Utiliser cette cérémonie éminemment prestigieuse à des fins politiques ou trop souvent, c’est malheureusement aussi prendre le risque d’en banaliser le sens.
Nous avons appris la semaine dernière, comme Daniel Salvatore Schiffer, la décision d’Emmanuel Macron de panthéoniser Missak et Mélinée Manouchian et nous ne pouvons que nous réjouir de la force de ce symbole. Immigré arménien arrivé à Marseille en 1925, résistant communiste, membre des Francs-tireurs et partisans, fusillé au Mont Valérien le 21 février 1944, Manouchian fait partie des grandes figures nationales qui inspirent l’admiration. On ne peut relire sans émotion la lettre à sa « chère Mélinée », ou le poème qu’Aragon lui avait dédié.
Debout les morts, on change de cimetière !
On peut se demander seulement si l’agitation des symboles républicains devenue permanente est vraiment un signe de grande santé. Depuis 1958, l’exercice est plutôt une pratique de gauche. Après le transfert des cendres de Jean Moulin accompagné du célèbre discours d’André Malraux en décembre 1964, les premiers successeurs de De Gaulle n’osent gèrent toucher au grand rituel, lequel disparait complètement pendant vingt-trois ans. A la fin des années 80, il est réactivé intensivement par Mitterrand (qui avait associé ce haut lieu à sa victoire électorale en 1981), avec pas moins de sept panthéonisations, dont celles de l’abbé Grégoire, de Condorcet et des époux Pierre et Marie Curie. De nouveau raréfié sous la droite chiraco-sarkozyste (André Malraux en 1996, Alexandre Dumas en 2002), l’usage est devenu intensif depuis la séquence des attentats, c’est-à-dire depuis 2015 : Jean Zay, Germaine Tillion, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Pierre Brossolette, Simone et Antoine Veil, Maurice Genevoix et Joséphine Baker ont eu à changer de cimetière lors de la dernière décennie. Panthéonisation par lot de deux ou quatre, comme l’on canonise aussi à Rome les anciens papes par paquet de deux. Depuis le début de l’ère Macron, nous en sommes à un rythme d’un transfert par an. De ce point de vue-là au moins, l’actuel président s’inscrit dans la tradition de gauche.
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La crainte de la banalisation
Depuis le discours de Malraux pourtant (« entre ici Jean Moulin avec ton terrible cortège »), que Luc Ferry avait un jour qualifié de « grandiloquent », peu de moments de ces grandes cérémonies sont vraiment restés dans les mémoires. Le style chiraquien était un peu boursouflé, celui d’Hollande à peine moins. Surtout, une sorte de banalisation de ces instants s’installe, leur faisant perdre une partie de leur substance. À célébrer une fois l’an les valeurs de la République lors de ces grands-messes, à souligner « la bravoure » et « l’héroïsme tranquille » (c’est la belle expression utilisée par Emmanuel Macron au sujet de Missak Manouchian) de ces figures tutélaires au moment où les institutions s’effondrent, l’État donne l’impression d’agiter des symboles pour conjurer le délitement en cours et susciter un nouvel élan des vertus civiques.
Henry de Montherlant (dont le transfert sur la montagne Sainte-Geneviève n’est franchement pas à l’ordre du jour…) faisait dire au roi Ferrante, dans la Reine morte : « C’est quand la chose manque, qu’il faut en mettre le mot. Don Eduardo, vous recommencerez cette lettre et vous y introduirez le mot “honneur”. Une fois seulement. Deux fois, personne n’y croirait plus ». La France fait penser dans ces moments-là à ces micro-Etats, gouvernés par des condottieri à la fin du Moyen Âge italien, déployant des tonnes d’images, de statues équestres, de fresques, de chefs d’œuvre artistiques pour symboliser leur puissance politique, alors qu’ils ne pesaient guère dans le concert européen ; ils devinrent d’ailleurs bien vite le théâtre des guerres entre la France et l’Espagne.
Bien sûr, quand arrivera la cérémonie, en février prochain, nous ne ferons pas notre mauvaise tête et apprécierons ce bref moment de communion nationale.