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Féfé: loin, si loin du gangsta rap

Un rappeur pas comme les autres


Féfé: loin, si loin du gangsta rap
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Le célèbre rappeur de Seine-Saint-Denis vient de sortir un nouvel album, Hélicoptère, et effectue actuellement une grande tournée. Rencontre avec ce chanteur très attachant, agréablement éloigné du gangsta rap.


De son vrai nom Samuël Adebiyi, le rappeur, producteur et compositeur Féfé, né en 1976 à Clichy-la-Garenne, dans le 9-3, vient de sortir un album épatant intitulé Hélicoptère, et il est en tournée en France jusqu’à l’été prochain. Quand on lui demande de qualifier sa musique, il explique qu’en dehors du rap, il adore la chanson en général : « Je n’ai aucun problème à l’admettre ; j’ai eu l’occasion de découvrir de très belles chansons françaises », confie-t-il. « J’ai été élevé avec de la soul américaine, de la musique nigériane. J’essaie de mettre tout ça dans ma musique. » Il apprécie aussi le blues, le reggae et la pop : « Ces musiques représentent pour moi beaucoup de madeleines de Proust. Mon père était mélomane ; il possédait beaucoup de vinyles et était très éclectique dans ses goûts, il aimait jusqu’à la country ! Ces musiques représentent tout ça pour moi. C’est en quelque sorte l’héritage de mon père. »

Le gangsta rap, ce n’est pas mon délire !

Son dernier album, Hélicoptère, connaît un beau succès. Il explique qu’il l’a écrit pour sortir de la grave dépression qui le minait : « C’est dans ce contexte que sont nés les premiers textes. Beaucoup des chansons de ce disque ont été réalisées chez moi, à la maison. J’ai l’ai produit avec un ordinateur, ma guitare ; en home-studio en quelque sorte. On a rejoué et arrangé ces morceaux avec Bastien Dorémus, (Clara Luciani, Christine & The Queen), Lazy Flow (Meryl) et Felipe Saldivia (Idir, Orelsan) ; chacun d’eux a sa touche ; chacun a apporté sa touche à la musique que j’essaie de faire. » Pourquoi a-t-il choisi d’intituler son album Hélicoptère ? « À cause de la dépression, encore. L’hélicoptère permet de redécoller. Tout simplement. Dans le morceau éponyme, il y a cette phrase : « Si le game est une course, j’arrive en hélicoptère. » Le game ? C’est-à-dire le jeu du hip-hop, du rap ; c’est comme si je regardais le peloton de tous ces gens en train de se battre ; moi je suis dans mon hélico. Je regarde le paysage ; je suis dans une autre course en fait, en tout cas pas dans la même course que toutes ces personnes-là. »

Les raisons de cette dépression étaient à la fois conjoncturelles, familiales, affectives et professionnelles : « Tout cela à la fois ; tout ce que j’avais enfoui en moi notamment depuis l’enfance ; au bout d’un moment tout ça ressort. Oui, c’était à la fois affectif, familial, conjoncturel ; le Covid aussi. Cette dépression a produit beaucoup de dégâts sur moi. Elle a duré plusieurs mois. Lorsqu’on souffre de grave dépression, on souffre d’apathie ; on ne peut plus rien faire. On ne peut même pas se lever. Donc, juste le fait de pouvoir reprendre un stylo, même si l’objet est léger, c’est du lourd. (Rires.) »   

Féfé, c’est 25 ans de carrière. Des succès magnifiques et surtout une démarche singulière dans le monde du hip-hop puisqu’il a joué et/ou enregistré avec Orelsan, Tété, Matthieu Chédid ; il a également joué pour le trentième anniversaire de la mort de Daniel Balavoine. On le comprend, il se situe bien loin d’un certain gangsta rap… : « Je n’ai jamais été dans la mouvance gangsta rap. Je ne suis pas connu pour ça ; ça ne m’a jamais intéressé. J’ai vécu dans une cité ; je n’avais pas les moyens ; c’était compliqué. Il y a énormément de gens comme moi dans les cités, mais ce n’est pas ce qui intéresse le plus les médias. Ce n’est pas assez piquant. Je souffre beaucoup que cette majorité silencieuse ne soit pas assez représentée. Je tente de la représenter du mieux que je le peux. La plupart des gens qui vivent dans les cités, sont des personnes qui vont au travail, se débrouillent le mieux qu’elles le peuvent, dans la légalité. Or, on ne parle jamais de cette majorité-là. Dans ma jeunesse, j’ai vécu avec des dealers. Je n’étais pourtant pas un bandit mais je connais ces gens-là qui, parfois, se sont retrouvés là malgré eux car ils ont fait de mauvais choix. Il y a effectivement des types dégueulasses que je n’aime pas. D’autres sont des chics types qui ont fait de mauvais choix… En cela, j’aurais toujours une tendresse pour ces derniers, car, comme je le disais, j’ai vécu auprès d’eux dans les cités. Donc, ce n’est pas mon délire de promouvoir une vie que je n’ai pas eue. J’ai toujours milité pour que les gens qui vivent là s’élèvent. Je ne juge pas car je n’ai pas l’avis des gens qui racontent ça, le gangsta rap, mais ce n’est pas mon délire. »

L’abbé Pierre

Autre élément singulier de sa carrière : en 2014, il a joué lors de la première édition de l’Abbé Road, concert caritatif de la fondation Abbé-Pierre : « Je n’ai jamais rencontré le célèbre abbé », avoue-t-il. « Concernant la polémique actuelle, c’est compliqué. A l’école, j’ai eu l’occasion de lire l’écrivain Louis-Ferdinand Céline qui n’était pas le meilleur des types ! Il avait quelques casseroles, c’est le moins qu’on puisse dire. Si son œuvre est magnifique, lui ne l’était pas du tout. Il peut y avoir des types odieux qui font de belles œuvres. Cela ne veut pas dire que j’adoube l’abbé Pierre, ou R. Kelly, ou P. Diddy… mais il peut y avoir des types odieux qui font de belles créations ; il faut qu’on comprenne ça ; il est temps qu’on grandisse. Il n’y a pas d’anges sur terre ; il n’y a pas de démons sur terre. Il n’y a que des hommes. »

Plus logique, Akhenaton a participé à l’enregistrement de son album : « J’avais fait la première partie de IAM il y a une dizaine d’années. Pour moi, Akhenaton est un grand frère ; il était là avant moi. Quand j’étais jeune, il me faisait rêver ; il a toujours été très ouvert pour collaborer musicalement. Je l’ai contacté car le texte « Baladeur » correspond à son univers. Nous partageons bon nombre de valeurs. Il n’a jamais été dans le gangsta rap et, pourtant, je suis certain qu’il a connu des gangsters. »

C’est indéniable : Féfé figure une manière d’Ovni dans le milieu du rap français. Pas étonnant quand on l’interroge sur les auteurs qui l’ont influencé, il cite tout de go Gainsbourg, Marley et Dylan qu’il a découvert sur le tard. Un Ovni nourri devaleurs fraternelles et d’intégration. On est en droit de l’en féliciter.





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Il a publié une vingtaine de livres dont "Des Petits bals sans importance, HLM (Prix Populiste 2000) et Tendre Rock chez Mille et Une Nuits. Ses deux derniers livres sont : Au Fil de Creil (Castor astral) et Les matins translucides (Ecriture). Journaliste au Courrier Picard et critique à Service littéraire, il vit et écrit à Amiens, en Picardie. En 2018, il est récompensé du prix des Hussards pour "Le Chemin des fugues".

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