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Lindemann se met les féministes à dos

Quand la fiction littéraire n'existe plus


Lindemann se met les féministes à dos
Till Lindemann à Berlin le 16 mars 2017. Numéro de reportage : SIPAUSA31414896_000001 © FMB/WENN.COM/SIPA

Le musicien allemand publie un nouveau recueil de poèmes, au grand dam de ses détracteurs.


L’iconoclaste chanteur du groupe Rammstein (récemment hospitalisé, sans rapport avec le Covid-19), connu pour son métal décapant aux performances scéniques délirantes, a publié le mois dernier un recueil intitulé sobrement « 100 poèmes » (100 Gedichte). D’une qualité variable mais néanmoins assez remarquable, le recueil mérite sans aucun doute l’attention des amateurs de poésie allemande.

Car Lindemann n’en est pas à son premier coup d’essai : il a en effet déjà publié plusieurs compilations, dont notamment Messer en 2002 et In stillen Nächten en 2013, déjà remarquées en leur temps.

Sous le feu des critiques pour un poème

Mais voilà, l’un de ses nouveaux poèmes ne semble pas plaire à une partie des milieux progressistes et féministes outre-Rhin. Tout a commencé par une tribune, pour la radio SWR2, de l’écrivain et critique littéraire Carsten Otte qui, entre quelques diatribes gratuites visant les activités musicales de Lindemann dans Rammstein, accuse l’Allemand de faire l’apologie du viol. Son ire vise le poème Wenn du schläfst (« quand tu dors »), qui, même si aucune référence explicite à une agression sexuelle n’est utilisée, semble en effet décrire une scène ou un homme abuserait d’une femme allongée près de lui, laquelle serait vraisemblablement plongée dans un profond sommeil suite à l’absorption d’une drogue.

Rappelons qu’il s’agit de poésie et que, même si ce poème est loin d’être le meilleur du recueil, le style onirique et la licence poétique empruntés sont le propre de ce type de composition, quel qu’en soit le sujet, et que traiter le sujet d’une violence sexuelle ne revient en rien à en faire l’apologie ni à atténuer la gravité des faits. Bref, cela s’appelle de la fiction littéraire.  

Défense ferme de son éditeur et de certains écrivains

C’est d’ailleurs précisément ce qu’a tenu a rappeler l’éditeur de Till Lindemann, la maison Kiepenheuer & Witsch. « L’indignation morale de certains, suscitée par le texte de ce poème, est fondée sur une confusion entre le locuteur fictif, le « moi » du poème, et l’auteur Till Lindemann », a ainsi expliqué Helge Malchow, rédacteur en chef de K&W, dans un entretien avec le RedaktionsNetzwerk Deutschland (RND). « La différence entre le moi poétique et l’auteur est cependant fondamentale pour toute lecture de poésie et de littérature en général et s’applique à tous les poèmes du volume ainsi qu’à la poésie au sens large ». Et Malchow d’ajouter : « Si cette différence n’existait pas, les fictions littéraires et les fantasmes du mal et de la violence, tels que nous les connaissons dans la littérature mondiale, de Henry Miller à BE Ellis en passant par AM Homes, ne seraient pas possibles et la liberté de l’art serait entravée et inexistante. Il va sans dire que le processus décrit dans le poème est profondément répréhensible d’un point de vue moral mais ne permet en aucun cas d’incriminer l’auteur à titre personnel ».

Cela n’a pas empêché les associations féministes et un certain nombre d’internautes de lyncher numériquement l’artiste allemand, conspuant son poème « hideux et dégoutant » et allant parfois jusqu’à l’accuser d’utiliser une « imagerie nazie » (point Godwin atteint). La presse de gauche s’en est également donnée à cœur joie, telle la Tageszeitung parlant de « sensibilité teutonique » et de « spectacle d’horreur mégalomane ». 

Mais dans le même temps, certains écrivains sont venus à la rescousse de Lindemann, comme Alexander Gorkow (qui a préfacé l’ouvrage) ou Sibylle Berg, qui s’est emportée face à l’avalanche de réactions offusquées et d’insultes, en ironisant notamment sur le fait que « des tas de livres contiennent des scènes de meurtre » et qu’il faudrait se poser la question de les interdire aussi…

On ignore si les détracteurs de Lindemann ont lu le reste du recueil. Et l’histoire ne dit pas si Carsten Otte et les associations féministes comptent faire interdire d’autres œuvres, telles le Viol de Lucrèce de William Shakespeare ou le film Irréversible du cinéaste Gaspar Noé (la liste peut être rallongée à l’infini). 

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Juriste, chroniqueur

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