pour clarinette, violoncelle et piano opus 114 de Brahms puis – scies absolues du répertoire s’il en est ! – quatre danses hongroises de l’impérissable compositeur germanique ne viennent conclure ce dimanche en feu d’artifice, par un quatre mains vibrionnant – les tous jeunes Gabriel Durliat et Arthur Hinnewinkel se disputant le clavier avec entrain.
Aude Extrémo très attendue
On l’aura compris, les deux concerts de ce week-end – qui ont fait salle pleine – ne sont jamais que l’entrée en matière de l’événement deauvillais, promis à s’achever en beauté fin avril à l’enseigne de Max Reger, avec la Suite romantique (1912), de Schönberg, avec la Kammersyphonie n°1 (1906-1912) mais surtout avec les envoûtants Kindertotenlieder de Mahler, chantés par la mezzo-soprano Aude Extrémo, dont le répertoire ahurissant va de la musique française aux rôles wagnériens, en passant par le belcanto. C’est ce concert final qui, cette année, fera l’objet d’une captation pour l’édition CD du « Deauville Live », millésime 2024.
Pour autant, le Festival de Pâques, loin en arrière des planches de Deauville, ne vient pas clouer le bec au classique dès l’arrivée des beaux jours et des transhumances touristiques : du 30 juillet au 10 août, cette même salle Elie de Brignac-Arquana ravive les attraits de la musique de chambre, avec la 23ème édition de l’Août musical – un programme qui, encore une fois, n’hésite pas à conjuguer Schumann et Martinu, Mozart et Poulenc, Chausson et Tchaïkovski, Berg et Mendelssohn…
On notera que pour les moins de 18 ans, le Festival de Pâques s’annonce gratuit une heure avant le concert, dans la limite des places disponibles – et 10€ si tu réserves, gamin. Qui dira qu’en France on néglige la transmission de la culture auprès de notre tendre jeunesse ? Ne néglige pas pour autant l’injonction de Paul Valéry, en lettres d’or au fronton du Palais de Chaillot : « Il dépend de celui qui passe / que je sois tombe ou trésor/ que je parle ou me taise/ Ceci ne tient qu’à toi/ Ami n’entre pas sans désir ». En bord de mer, jeunes gens, choisissez donc le bain de culture, divertimento pas salé : comme l’on sait, la musique adoucit les mœurs.
Festival de Pâques (28è édition). Jusqu’au 27 avril 2024. Salle Elie de Brignac-Argana. Deauville.
Réservations sur www.musiqueadeauville.com
Concert d’ouverture du 6 avril diffusé sur France Musique le 20 mai à 20h, puis disponible en streaming sur le site de France Musique et l’application Radio France.