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Il faut sauver la soldate Tuaillon

Retour sur ce qu’il faut bien désormais appeler l’ «affaire Répliques» !


Il faut sauver la soldate Tuaillon
De gauche à droite, Noémie Halioua, Alain Finkielkraut et Victoire Tuaillon. Image: Twitter.

Notre contributeur revient sur l’émission d’Alain Finkielkraut Répliques du 24 février consacrée à l’amour, avec Noémie Halioua et Victoire Tuaillon. Et sur les réactions ultra-gauchisantes qu’elle a suscitées.


Résumons.

Le 24 février 2024, Noémie Halioua, auteur de La Terreur jusque sous les draps – sauver l’amour des nouvelles morales, un essai qui commence à faire parler de lui et pour cause[1], était invitée à Répliques par Alain Finkielkraut pour débattre avec Victoire Tuaillon, animatrice du fameux podcast Les couilles sur la table, sur le thème Faut-il réinventer l’amour ?  Le débat (qu’on pourra réécouter ici), fut explosif, tendu, quoique très intéressant, palpitant et significatif du fait même de son caractère aporétique. Par bien des aspects, il rappela celui du plateau d’Apostrophes en 1978 [archive INA ci-dessous] entre Annie Le Brun et Gisèle Halimi.

Même mépris néo-féministe envers celles qui osent ne pas se reconnaitre dans leur combat communautariste, même négation de l’individualité au nom de la lutte collective, même misandrie décomplexée, même haine de la littérature – et il fallait bien une surréaliste aussi classe que l’autrice des Châteaux de la subversion pour oser s’attaquer toute seule à la meute progressiste. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard (ou si c’en est un, alors il est objectif !) si Noémie Halioua termine son propre essai sur le mot d’André Breton à sa fille : « je vous souhaite d’être follement aimée. »

Amour fou contre Big Bang theorie

Alors sans doute suis-je partie prenante dans cette affaire et donc forcément partial mais il me semble que la surprise (et non l’emprise !), la verve et l’élan vital furent du côté de Noémie bien plus que de celui de la podcasteuse qui s’enlisa très vite dans ses chiffres, ses stats, ses « études », sa perception toute scientiste des choses, idéologiquement imparable mais existentiellement très pauvre – et typique de cette « prétention du présent », comme le fit remarquer d’emblée la première, qui tend à tout régenter au nom du bien et à déshumaniser à force de dénaturaliser.

Dès lors, la bataille pouvait commencer.

L’une, du côté de l’homme et de la femme éternels, de l’amour tel qu’il est vécu depuis la nuit des temps, forcément imparfait, dissymétrique, associé au tragique ; l’autre, du côté de la réparation permanente, de l’obsession qu’il faut révolutionner le réel dans une optique banalement anticapitaliste quoique sans comprendre que c’est justement le capitalisme et la révolution industrielle qui ont permis l’émancipation des femmes bien plus que le blabla moralisateur des féministes (que n’a-t-elle lu Féminicène de Véra Nikolski, le seul essai sociologique du moment qui renouvelle le logiciel progressiste) – et préférant comme il se doit s’en prendre à la culture immémoriale, réduisant l’amour au féminicide, l’œuvre d’art à la culture du viol et la littérature à Matzneff. Tant pis pour Madame de Mortsauf et son bouleversant « J’ai parfois désiré quelque violence de vous » à Félix de Vandenesse dans Le Lys dans la vallée, cité par Finkielkraut, qui impressionna fort peu Victoire, certaine de l’emporter grâce aux chiffres de l’INSEE.

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Le plus drôle est qu’en défendant son monde parfait où tout le monde s’aimerait de la même façon et d’un amour qui ne serait en fait qu’une forme d’amitié sublime plus ou moins zadiste, c’est elle qui se révéla ultra-romantique, idéelle, irréelle – alors que Noémie, toute à sa défense des contes de fées, était paradoxalement dans le réel le plus âpre, vécu comme tel avec ses défauts et ses risques. Et c’est pourquoi, plutôt que le féminisme révolutionnaire, toujours un brin totalitaire, promue par la première (« le féminisme n’est pas une opinion », asséna celle-ci – énormité de l’émission s’il en fut), l’on préférera toujours celui de réconciliation proposée par Noémie[2].

Mais le plus beau était à venir…

Le même jour, ces dames mirent sur leur profil respectif, et avec une fierté fort compréhensible, la photo faite après l’émission avec Alain Finkielkraut et (entre !) elles. Tout le monde fut heureux pour Noémie alors que cela se passa fort différemment pour Victoire. Très vite, celle-ci fut taclée sur son X (ex-Twitter) avec une incroyable violence par sa communauté l’accusant d’être allée se compromettre dans une émission « crypto-fasciste » d’un « vieux mâle blanc cisgenre », osant, qui plus est, poser avec un grand sourire à côté de lui – acte de collaboration impardonnable.


