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Féminisme : la violence faite aux chiffres


Féminisme : la violence faite aux chiffres

Patrick Dewaere dans Coup de tête

Dans le film Coup de tête, scénarisé par Francis Veber et réalisé par Jean-Jacques Annaud, Patrick Dewaere incarne un bon gars, le loser idéal, un Français moyen au cheveu long et au « marcel » moulant, platement dénommé François Perrin, qui travaille à l’usine et occupe, durant ses loisirs, le modeste poste d’ailier de l’équipe réserve de football de Trincamp. Pour protéger la star de l’équipe, Perrin est bientôt faussement accusé de viol par une ville tout entière, viré de son boulot et foutu en taule sans autre forme de procès. Seul contre tous, il parvient à s’échapper et menace de violer vraiment Stéphanie, l’héritière qui avait cru reconnaître en lui son agresseur. Il ne passera jamais à l’acte, Stéphanie admettra son innocence et tombera amoureuse de notre héros, avant son inévitable retour en grâce suite à deux buts marqués en Coupe de France. L’ex-bouc émissaire Perrin, comblé d’honneur et logé gratis dans la suite la plus coûteuse du meilleur hôtel de la ville (le film ne dit pas si c’est un Sofitel), médite alors sa vengeance : à la suite d’un dîner épique pendant lequel il promettra aux notables du coin de terribles représailles (« J’hésite : le feu c’est joli, la hache ça défoule »), le prolo outragé savourera le spectacle des bourgeois de Trincamp appliquant rigoureusement le principe de précaution, foutant en l’air préventivement qui sa concession automobile, qui le rideau de fer de son magasin.

C’est ce genre de catharsis jouissive, comme on n’en voit plus même au cinéma, qu’on souhaiterait aux mâles français accusés de tous les maux de la Terre et du Ciel à la suite de l’affaire DSK.[access capability= »lire_inedits »] Les Chiennes de garde, que l’on croyait rassasiées par les multiples lois criminalisant la drague trop poussée sous le vocable de « harcèlement sexuel », avaient encore faim. Elles ont pu donner libre cours à leur envie du pénal. Voilà enfin une pulsion que personne ne cherche vraiment à contraindre : celle qui pousse à punir son prochain.

De plus en plus d’hommes faussement accusés de viol : cela n’émeut personne

J’aimerais qu’on me dise sérieusement d’où vient ce chiffre de 75 000 femmes violées par an répété à l’envi, 100 000 si l’on en croit Chantal Brunel, rapporteuse générale de l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes.
Gardons la tête froide. On enregistre chaque année moins de 1500 condamnations pour viol, dont 40 % concernent des mineurs au moment des faits. Même si une partie des auteurs de viols échappent à la justice, nous sommes loin du compte (le taux d’élucidation des viols serait d’environ 80 % en France). Il faut de surcroît noter qu’après une augmentation importante dans les années 1990, sans doute sous l’effet d’une prise de conscience salutaire qui a encouragé les femmes à porter plainte, le nombre de condamnations pour viol diminue légèrement depuis quelques années. Nos sociologues parlent volontiers de « sentiment d’insécurité » quand on évoque la montée des atteintes aux personnes. Quand il s’agit de viols, l’inflation est non seulement permise mais souhaitable. Depuis trente ans, on hurle à l’omerta. Reste que la courbe des plaintes progresse beaucoup plus vite que celle des condamnations effectives. Si l’on croit vaguement à l’efficacité de la justice, cela signifie que de plus en plus de personnes, essentiellement des hommes, sont faussement accusés de viol sans que cela n’émeuve personne, malgré le côté très désagréable de la chose. Et à en juger par le discours ambiant, il est peu probable que la tendance s’inverse dans un avenir proche.

Toujours convaincues d’être du bon côté du lit, des féministes voient dans l’affaire DSK la preuve que les hommes sont vraiment des porcs, d’indécrottables Cro-Magnon qu’il faut urgemment rééduquer. Que rien n’a changé depuis au moins l’Antiquité mais que ça ne saurait durer plus longtemps. Qu’il faut durcir, durcir et durcir encore la loi, mettre les hommes à la vaisselle, au ménage et au torchage des gosses (Au passage : quelle conception cauchemardesque se font ces braves gens du ménage et de la cuisine, et quel mépris du travail des femmes de ménage et des cuisiniers !), et aussi briser les tabous, les clichés, les préjugés, pour que les femmes et les hommes vivent enfin libres et égaux, débarrassés de l’obsolète assignation à leur identité. Elles érigent le libre consentement en valeur absolue (« Non, c’est non ! ») sans envisager que les rapports de séduction puissent être un tout petit peu plus subtils et complexes que cette vision glaçante d’un homo eroticus signant un contrat avec son/sa partenaire avant de se livrer froidement et précautionneusement à sa petite affaire.

Criminalisation généralisée du désir masculin

Pendant de longues semaines de women pride et de macho shame, les hommes eux-mêmes (au moins ceux que l’on voit à la télé) ont renchéri dans la stigmatisation de l’attitude préhistorique de leurs concitoyens. Effrayés à l’idée de subir le sort de DSK ou de JFK, ils ont suivi docilement et à distance respectueuse la meute féministe. Paradoxalement, seules quelques femmes (Cynthia Fleury et, comment ne pas citer son nom, Élisabeth Lévy) nous ont rappelé que nous étions au pays de la galanterie et de la civilité. Pour combien de temps encore ? Aux États-Unis, les lois draconiennes sur le harcèlement ont, semble-t-il, provoqué une certaine réticence de la part de certains milieux à embaucher des femmes, en raison de la peur des conflits entraînés par la criminalisation de l’érotisation des rapports entre les deux sexes. Cette criminalisation généralisée du désir masculin est peut-être le pendant occidental de la burqa islamique : cachez donc ce désir que je ne saurais voir ! Là-bas la faute est rejetée sur les femmes, ici sur les hommes. Partout, la peur et le goût de punir.

Je ne suis certes pas une femme, mais mon expérience personnelle tranche avec ce que je vois à la télé. Je n’ai jamais rencontré de violeur, ni de femme violée. Autour de moi, les « mecs lourds » se font rares. Avec l’émergence d’Internet, il me semble que même la drague la plus anodine est de plus en plus virtuelle. Cela fait longtemps que le macho a été publiquement ringardisé dans les figures ridicules d’Aldo Maccione ou de Franck Dubosc. La figure qui domine aujourd’hui est celle du séducteur malgré lui, maladroit, timide, presque impuissant, sauf quand il est amoureux (à l’image justement du magnifique Dewaere dans Coup de tête). La criminalisation du dragueur est contemporaine de sa disparition. Pendant les longues semaines d’ivresse médiatique qui ont suivi la douteuse « affaire DSK », les féministes qui osent se sont acharnées sur un cadavre. On attend leur mea culpa. Sans illusions excessives. [/access]

Juillet-août 2011 . N°37 38

Article extrait du Magazine Causeur



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Florentin Piffard est modernologue en région parisienne. Il joue le rôle du père dans une famille recomposée, et nourrit aussi un blog pompeusement intitulé "Discours sauvages sur la modernité".

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