Féministes contre féministes (suite, sans fin)


Féministes contre féministes (suite, sans fin)

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On a failli croire que le microcosme néo-féministe ne se remettrait jamais de la sortie de notre numéro d’été. Vu le flot d’insultes rageuses qu’elles nous ont adressées, on les imaginait outrées comme jamais par notre couverture sur « la terreur féministe ». Jackpot ! Sauf qu’à peine quelques jours plus tard, on a réalisé que ce n’était pas grand-chose, seulement la routine. Nos amies en lutte perpétuelle, qui ne prennent jamais de vacances, n’ont pas tardé à nous faire des infidélités, en se trouvant un nouvel ennemi. Une nouvelle ennemie, d’ailleurs, puisque c’est Lou Doillon qui a eu droit, après Pascal Bories, à une lettre ouverte sur un site spécialisé. Si un mâle osant s’attaquer à la sainte cause mérite le pilori, aucune raison qu’une femme, a fortiori une féministe revendiquée, s’en sorte comme si de rien n’était…

Lou Doillon, qu’il ne s’agit pas ici de défendre puisqu’elle ne m’a rien demandé, s’est attiré les foudres des féministes en s’attaquant à des stars américaines qu’elle décrivait comme des fémino-traîtresses rétrogrades : « Quand je vois Nicki Minaj et Kim Kardashian, je suis scandalisée. Je me dis que ma grand-mère a lutté pour autre chose que le droit de crâner en string. »

Autrement dit, Lou Doillon sous-entend que ces deux femmes ne font que se déshabiller pour de l’argent. Et ça, ça fait tout bizarre à la bloggeuse « afro-féministe »[1. A ne pas confondre avec une militante spéléo-féministe, ou une activiste aéro-féministe, sans doute…] Kiyémis sur Slate : « Je voulais pas faire un billet, je le jure. Je ne voulais pas que mon agacement passager se transforme en colère dévorante parce que, vous voyez, on est en juillet, il fait bien trop chaud pour avoir la rage et puis c’est pas bon pour ma jauge de bonheur. Et pourtant, nous y voilà. Je suis fâchée. »

Je décrypte : « C’est le mois de juillet, je n’ai rien à écrire, mais là, on me propose de taper sur quelqu’un à peu de frais, alors j’en profite. » Enfin, madame est fâchée et nous explique ce qu’est le bon féminisme : en gros, pas celui de Lou Doillon, mais celui qui aime Nicki Minaj et son fessier bondissant. Un féminisme vraiment proche du peuple et des masses opprimées car il affronte le « patriarcat » et le « racisme ». Et la blanche et bourgeoise Lou Doillon n’a pas le droit de s’attaquer à Nicki Minaj puisque celle-ci incarne la minorité afro-américaine opprimée.

Dans Libération[2. Ah, que deviendrait-on sans Libération…], Quentin Girard dissèque encore plus brillamment la haine raciste qui anime Lou Doillon. Avec le délice du délateur, il nous peint le tableau des forces en présence : « D’un côté, une ‟fille de”, bien née, bien éduquée, vivant entre gens de bonne compagnie. Se dénuder dans la neige, au rythme d’une jolie musique pour du prêt-à-porter, c’est élégant, classe. De l’autre, des stars du hip-hop, non blanches de surcroît, qui mènent leur vie comme elles l’entendent et qui n’hésitent pas à casser tous les codes, quitte à déstabiliser (…). Malheureusement ce mépris de classe est récurrent. »

Aveuglée par sa supériorité de classe, Lou Doillon s’en prend à la subversive icône prolétarienne Nicki Minaj. Un seul détail semble avoir échappé à Quentin Girard : Mme Minaj est bien plus riche que ne le seront jamais Lou Doillon, lui et moi réunis. Et elle n’a d’ailleurs sûrement pas besoin de son aide pour se défendre. Mais il suffit à la rappeuse américaine d’être issue d’un milieu défavorisé et de « casser les codes » pour se voir décerner la médaille de la Subversion.

Jusqu’à nouvel ordre, Nicki Minaj n’incarne pas exactement le prolétariat et n’œuvre pas pour sa libération. Bien au contraire, c’est une brillante femme d’affaires, qui utilise sciemment son corps pour attirer le public masculin et vendre le plus d’albums possible. La stratégie fonctionne à merveille, semble-t-il. Mais pendant que Nicki Minaj croule sous les dollars, la situation des Afro-américains ne s’améliore pas pour autant. A peine cela donne-t-il aux jeunes filles l’espoir qu’un jour elles aussi, si elles se battent, pourront réussir, c’est-à-dire gagner des millions de dollars et être « libres ». Sauf si elles deviennent femmes de ménage.

Alors, que Lou Doillon ait tort ou raison, cela n’a pas grande importance. Qu’importe les crêpages de chignons qui divisent le féminisme en une multitude de luttes communautaires et contradictoires. Nicki Minaj continuera à nous montrer ses fesses de couleur, on continuera à les regarder et les billets verts continueront à pleuvoir sur elle. Mais que certains, pour la défendre, s’emparent de la rhétorique marxiste a quelque chose d’éminemment comique. Si la gauche branchée tient tant à défendre des multimillionnaires flambeuses et vulgaires, c’est la droite bling-bling qui va finir par se retrouver au chômage.

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*Photo : Nicholas Hunt/PatrickMcMullan.com/Sipa USA/sipausa.12116388/1309120055



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est journaliste.

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