Le temps de la justice, de ses procédures, n’est pas adapté à la nécessité de protéger les victimes. Le billet de Philippe Bilger.
Il n’est pas interdit de rêver d’une société où chaque transgression aurait sa réponse, la moindre incivilité et toutes les infractions, quelles qu’elles soient, leur riposte pénale. On pourrait tout à fait concevoir un changement radical de politique qui ne laisserait plus sans réaction les atteintes aux personnes et aux biens.
En même temps, une telle révolution ne tarirait pas la malfaisance humaine et les mille ressorts qui font que fortuitement ou sur un mode compulsif, crimes et délits continueraient d’être commis.
Cela ne m’empêche pas d’être touché en plein cœur, comme ancien magistrat et comme être humain, par cette tragédie. « Le 3 août, Sylvie Sanchez a été tuée par son ex-compagnon malgré une main courante déposée pour des menaces de mort deux mois avant » (Le Parisien). La famille dénonce un laxisme judiciaire et l’un de ses membres déplore : « La justice est trop lente pour nous protéger ».
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Pourtant, après ses menaces de mort, Daniel M, le meurtrier futur, a quitté la gendarmerie avec une convocation pour le 3 novembre de cette année (France 3). Le procureur d’Auch assure que « la victime était séparée de son ex-conjoint et hébergée chez des amis et que l’homme ne présentait pas d’antécédents judiciaires ».
Il faut donc s’interroger, sur ce féminicide comme sur d’autres et, plus généralement, sur tout ce qui concerne les atteintes aux personnes, sur ce terrible paradoxe que la normalité des enquêtes et des pratiques judiciaires ne protège pas. Dans ces affaires touchant aux rapports complexes, impulsifs, violents entre les êtres humains, l’un la cible, l’autre l’agresseur, tout est urgent, tout est menace, tout impose réactivité et précipitation lucide. Si on évoque parfois la lenteur de la Justice au grand détriment du justiciable ordinaire, on ne perçoit pas comme le vice va bien au-delà.
Il conviendrait de réfléchir pour pallier la multitude de ces drames annoncés puis concrétisés, parce qu’on les a traités comme si on avait le temps, comme si la victime ne l’avait pas déjà été, comme si le futur criminel n’avait pas en tête l’obsession de faire du mal.
La Justice, en dépit de sa bonne volonté, ne parvient pas à appréhender que le pire survient précisément dans le laps de temps qui s’écoule entre les dates officielles prévues par les services d’enquête et ses propres délais. Tout peut se perpétrer dans ces conditions, dans les intervalles.
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Ce n’est pas offenser l’Etat de droit et la procédure pénale dont elle découle que de souligner qu’en effet il faut choisir : appliquer la loi au rythme que chaque juridiction peut mettre en œuvre, avec d’inévitables catastrophes – il ne convient jamais de sous-estimer ce qu’a de redoutable le dessein persévérant de tuer – ou protéger. Les féminicides, quels que soient les progrès qui pourront être accomplis dans les dispositifs d’écoute, de sauvegarde et de jugement, ne seront jamais davantage combattus si le facteur temps n’est pas perçu comme absolument prioritaire. On ne peut plus vivre avec un formalisme procédural et des lenteurs qui fatalement entraîneront la mort.
Sur ce plan capital je ne peux que renvoyer à mon billet iconoclaste du 23 août 2022 : « Changer l’Etat de droit pour protéger les Français »…
Compassion pour Sylvie Sanchez, pour qui c’était trop tard !
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