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Faux-semblants au Proche Orient


Faux-semblants au Proche Orient

Comme la Gaule du temps de Jules César, le Moyen-Orient est divisé en trois parties : les non-Etats qui créent du chaos, les Etats qui profitent de ce chaos et les Etats qui sont menacés par lui. Les non-Etats sont le Liban et les deux Palestine. La Jordanie a frôlé ce statut peu enviable à la fin des années 1960 mais la dynastie hachémite a su éviter le pire. Dans le camp des Etats qui fondent leur stratégie sur le chaos qu’ils fomentent chez les autres, tout en espérant ne pas être contaminés par les virus politico-religieux qu’ils sèment, on peut compter l’Iran et la Syrie. Face à cet axe Téhéran-Damas, l’Egypte essaie d’opposer un front composé de tous les Etats menacés de déstabilisation. Et il se trouve qu’Israël en fait partie. Au-delà de la déploration légitime de la tragédie que vivent les civils, la « guerre de Gaza » appelle une analyse géopolitique car elle en lumière la véritable ligne de partage des eaux moyen-orientales : il ne s’agit ni d’un axe chiites versus sunnites, ni du soutien accordé ou non à la lutte pour les droits de Palestiniens. Nous assistons en réalité à un épisode de la Guerre froide pour le contrôle de la région qui oppose l’Iran et son allié syrien au bloc dirigé par l’Egypte.

Un rapide examen de l’agenda du président syrien Bachar el-Assad permet de comprendre les règles du jeu. Samedi dernier, il recevait Saïd Jalili, secrétaire du Conseil suprême de sécurité national iranien et négociateur en chef de Téhéran dans le dossier nucléaire. Lundi, les fauteuils damasquins du palais présidentiel connus des téléspectateurs du monde entier ont accueilli le théologien d’origine égyptienne Youssef Al-Qardaoui, autorité spirituelle de premier rang des Frères musulmans devenu star grâce à la chaîne Al-Jazira où il a son émission. Les deux personnages, invités par Assad pour discuter de la crise à Gaza, ont en commun – à part, bien entendu, leur hostilité à Israël – le souhait de voir un changement de régime au Caire, comme cela s’est produit en Iran en 1978-1979. En revanche, beaucoup de choses les séparent : tandis que le premier, chiite, fait partie de l’élite politique iranienne, le théologien sunnite n’a pas de mots assez durs pour ces musulmans qu’il considère comme des traîtres. Mieux, il a récemment mis en garde contre une « invasion chiite » planifiée, selon lui, par l’Iran qu’il a accusé de nourrir des « rêves d’empire » : « Ce qui se passe, précisait-il sur Al-Jazira durant le ramadan, est une opération organisée, une invasion. Elle n’est pas religieuse, elle est plutôt politique ».
Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’Assad reçoive un dignitaire iranien. En revanche, la visite de Qardaoui peut surprendre quand on sait que les Frères musulmans sont interdits en Syrie et qu’Assad père a maté par le feu et le sang en 1982 une insurrection de la confrérie dans la ville de Hama. Le bilan de cette opération de « maintien de l’ordre » a été, rappelons-le, vingt fois plus lourd que celui de la guerre du Liban en 2006.

Dans ces conditions, l’alliance entre le Hamas, émanation des Frères musulmans sunnites, l’Iran, le Hezbollah et la Syrie ne peut être que conjoncturelle. Nasrallah le Libanais et Ahmadinejad l’Iranien n’ont rien en commun avec les deux Frères musulmans – Haniyeh le Palestinien et Qardaoui le Qatari ex-égyptien. Si le chemin des quatre hommes passe par Damas, ils savent pertinemment et leur hôte aussi que leurs agendas respectifs divergent mais chacun croit être le plus malin. Mais tous sont convaincus – à raison – que « la rue arabe/musulmane » est toujours dupe des marchands d’illusion (ou résignée) : trente ans après sa révolution islamiste, l’Iran offre-t-il plus d’espoir et d’avenir à ses habitants que l’Egypte 55 ans après sa révolution nationale ?

Pour Téhéran, l’affaire est simple : l’Iran a une vocation naturelle à l’hégémonie régionale. Damas espère pour sa part entretenir le chaos au Liban et en Palestine pour pouvoir, le moment venu, monnayer ses bons offices et son boulot de pompier. Pour l’instant, l’acteur central de ce jeu de non-dupes est bien la Syrie, le pays qui n’a jamais eu tort. Le roi de la Jordanie a reconnu quelques erreurs, de même que le président égyptien, sans parler d’Israël. Seul Damas ne s’est jamais trompée. Grâce à cette rare capacité d’appréciation, les Syriens ont parié sur l’alliance avec l’URSS même lorsque Le Caire, changeant de monture, s’est tournée vers Washington. Fidèle à cette ligne fondée sur la recherche de la nuisance maximale, la Syrie a choisi l’option iranienne. Incapable de penser des alliances stratégiques conformes aux intérêts à long terme de sa population, Assad bluffe, croit faire des coups fumants – et prend des risques inconsidérés en étant convaincu qu’il est le plus malin des joueurs assis autour de la table.

En Egypte comme en Jordanie, la classe politique a déjà compris que la révolution palestinienne était incontrôlable car dépourvue de substance. Dès lors que seule la résistance à Israël cimente le peuple palestinien –et encore, de moins en moins- tout compromis risque d’achever la fragmentation de la société palestinienne bien entamée par l’exil et l’occupation. Ces deux pays ont donc résolu leurs différends avec Israël sans attendre les Palestiniens. Prêt à faire la guerre à ses côtés en 1973, Damas n’a pas suivi Le Caire sur le chemin de la paix. La Syrie continue à manipuler les Palestiniens et proposer un asile aux plus radicaux d’entre eux, quitte à les fabriquer quand l’offre existante n’est pas à son goût. Jadis c’était As-Saika et Abu Moussa, aujourd’hui le Hamas et le Jihad islamique[1. Jadis c’était As-Saika et Abu Moussa, aujourd’hui le Hamas et le Jihad islamique.].

La Syrie qui s’emploie comme toujours à saboter tout espoir de solution israélo-palestinienne ne semble pas avoir compris que les règles du jeu avaient changé. L’accueil réservé à Bachar el-Assad, le 14 juillet à Paris, par Nicolas Sarkozy et Hosni Moubarak, n’y a rien fait. Alors qu’il avait déjà, selon Moubarak torpillé les pourparlers inter-palestiniens depuis le coup d’Etat de 2007, il n’a pas voulu empêcher le Hamas de provoquer Israël à la fin de la trêve. Résultat, l’Egypte tient le Hamas et ses parrains syriens pour les premiers responsables de la situation actuelle. Peut-être Assad espère-t-il une autre invitation à une autre fête nationale, celle du 4 juillet par exemple. Il n’est pas certain que c’est en s’associant à l’Iran pour mettre Obama à l’épreuve avant sa prise de fonctions qu’il y parviendra. Si l’on ajoute à ces douteuses amitiés ses aventures nucléaires, on peut se demander s’il a quelque chose de cette subtilité levantine – que l’on prête, il est vrai à pas mal de chefs d’Etat ayant surtout réussi à pourrir l’existence de leurs voisins. En tout cas, un peu d’étude de l’histoire récente ne lui ferait pas de mal. Ce n’est pas en jouant au plus malin qu’Anouar al-Sadate a récupéré les territoires perdus par Nasser en 1967.

Janvier 2009 · N°7

Article extrait du Magazine Causeur



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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