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Félicien Marceau sauvé des eaux par Francis Bergeron

Une histoire belge


Félicien Marceau sauvé des eaux par Francis Bergeron
L'écrivain et académicien Félicien Marceau (1913-2012) photographié en 1993 © ANDERSEN ULF/SIPA

L’immortel Félicien Marceau (1913-2012) est un inconnu. Il ne fait l’objet d’aucune étude littéraire. Les librairies l’ont depuis longtemps oublié. L’Université n’a jamais entendu parler de lui, c’est dire le degré d’affadissement intellectuel de notre pays. Les lecteurs le confondent avec Musso. Et le grand public est persuadé qu’il s’agit du père de Sophie dans La Boum mais Francis Bergeron répare cet oubli avec un Qui suis-je? (Pardès, 2018).


Le mystère Marceau

L’Occupation décuple leur imagination et leur hargne de justice. Sur Félicien Marceau, excepté les remarquables ouvrages de Stéphane Hoffmann (1994) et de Pol Vandromme (1996), rien ne se profile à l’horizon si ce n’est Les Années courtes, récit paru chez Gallimard en 1968 où l’auteur raconte sa vie, de son enfance à sa condamnation à quinze ans de travaux forcés en Belgique en 1946. Dès son introduction, Francis Bergeron parle « d’un mystère Félicien Marceau ».

Dans le Qui suis-je ? qui lui consacre aux éditions Pardès, il revient en détail sur cette période trouble où le jeune écrivain, figure montante des Lettres belges, ami d’Hergé et de Robert Poulet, porte encore son vrai nom (Louis Carette) et travaille à Radio Bruxelles. Bergeron explique précisément les griefs qui lui seront reprochés à la Libération jusqu’à l’obtention de la nationalité française accordée, après étude du dossier, par le Général de Gaulle en 1959.

Le fauteuil de Finkielkraut

Le nom de Marceau est récemment réapparu dans l’actualité lorsque Alain Finkielkraut hérita de son fauteuil à l’Académie française en 2016. Toujours dans les pages faits-divers, jamais en culture. Le débat était relancé sur les eaux fangeuses de la collaboration et sur le passé supposé, fantasmé ou réel de cet écrivain majeur. En dehors des prétoires, la presse semble avoir complètement ignoré l’œuvre monumentale de Marceau. Quelle cruelle injustice de ne pas se pencher sur les romans, essais et pièces de théâtre de ce hussard impassible dont le calme apparent n’était que factice. L’homme n’était pas bavard, les plaies de son exil parlaient pour lui. Bergeron rappelle cette anecdote d’André Barsacq, directeur du théâtre de l’Atelier, sur la rencontre entre Marceau et Aymé, deux taiseux qui n’échangèrent que « quelques mots » :

– Quelle bonne pièce ! dit Marceau à Aymé, à la sortie d’une générale.

– La vôtre aussi est bien, lui répondit l’auteur des Contes du chat perché.

« Sur quoi les deux hommes se séparèrent parfaitement satisfaits l’un de l’autre »

Ne croire en rien, sauf aux vertus du roman

Il suffit de lire Marceau pour connaître son tumulte intérieur, ses pulsions révolutionnaires et son goût immodéré pour la liberté. On se pâme devant la prose de Nimier, on loue le style gourmand de Blondin, ses arabesques continuent de nous enivrer, Haedens nous cajole au soleil d’Occitanie, Perret secoue la banlieue à coups de goupillons et de litrons, et, pour certains puristes, Stephen Hecquet est indépassable à l’écrit comme dans ses plaidoiries.

Les écrivains de droite (qualificatif fourre-tout, donc réducteur) offraient, au lendemain de la guerre, une palette particulièrement attractive et réjouissante. Ils ne professaient rien. Ils ne croyaient en rien, sauf aux vertus du roman. Ils ne s’appuyaient sur aucune doctrine, leurs personnages n’étaient pas enfermés dans des grilles de lecture. Ils étaient indisciplinés, bourgeois par naissance, anars par tempérament, ils se prosternaient devant un seul dieu : une littérature sans entraves. Dans cette assemblée fort disparate, Marceau, à l’égal d’un Morand, pratiquait toutes les disciplines, toutes les distances, avec aisance et facétie.

Triomphe sur les planches

Dès 1955, il décroche le Prix Interallié pour Les Élans du cœur, il enchaîne l’année suivante avec L’Œuf, une pièce créée au Théâtre de l’Atelier. Sur les planches, il excelle : La Bonne Soupe (1958), L’Etouffe-chrétien (1961) et L’Ouvre-boîte (1972). Tous les grands acteurs du moment (Arletty, Gérard Blain, Claude Brasseur, Bernard Blier, Daniel Ceccaldi, Danielle Darrieux, Marie Dubois, Michel Duchaussoy, etc…) se pressent pour déclamer du Marceau. Côté roman, il ne chôme pas, il engrange les prix, le Goncourt pour Creezy en 1969 et le Prince-Pierre-de-Monaco pour l’ensemble de son œuvre en 1974. Il est élu à l’Académie française en 1975 au fauteuil de Marcel Achard. Tous les fans de Jean-Paul Belmondo n’ont pas oublié sa prestation dans Le Corps de mon ennemi, film d’Henri Verneuil sorti en 1976 adapté du roman de Marceau. Cet inconnu en 2018 a une carrière telle que méconnaître son existence est pire qu’une faute de goût, une erreur impardonnable. Peu d’écrivains procurent autant de plaisir de lecture.

Félicien Marceau- Qui suis-je ?, Francis Bergeron, Pardès, 2018.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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