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Tueuses comme tout le monde

Violentes, collabos, nazies: la féminité n’est pas toujours une garantie d’humanité


Tueuses comme tout le monde
© Privat

La féminité n’est pas une garantie d’humanité. Les gardiennes des camps nazis en sont la sanglante démonstration, de même que nos zélées collaboratrices. Tueuses, de Minou Azoulai et Véronique Timsit, et Collaboratrices, de Pierre Brana et Joëlle Dusseau, dépeignent ces femmes qui n’ont rien de la victime MeToo.


« La femme est l’avenir de l’homme », écrit Aragon. La lecture de Collaboratrices, de Pierre Brana et Joelle Dusseau, comme de Tueuses, de Minou Azoulai et Véronique Timsit, offre un cruel démenti à cette profession de foi. À l’ère MeToo, où la femme est présentée comme un éternel bébé phoque, victime du patriarcat, à jamais martyre et proie, nos auteurs dépeignent des femmes qui ont parfaitement trouvé leur place dans la mécanique hitlérienne, que ce soit en collaborant avec l’occupant ou en étant les zélées auxiliaires du régime nazi. On les retrouve dans les camps de la mort où leur cruauté n’épargne pas les enfants. Les pages consacrées à Eugenia Pol et Sydonia Bayer sont particulièrement éprouvantes. Elles sévissaient au « Petit Auschwitz », à Lodz, en Pologne, camp d’extermination pour enfants âgés de trois à 16 ans – où furent aussi internés des bébés de six mois. Les témoignages racontent la monstruosité de ces femelles-bourreaux qui n’hésitaient pas à fracasser la tête des nourrissons contre les murs.


Ni remords ni regrets

Ces femmes se caractérisent par leur ambition, leur besoin de reconnaissance, d’ascension sociale et leur absence d’empathie pour leurs semblables, comme par leur violence et leur incapacité à éprouver remords et regrets. Des motivations et des caractéristiques très similaires à celles des hommes finalement. Pour autant, la plupart d’entre elles ont échappé aux sanctions les plus lourdes ou ont été amnistiées, certaines retrouvant même du travail auprès d’enfants ou dans des hôpitaux, comme la sadique Eugenia Pol qui continua de vivre tranquillement à Lodz. Et on note au passage que l’Allemagne a été particulièrement bienveillante envers celles qui ont participé à la gestion des camps de la mort ou qui se sont illustrées en infirmières zélées auprès du docteur Mengele.

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Pourquoi une telle indulgence ? L’idée que la femme puisse être un criminel est-elle inacceptable pour une société moderne qui cherche à se rassurer en s’accrochant à l’image archaïque d’une féminité-sensible-et-délicate ? En tout cas, le déni de ces femmes, lors de leur procès, a déstabilisé des juges qui ont préféré croire à des mensonges plutôt que d’affronter l’inconcevable : la féminité n’était pas une garantie d’humanité. Violemment antisémites, déshumanisant ceux qu’elles voulaient éliminer, elles se sont montrées tout aussi fanatiques que leurs contemporains mâles. Il semble que la sororité ou l’instinct maternel n’aient pas éclairé leur parcours…

Invisibilisées !

Ces psychopathes du Reich, femmes extraordinaires au sens premier du terme, ont été peu condamnées, c’est peut-être pour cela qu’elles sont si peu présentes dans notre imaginaire et dans les travaux des historiens qui se sont penchés sur ces années noires. En revanche, celles qui ont pratiqué une collaboration dite « ordinaire », la fameuse « collaboration horizontale », ont connu les foudres de la justice ; et c’est cela qui nous marque encore : coucher avec l’ennemi est une trahison abjecte et impardonnable, alors que dénoncer des juifs paraît susciter moins d’opprobre. Pourtant, le premier cas est rarement lié à une adhésion à l’idéologie nazie, il s’explique le plus souvent par le besoin d’argent, la nécessité, la légèreté, le goût du luxe voire par l’amour. Le second, en revanche, témoigne d’une proximité intellectuelle avec l’occupant et d’une profonde indifférence au sort de ceux qui ont en général été envoyés à la mort. Or la délation apparaît comme la discipline pratiquée en majorité par les femmes, selon certains historiens, quand d’autres évaluent à environ 30% la proportion de femmes parmi les corbeaux. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas négligeable.

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L’oubli des femmes, quand on évoque la Résistance comme la collaboration, est lié également à leur représentation dans la société. Reléguées dans l’imaginaire à leur fonction de génitrice et de mère de famille, elles ne sont pas considérées comme étant capables d’agir politiquement, et encore moins comme étant autonomes intellectuellement. Aussi, les excuses telles que « je ne savais pas » ou « je n’avais pas le choix » ont-elles été particulièrement bien entendues par les tribunaux. Un aveuglement renforcé par l’hypervirilisme d’un monde post-totalitaire mettant toujours en scène un mâle dominant, conquérant et sans état d’âme.

Si nul ne naît collaborateur ou tortionnaire, certains et certaines peuvent facilement le devenir. Pourquoi ? Parce que « la violence collective est une construction sociale qu’il est aisé de banaliser[1] » et à laquelle il n’est pas si difficile d’adhérer. « Quand le crime contre l’autre est érigé en ordre de conduite et en morale[2] », l’ensemble de la société accepte cette vision et la transforme en réalité politique. Dans ce cadre, il n’est nullement question de genre. La femme n’est pas immunisée contre le mal ni contre le crime. Il va falloir s’y faire.


À lire :

Minou Azoulai et Véronique Timsit, Tueuses : ces femmes complices de la cruauté nazie, Privat, 2024.

LES TUEUSES: CES FEMMES COMPLICES DE LA CRUAUTÉ NAZIE

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Pierre Brana et Joelle Dusseau, Collaboratrices, Perrin, 2024.


[1] Citations de Tueuses, p. 37.

[2] Ibid.



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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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