Pire, on l’attaqua sur sa blanchité, son orientation sexuelle (car on a beau être féministe pratiquante, on n’en reste pas moins une caucasienne hétéro), tout ce qui constituait à son corps défendant une trahison éhontée de la cause – et qui lui fit perdre sur le champ près de cinq mille followers ! La malheureuse fut alors obligée de rétropédaler, tentant d’expliquer pourquoi elle avait accepté cette invitation, qu’il était de son devoir de combattre les « idées moisies » sur leur terrain et que son sourire n’était en rien de déférence mais au contraire d’insolence. Explications qui ne convainquirent pas du tout la bande d’enragés qui la suivait, certains allant jusqu’à dire qu’ « elle aussi faisait partie du problème », démontrant, si besoin en était, que le campisme se termine toujours très mal – et comme l’expliqua très bien Peggy Sastre : « on surestime grandement à la fois l’homogénéité de son exogroupe (pas de ma bande) que celle de son endogroupe (de ma bande) – une double illusion, susceptible de faire de grosses étincelles ».  

La pauvre Victoire n’était pourtant pas au bout de ses peines. Malgré un premier compte-rendu honnête de l’émission par Télérama (« Au micro de Finkielkraut, deux visions opposées du féminisme… mais qui s’écoutent »), Libération, sous la plume hautement toxique d’une certaine Johanna Luyssen (« Pourquoi c’est compliqué de débattre avec Alain Finkielkraut quand on est féministe »), argua contre Victoire qu’il y avait en effet d’autres combats à mener pour une féministe que d’aller perdre son temps à débattre avec des réacs et que le faire, c’était surtout permettre à Finkielkraut, « édifice sexiste et raciste » à lui tout seul, de se « déghettoïser ».

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À ce texte crispant et surtout peu solidaire avec une personne qu’ils auraient dû soutenir, Noémie réagit avec beaucoup d’honneur par une élégante vidéo dans laquelle elle s’étonnait du peu de goût de cette journaliste de gauche pour la liberté d’expression et le débat démocratique et qui lui donnait pour le coup envie de défendre la Tuaillon. Cette dernière n’apprécia pas non plus beaucoup cette leçon de morale que Libé lui faisait et eut des mots plutôt rudes avec son émissaire. Il est vrai qu’entre camarades d’ultra-gauche on n’oublie jamais de se taper dessus en cas de manquement idéologique avant de s’exclure en bonne et due forme, la Révolution finissant toujours par dévorer ses enfants. Et entre des fanatiques l’accusant d’aller faire du gringue à l’ennemi et une « stalinienne en jupon » la semonçant publiquement, Victoire a dû se sentir bien seule.

La gauche black mirror

Au-delà de sa mésaventure personnelle, ce qui importe dans cette affaire picrocholine est de constater le tournant que prend aujourd’hui la gauche culturelle.

Non qu’on ne la savait pas intolérante, sectaire et rép(g)ressive depuis longtemps – mais pas de manière si officielle. De ce point de vue, ce sont Geoffroy de Lagasnerie et Edouard Louis qui ont gagné. Quand on est de gauche, on ne discute plus avec Marcel Gauchet ni avec Alain Finkielkraut, ni avec personne. On agit – c’est-à-dire on boycotte, on censure, on interdit (regardez ce qui se passe avec CNews). Le problème n’est plus le désaccord mais bien le débat en soi – pour ne pas dire l’Autre qu’il faut désormais annuler ou invisibiliser comme dans un épisode de Black Mirror. Pour ces gens-là, le « fascisme » ne commence pas à l’extrême droite, à droite ou même au centre mais bien avec la gauche libérale dont fait malgré tout partie Victoire Tuaillon – à qui il arrive la même chose qu’à l’écolo Hugo Clément après que celui-ci a accepté d’aller débattre avec Valeurs actuelles et s’être fait traité par ses propres troupes d’« écofasciste ». Pour l’anti-fa comme pour le fa, seule importe la pureté – c’est-à-dire la mort. Et c’est pour cela qu’on a envie de sauver la soldate Tuaillon de son engeance et peut-être même de la réconcilier avec Noémie Halioua – la sororité étant plus une affaire d’individus que de meute.

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[1] Lire la recension de Frédéric Magellan dans nos colonnes

[2] Et même si nous n’avons rien contre l’idée d’une autre version du conte de Perrault dans laquelle ce serait Aurore qui embrasse le prince pour le réveiller de son sommeil de cent ans – et comme du reste Trinity embrasse Néo dans Matrix et lui rend la vie. Là-dessus, nous sommes en accord érogène avec Victoire. Oui au Beau au bois dormant ! Oui au female gaze !



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Pierre Cormary est blogueur (Soleil et croix), éditorialiste et auteur d'un premier livre, Aurora Cornu (éditions Unicité 2022).

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